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  • Marc Chagall

    Marc Chagall


    Памер: 69с.
    Парыж 1995
    66.03 МБ
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    sophistiquées et en forme de tuiles des Français exhalaient la froideur de l’intellectualité et étaient figées par la logique de la pensée, on était pris d’étonnement par une certaine inspiration enfantine dans les tableaux de Chagall, quelque chose qui était sous la conscience, quelque chose d’instinctif, d’incoerciblement achevé. Comme si, par erreur, à côté des oeuvres adultes, trop adultes, s’étaient faufilées les œuvres d’un enfant, authentique et frais, encore “barbare” et plein de fantaisie [...] “Tiens, il y a quelque chose -, c’est très curieux” [en français dans le texte], disaient les Français, et véritablement, dans Chagall on pressentait quelque chose qui était inexplicable pour l’Europe et, par là-même, quelque chose de “curieux”, de la même façon que beaucoup d'éléments de la musique poly-chromatique “barbare” du ballet russe semblaient curieux.»
    Si Chagall ne vend rien même après sa participation, grâce à Apollinaire, au Salon des indépendants de 1913, il entre néanmoins en contact avec Herwart Walden, le directeur de la galerie berlinoise Der Sturm, où il présente en 1914 une exposition personnelle (40 tableaux et 160 œuvres sur papier) qui lui assure une célébrité mondiale. Revenu en Russie où l’attend la femme qu’il aime, Bella Rosenfeld, il sera surpris par la guerre, et ne pourra retourner ni à Berlin ni à Paris.
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    De gauche à droite : Etude pour le premier anniversaire de la révolution, 1918, gouache sur papier vélin, 23,4 x 33,7 cm.
    ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat. Guerre aux palais, vers 1918, aquarelle et crayon sur papier, 33,7 x 23,2 cm.
    Galerie Trétiakov, Moscou. © Novosti, Paris.
    La Maison bleue, 1920, huile sur toile, 66 x 97 cm. © Musée d'Art moderne, Liège. D. R.
    Il va alors prendre une part active à la vie des arts en Russie, expose à Moscou avant la révolution (le Valet de carreau) et Saint-Pétersbourg (les salons de Madame Dobytchina). Chagall assiste aux bouleversements radicaux du futurisme russe avec l’abstraction concrète des contre-reliefs de Tatline en 1914-15, les objets collés de Pougny en 1915, l’abstraction totale (le «sans-objet») du suprématisme de Malévitch à la fin 1915. Il reste imperturbable sur sa ligne, légèrement cubiste, surtout primitiviste-expressionniste, qui avait fait son succès à Berlin. C’est une époque heureuse avec son amour pour Bella et la naissance de leur fille Ida en 1916.
    Lorsque les révolutions de février et d’octobre 1917 éclatent, Chagall se range sans détours dans «l’art de gauche», c’est-à-dire l’avant-garde. Il est nommé par Lounatcharski commissaire du peuple pour les arts plastiques dans l’ancienne province de Vitebsk en septembre 1918. Le peintre
    transforme sa ville natale en une féérie de couleurs pour le premier anniversaire de la révolution d’Octobre, le 7 novembre 1918. Pour cela il fait appel à de nombreux artistes. Il fonde à Vitebsk une Ecole nationale des beaux-arts en janvier 1919 où viennent enseigner son ancien maître vitebs-kois Pen, son ancien maître pétersbourgeois Do-boujinski, Pougny et sa femme Xénia Bogouslavs-kaya, Véra Ermolaïéva, El Lissitzky, Malévitch. L’arrivée de Malévitch à Vitebsk à l’automne de 1919 sera une source de conflit. Chagall est considéré comme moins révolutionnaire en art que le fondateur du suprématisme. Les élèves montrent leur préférence pour ce dernier et Chagall finit par céder la place à l’auteur du Quadrangle noir ou Carré noir sur fond blanc qui, entre-temps, avait poussé les limites du pictural jusqu’au Blanc sur blanc. Chagall, ainsi qu’il l’avait fait pour le cubisme, introduira des éléments du géométrisme suprématiste et même, un peu plus tard en 1921-1922, du constructivisme qui triomphe sous les coups de butoir de Rodtchenko et de ses disciples.
    Le sommet de la création chagallienne, ce sont les panneaux qu’il réalise en 1920 pour le foyer du Théâtre de chambre juif d'Alexeï Granovski à Moscou dont le répertoire est en yiddish. Les œuvres ont été récemment restaurées après des décennies d’oubli. Tout Chagall est là. Chagall le visionnaire, le primitiviste, l’alogiste, le coloriste. Les animaux sont associés à ces fresques où se déroulent les faits et gestes du monde des saltimbanques, c’est-à-dire des artistes, c’est-à-dire de l’Art. Jamais autant qu’ici le trait distinctif de toute la création chagallienne ne se sera manifesté : un dessin qui danse, s’enroule, se déroule, enjambe, saute, - un dessin chorégraphique.
    Ainsi, à travers une iconographie qui synthétise le monde juif et le monde russe, Chagall, au moment de quitter définitivement la Russie en 1922, livre à l’art universel une parabole magnificente sur l’Homme, la Vie, l’Art. Jean-Claude Marcadé
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    De gauche à droite : le Mouvement, 1921, encre noire sur carton beige, 46,9 x 34 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    Paysage cubiste, 1918, huile sur toile, 100 x 59 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
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    Le Violoniste, 1912-1913, huile sur toile, 188 x 156 cm.
