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    Marc Chagall


    Памер: 69с.
    Парыж 1995
    66.03 МБ
    Au-dessus de la ville, 1914-1918, huile sur toile, 141 x 198 cm.
    Galerie Tretiakov, Moscou. D. R.
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    Au-dessus de la ville, 1924, huile sur toile, 67,5 x 91 cm.
    Galerie Beyeler, Bâle. D. R.
    Stanislavski) et écrivain. Lorsque Chagall la rencontre pour la première fois en 1909, c’est un choc, ainsi qu’il le raconte dans Ma Vie. Bella, l’amie d’une de ses amourettes, Théa, leur avait rendu une visite inopportune : «Je sens... Qu’est-ce que je sens ? D’une part je suis fâché qu’on ait dérangé mon repos, mon espoir que Théa s’approcherait peut-être de moi. D’autre part, la visite de cette jeune fille inconnue et sa voix chantante, on dirait de l’autre monde, me troublent».
    Bella pose pour lui, mais ce n’est qu’à Paris, où il
    séjourne à partir de 1910 que le peintre la fait apparaître dans ses toiles, la Fiancée à l’éventail (1911) ou le Peintre et sa fiancée (1913). Comme le thème du violoniste ou d’autres éléments folkloriques, ces sujets «amoureux» sont alors comme des témoignages de l’attachement de Chagall à sa patrie et à ses proches dont il est éloigné. En 1914 il rentre en Russie pour ce qui devait être une période de trois mois : «Je voulais d’une part assister au mariage de ma sœur, d’autre part «la» revoir. [...] Encore une année de plus, et tout
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    Belle au col blanc, 1917, huile sur toile, 149 x 72 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    serait, peut-être, fini entre nous». La peinture avait, à ce moment, plus d’importance que la vie sentimentale; bientôt, les deux seraient indissociables. L’amour pour Bella emplirait la vie et l’œuvre de Chagall : «J’ouvrais seulement la fenêtre de ma chambre et l’air bleu, l’amour et les fleurs pénétraient avec elle. Toute vêtue de blanc ou tout en noir, elle survole depuis longtemps à travers mes toiles, guidant mon art.» dira plus tard le peintre. Surpris par la déclaration de guerre, Chagall restera en Russie jusqu’en 1922. Il épouse Bella le 15 juin 1915, malgré la résistance de ses beaux-parents et leur fille, Ida, naît l’année suivante.
    Ce bonheur personnel donne lieu à toute une série de toiles où Chagall pare ses découvertes picturales d’un lyrisme particulier. Outre la dizaine d’œuvres qui composent entre 1915 et 1917 le cycle des amoureux (Amoureux en vert, en rose, en gris, en noir...), trois grandes peintures se détachent de cette production : Au-dessus de la ville (1914-1918), la Promenade (1917-1918) et le Double Portrait au verre de vin (1917). Chagall y illustre le thème du «transport amoureux», au sens propre comme au sens figuré. On y trouve en effet le motif du couple d’amoureux volant, cher au peintre. Si la suite des Amoureux renvoie à une image idéale, sublimée, quasi séraphique du couple, cette trilogie s’apparente plutôt à un hymne triomphal à la vie, à une exaltation du sentiment amoureux, seul capable de mêler le naturel et le merveilleux.
    C’est dans lAnniversaire de 1915 que Chagall a représenté pour la première fois un couple volant. Le tableau célèbre ses retrouvailles avec Bella avant leur mariage. Bella se souvient de ce jour où elle offrit un bouquet de fleurs à Chagall et qu’im-médiatement, il se mit à peindre : «Tu plonges tes pinceaux dans la peinture... les couleurs éclaboussent, tu m’entoures d’un torrent de couleurs. Soudain, tu me soulèves du sol, tu fais un bond,
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    La Promenade, 1917-1918, huile sur toile, 170 x 163,5 cm. Musée
    national russe, Saint-Pétersbourg.
    © Fondation Pierre Gianadda, Martigny.
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    comme si la pièce était trop petite. Tu t’étires jusqu’au plafond. Tu renverses la tête, tu tournes ton visage vers moi...» Dans Au-dessus de la ville, Marc et Bella se sont échappés de la chambre trop étroite pour littéralement traverser le ciel de Vitebsk, leurs deux corps enlacés. La gamme chromatique restreinte de leurs vêtements accentue la symbiose entre les deux êtres. Chagall témoigne de son attachement indéfectible à sa ville natale : le souhait permanent de se situer par rapport à Vitebsk introduit pourtant un paramètre réaliste à une scène qui ne l’est pas. D’ailleurs, la composition superpose très distinctement l’espace de la ville et celui du couple, comme pour marquer une opposition entre la félicité des amants et l’ennui sécrété par Vitebsk tel que le décrit Chagall dans son autobiographie.
    Avec la Promenade, l’envol se fait plus joyeux. La grise Vitebsk s’est laissé envahir par une campagne printannière. La nappe fleurie, où sont posés la carafe et le verre du pique-nique, laisse
    éclater ses couleurs. Dans un paysage chaviré par un jeu de facettes géométriques qui paraissent empruntées au futurisme russe, le couple, main dans la main, est gagné par une douce lévitation. Si les pieds de l’homme semblent encore effleurer le sol, la femme déjà flotte dans les airs, sa robe palpitant comme une banderole. Le ciel lumineux et léger achève d’offrir à cette image d’un amour en apesanteur son aura poétique, tandis que la ligne des bras qui barre le tableau en diagonale - s’en échappe même - signe la force de cet amour qui semble s’épanouir avec le plus grand naturel entre ciel et terre. De la même manière, le peintre paraît user de la plus grande simplicité formelle pour exprimer sans fard l’exaltation amoureuse qui l’anime.
