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  • Marc Chagall

    Marc Chagall


    Памер: 69с.
    Парыж 1995
    66.03 МБ
    Le Poète ou Half Past Three, 1911, huile sur toile, 196 x 146 cm. © The Philadelphia Muséum of Art. D. R.
    un violoniste entre ciel et terre) sont à l’image d’une langue qui unifie le pur et l’impur sans solution de continuité. Le yiddish a ainsi une prédilection pour le proverbe imagé, la métaphore poétique, l’expression incongrue, l’humour fondé sur le non-sens, qui agit comme un processus de défense face à la réalité. L’autodérision, si fréquente dans les œuvres de Chagall, est, dans le yiddich, une figure de style. Méfions-nous cependant de l’interprétation naïve qui ferait de certaines toiles la simple transposition de proverbes. Chagall n’est pas un peintre littéraire. Il entretient avec la syntaxe et la logique du yiddish des relations beaucoup plus subtiles que celles de la traduction. Chagall considère que si le yiddish constitue son véritable socle mental, c’est que «ces locutions et ces proverbes, au fond, sont devenus populaires parce que des milliers de gens comme moi y avaient chaque jour recours pour exprimer leur pensée. Si un charretier s’en sert, de ces images, ce n’est pas de la littérature.»
    une grande partie des découvertes de la modernité, tout en conservant son identité de peintre russe juif; les corps en apesanteur, le kaléidoscope chromatique, la déformation sont comme une concession à l’interdit mosaïque. L’art qu’il invente est alogique, plus proche de celui de la poésie surréaliste que de l’art de Malévitch.
    La culture de Chagall s’enracine avant tout dans une langue qui, comme son œuvre, est une langue du métissage. Plus qu’une source d’inspiration, c’est la structure même de cette langue qui sert de métaphore à son art. Formé à partir de l’hébreu, le yiddish accueille d’autres langues, en un mélange où chaque composant garde sa saveur. L’impossibilité de ranger le style du peintre parmi les «ismes» du XXe siècle, ses emprunts aux différentes tendances avant-gardistes, le collage volontaire d’éléments hétérogènes provenant de religions et de cultures différentes, (un christ en croix vêtu en juif traditionnel, des paysans robustes et
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    Arrivé à Paris, le peintre apporte dans ses bagages tout son pays natal. A la Russie, aux ânes et aux autres, (1911) le Village et moi, (1911) et VAutoportrait aux sept doigts (1912) sont des images dans lesquelles son passé prend les allures d’une fable et qui marquent son attachement à l’imagerie russe populaire. Ici une fermière, allant traire une vache sur un toit, s’envole et perd sa tête en chemin. Là, le visage vert d’un paysan et une tête d’animal, les deux d’une taille démesurée, se détachent sur un fond où de minuscules isbas colorées, certaines avec le toit dirigé vers le bas, grimpent au ciel.
    Ailleurs, l’espace du village va jusqu’à entrer dans l’atelier parisien de Chagall. Le peintre, une palette dans la main droite, caresse avec sa main gauche - pourvue de sept doigts ! - une toile représentant son pays natal, comme en miniature. Il tourne le dos à l'emblème de la modernité qu'on voit par la fenêtre, la tour Eiffel.
    Ce n’est qu’un an plus tard, avec Paris vue par une fenêtre (1913), que le paysage de la capitale, traité
    De gauche à droite : l'Homme à la Thora, 1914, encre et gouache sur papier, 22,5 x 18,1 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat. Page de titre pour le Prestidigitateur, 1914, encre noire sur esquisse au crayon sur papier blanc collé sur papier gris, 30,5 x 21,8 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    Le Rabbin au citron, 1914, huile sur toile, 100 x 80,5 cm. © Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Dusseldorf.
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    à la manière orphiste de Delaunay, en couleurs transparentes, devient le centre du tableau. Mais le souvenir et la nostalgie sont tenaces; deux hassidim, vêtus de noir, flottent sur la droite de l’image. «Paris, tu es mon second Vitebsk», déclare le peintre.
    L’«exotisme» de la peinture de Chagall, comme la «naïveté» de l’œuvre du Douanier Rousseau, a immédiatement conquis les artistes contemporains. Volontairement ou non, le peintre exploite la situation : Vitebsk, qui était en réalité un centre
    urbain et culturel relativement important, relié par le chemin de fer à Moscou et à Saint-Pétersbourg, prend ainsi de plus en plus l’allure d’un village perdu dans l’immense Russie, indifférent aux rumeurs du monde contemporain. L’artiste réussit à imposer un stéréotype nostalgique qui exerce un charme puissant sur le milieu cosmopolite de l’avant-garde des grandes métropoles.
    Les visions magiques de Chagall séduiront les sur-réalistes. Mais le monde imaginaire de l’artiste reste ancré dans un temps et un espace bien délimités.
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    La spécificité du langage chagallien réside dans le lien étroit qu’il tisse avec la culture de ses origines. Le personnage volant, qui défie constamment les lois de la pesanteur, est une figure traditionnelle que l’on trouve dans les expressions de la langue juive et dans la littérature de la fin du XIXe siècle. C’est le Luftmensch, l’homme qui flotte, littéralement «l’homme de l’air», mis en scène dans les pièces du pionnier de la littérature yiddich, Sho-lem Aleichem - Chagall en crée d’ailleurs les costumes et les décors. «Opssimiste» désespéré,
    De gauche à droite : le Juif en prière, 1914, huile sur toile, 104 x 84 cm.