    © Stedelijk Muséum, Amsterdam.
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    L’ADMIRABLE LÉGÈRETÉ
    DE L’ÊTRE
    □ANS L’UNIVERS DE MARC CHAGALL, LE MONDE JUIF, LE MONDE RUSSE ET LE MONDE DE L’ART MODERNE S’ÉPOUSENT AFIN DE CONTER LA MERVEILLEUSE ET TRAGIQUE ÉPOPÉE HUMAINE, ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ. PAR ITZHAC GOLDBERG
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    De gauche à droite : la Noce, 1910, huile sur toile, 98 x 188 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    La Procession, 1909, encre et gouache sur papier, 36 x 29 cm.
    ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    Un homme se propose de dessiner le monde. A mesure que les années passent, il peuple l'espace d'images : figures virevoltantes, vaches rouges et violonistes sur les toits des maisons paysannes, personnages aux têtes détachées ou renversées, rabbins au visage vert, couples d’amoureux volants, nouveau-nés affublés d’une barbe. Irrationnel, le monde de Chagall, illogique, fantaisiste ? Et si ce monde à l’envers était, en réalité, celui où demeurent l’équilibre et la stabilité alors que l’univers chavire de tous bords ?
    La Russie du début du siècle, dans laquelle vit Chagall, est un monde en mouvement. Bouleversé à la fois socialement et artistiquement, le pays s’ouvre à l’Occident. La découverte des nouveaux systèmes de représentation suscite auprès des artistes la volonté parfois frénétique de «rattraper le retard». Malévitch, Tatline, Lissitzky, Rodchenko s’engagent ainsi dans une surenchère plastique, qui aboutit rapidement à l’abstraction. Face à
    cette surenchère, l’œuvre de Chagall se tient dans un entre-deux. Cet univers, qui reste figuratif et refuse la disparition du sujet, est peuplé de personnages qui échappent pourtant aux lois de l’imitation. Les toiles nous racontent des légendes singulières, liées à la vie quotidienne du village juif Chagall passe son enfance dans la petite ville russe de Vitebsk, où la vie de la communauté juive est profondément imprégnée des traditions religieuses. Les origines du peintre auraient pu constituer le principal obstacle à sa vocation artistique. En effet, la peinture, la sculpture - tout ce qui touche à l’image, à la représentation - sont rejetées par la culture hébraïque, qui s’épanouit essentiellement à travers la littérature et la musique. En décidant de devenir peintre, Chagall entre en conflit avec son entourage immédiat. Dans ses mémoires, il écrit : «Mon oncle a peur de me tendre la main. On dit que je suis peintre. Si je me mettais à dessiner. Dieu ne le permet pas. Péché.» Le fait de traduire la réalité en termes plastiques l’exclut
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    de ce monde qu’il ne peut que décrire de l’extérieur. Cependant, le peintre fait une lecture très subtile de l’interdit biblique qui lui permet de le contourner, tout en assurant son impunité. L’Ancien Testament condamne la représentation qui tend à pétrifier la créature, à la statufier, à en faire une idole. L’apesanteur, l’immatérialisation de l’univers solide, l’infinie liberté du mouvement, ainsi que «l’admirable légèreté de l’être» écartent tout danger de confondre la vache rouge de Chagall avec le Veau d’or.
    Mais le monde de Chagall, ce monde imaginaire du shtetl, n’est pas sans rapport avec les changements récents dans l’univers mental du judaïsme. L’intelligentsia juive, qui cherche à s’émanciper de la tradition religieuse, s’imprègne des idées qui vont révolutionner la Russie des tsars. La renaissance d’une littérature ou d’un théâtre yiddish manifeste la volonté d’affirmer l’existence d’une culture propre à cette minorité. Ce n’est pas un hasard si Chagall commence à peindre en 1905, date de la première révolution. Le village juif, un monde dans un monde replié sur ses traditions, perd ses certitudes. Chagall se rapproche du personnage traditionnel du conteur, mais il est conscient de la fissure qui se crée dans le monde familier et rassurant qui l’entoure. Ses personnages, qui s’éloignent de la convention, paraissent tissés dans l’«étoffe des songes», tout en dévoilant un processus fondamental touchant la réalité contemporaine : «Alors ces éléments ont commencé à se désagréger. Dieu, la perspective, la couleur, la Bible, la forme, les lignes, les traditions, les prétendus humanismes, l’amour... la famille... les prophètes et le Christ lui-même... Je faisais des tableaux à l’envers. J’ai coupé des têtes et des personnages en morceaux qui, dans mes tableaux, volaient dans l’air» (1963, discours en Amérique).
    Paradoxalement, c’est à Paris, où il arrive en 1910, que Chagall trouve les parades aux restrictions imposées par l’Ancien Testament. Fauvisme, cubisme, abandon partiel du sujet, il s’approprie
    A la Russie, aux ânes et aux autres, 1911, huile sur toile, 156 x 122 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris.
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    La Chambre jaune, 1911, huile sur toile, 84 x 112 cm. Collection RFT-Poul Hânggi, Bâle. D. R.
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    De gauche à droite et de haut en bas : le Village et moi, 1911, huile sur toile, 191 x 50,5 cm. Muséum of Modem Art, New York. © Scala.
    Le Poète Mazin, 191 1-1912, huile sur toile, 73 x 54 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo C. Gaspin.