    Encore graves devant leur bonheur tout neuf, les amants d’Au-dessus de la ville (toile commencée en 1914) se sont mis à sourire dans la Promenade pour devenir euphoriques dans le
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    Double Portrait au verre de vin. Le peintre a choisi dans cette dernière œuvre de représenter ses personnages dans une invraisemblable position. Cette fois, le couple facétieux domine de toute sa hauteur la ville plus sombre que jamais, et impose son acrobatique silhouette devant un ciel vibrant, parcouru d’une nuée d’or. Les audaces chromatiques - la délicieuse jambe violette fendant un jupon blanc, le gilet écarlate et vert de l’homme - ajoutent à l’insolence des corps
    et des attitudes : l’homme, la tête désaxée sous l’effet d’un collage intempestif, est juché sur les épaules de la femme, celle-ci la gorge dénudée, un œil masqué, tout sourire, lève son éventail avec la même allégresse que le fait son compagnon avec son verre.
    L’esquisse du tableau, rudimentaire, permet d’apprécier d’autant mieux la sophistication de la composition finale, à laquelle Chagall a ajouté un troisième personnage, un ange violet virevoltant
    De gauche à droite : Marc Chagall et sa famille dans l'atelier de l'avenue d'Orléans à Paris, vers 1923-1924. Photo D. R.
    L'Anniversaire, 1915, huile sur carton, 80,6 x 99,7 cm. The Muséum of Modem Art, New York. D. R.
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    au faîte de cette vertigineuse verticale humaine. Sans doute cet ange bénissant évoque-t-il l’ange des anciennes Annonciations', il pourrait aussi plus précisément figurer Ida, l’enfant né en 1916, point d’orgue de l’amour de Chagall et de Bella. Le Double Portrait au verre de vin possédait en tout cas, aux yeux de Chagall, une valeur emblématique, et le tableau restera sa propriété jusqu’en 1947, trois ans après la mort de Bella, accroché à côté de l’image de madone de Bella au col blanc.
    La trilogie éclatante formée par Au-dessus de la ville, la Promenade et Double Portrait au verre de vin trouve des résonnances qui vont au-delà de l’aventure personnelle de Chagall. Les sentiments et les émotions du peintre y atteignent en effet une valeur universelle. Avec ces tableaux peints juste après la révolution, dans l’euphorie de son amour pour Bella, Marc Chagall élabore une nouvelle métaphore de la liberté et du bonheur.
    Eric Suchère
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    REPÈRES BIOGRAPHIQUES
    1887. Marc Chagall naît le 7 juillet à Vitebsk, en Russie blanche. Il sera l’aîné de neuf enfants. En 1906, il entre à l’atelier du peintre Yéhouda Pen, où il ne reste que deux mois. Il part pour Saint-Pétersbourg et fréquente l’école fondée par la Société impériale pour la protection des beaux-arts, qu’il quitte en 1908.
    1908.	Chagall rencontre le très influent Vinaver, mécène et député à la Douma. Vers la fin de l’année, muni d’un mot de recommandation, il se rend chez Léon Bakst, alors directeur de l’école Zvantseva, école de tradition libérale et avant-gardiste. C’est la porte ouverte vers un art nouveau.
    1909.	A l’automne, dans sa ville natale, il fait la connaissance de Bella Rosenfeld, cadette d’une famille de bijoutiers fortunés et étudiante à Moscou.
    1910.	Lors de l’exposition des élèves de l’école Zvantseva, il présente la Noce et le Mort. Grâce à une bourse offerte par Vinaver, il quitte Saint-Pétersbourg pour Paris où il fréquente les académies de la Palette et de la Grande Chaumière.
    1911.	Chagall s’installe dans un atelier de la Ruche, où vivent Laurens, Archipenko, Léger, Modigliani... et peint ses premiers chefs-d’œuvre. Il se lie d’une très forte amitié avec Biaise Cendras et rencontre Max Jacob, André Salmon et Guillaume Apollinaire.
    1912.	Il expose trois toiles au Salon des indépendants et participe au Salon d’automne (où il montre le monumental Golgotha) grâce à l’invitation du
    Marc Chagall et Bella Rosenfeld, 1910. Photo D. R.
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    sculpteur Kogan, de Delaunay et de Le Fauconnier. Par l’intermédiaire d’Apollinaire, il rencontre Herwarth Walden, directeur de la galerie Der Sturm à Berlin et protecteur des arts.
    1913.	Il expose Naissance et Adam et Eve au Salon des indépendants.
    Il participe également au Salon des indépendants d’Amsterdam.
    1914.	Il présente le Violoniste et VAutoportrait aux sept doigts au Salon des indépendants. En juin-juillet a lieu sa première exposition personnelle à la galerie Der Sturm. Il se rend à Vitebsk pour un bref séjour, mais la déclaration de guerre l’empêche de rentrer à Paris.
    1915.	Il épouse Bella le 25 juillet à Vitebsk. Il rencontre de grands poètes russes : Alexandre Block, Serge Essenine, Vladimir Maïakowsky et Boris Pasternak.
    Il expose au Salon artistique de Moscou.
    1916.	Naissance de sa fille Ida le 18 mai. Il présente à Saint-Pétersbourg
    63 tableaux peints à Vitebsk, puis expose à la galerie Dobitchine de Moscou. En novembre, 45 de ses œuvres sont montrées au Valet de carreau à Moscou.