    Galleria Internazionale d'Arte Moderna di Ca' Pesaro, Venise. © Scala.
    N'importe où hors du monde, 1915, huile sur toile, 56 x 45 cm. Collection particulière, Suisse. D. R.
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    De gauche à droite et de haut en bas : l'Homme dans la neige, 1913, gouache sur papier, 41x31 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    Le Marchand de journaux, 1914, huile sur toile, 98 x 78,5 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris.
    Les Portes du cimetière, 1917, huile sur toile, 87 x 68,5 cm. ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photo Ph. Migeat.
    inventeur infatigable de châteaux en Espagne, le Luftmensch a «les pieds à Vitebsk et la tête parmi les étoiles» (Alexandre Kamenski). A l’instar des personnages de Gogol qui reculent sans cesse les frontières du réel - Chagall illustre le Révizor -, le Luftmensch est un provincial en quête d’épopée, un mélange de stagnation et d’envol, de tragédie et de comédie, de bon sens et de non-sens. Grand connaisseur des expressions bibliques, qu’il déforme et réactualise à sa guise, il croit ferme dans la possibilité d'adapter la réalité à ses rêves. Le Luftmensch est la version ironique, parfois grotesque, de l’homme sans attaches, de l’acrobate à la recherche de l’équilibre, du Juif errant. Injustement accusé d’être sans racines... Ses racines sont tout simplement aériennes, comme celles de certaines plantes rares. Le Luftmensch est l’allégorie de toute l’œuvre du peintre juif, la figure de style d’un art détaché du sol. Tragique mais souriante légèreté de l’exil...
    Au-dessus de Vitebsk. Exécutée en Russie en 1914, période d’un certain retour à l’ordre, cette vue plutôt réaliste est contrariée par un vieillard, balluchon sur l’épaule, qui prend son envol derrière l’église. Un Luftmensch, mais aussi un mendiant, désigné couramment en yiddish comme «celui qui marche par-dessus la ville». Des mendiants, mais aussi des rabbins avec un citron sur la tête, des rouleaux d’écritures dans le ciel, des acrobates portant le talith (un châle employé pour la prière), les thèmes juifs traversent l’œuvre de Chagall. Non que l’artiste soit le premier à montrer la vie de son peuple. D’autres, comme son maître, Pen, se sont attachés à en présenter les scènes quotidiennes, mais toujours de façon académique. Chagall a transformé ces personnages en symboles visuels où le magique côtoie le naturel. Le sentiment d’exaltation qui se dégage des gestes les plus ordinaires se nourrit des légendes qui ont enchanté son enfance. Son vagabondage fantastique s’inspire du hassidisme, mouvement spirituel et
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    CHAGALL ET LE THÉÂTRE
    A partir de 1917, le théâtre offrit à Chagall un champ de création exceptionnel. Avant de produire pour le Théâtre juif de Moscou ses œuvres scénographiques les plus accomplies, Chagall fit ses armes au théâtre de l'Ermitage dans deux pièces de Gogol qui ne furent que des expériences avortées, puis au Théasatrev - Théâtre satirique révolutionnaire -qui lui commanda les décors et les costumes du Révizor de Gogol. Chagall se sentait en complicité avec l'univers
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    de Gogol qui, comme lui, s'attachait à révéler l'essence de la vie russe, mêlant rêve et réalité, quotidien et fantastique, jouant des paradoxes et des métaphores.
    Si les costumes du Révizor conservaient un certain réalisme, le décor était résolument constructiviste. Quant au décor imaginé pour le Baladin du monde occidental que montait le Studio-théâtre de Stanilavski, il se montra trop complexe, trop pictural, pour convaincre la troupe qui refusa le projet.
    Maquettes de costumes pour le Révizor de Gogol, de gauche à droite : l'Ouvrier, 1920, encre et gouache sur papier, 35,8 x 26,6 cm;
    le Juge et l'Inspectrice des écoles, gouache et crayon sur papier, 32,3 x 22,2 cm.
    ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photos Ph. Migeat.
    De gauche à droite : maquette de décor pour le Révizor de Gogol, 1920. (décor avec le petit train), crayon et aquarelle sur papier, 22,5 x 29,4 cm.
    Maquette de décor pour le Baladin du monde occidental de Synge, peinture noire, crayon et gouache sur papier, 40,7 x 51,1 cm.
    ©MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Photos Ph. Migeat.
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    Décors pour le Théâtre Juif, 1920, tempera et gouache sur toile; ci-dessous, de gauche à droite : la Musique, 213 x 104 cm; le Théâtre, 21 2,6 x 107,2 cm; la Danse, 214 x 108,5 cm.
    Ci-contre : soirée Sholem Aleichem au Théâtre juif de Moscou, 1921, décor de Marc Chagall. Photo D. R.
    Galerie Trétiakov, Moscou. © Fondation P. Gianadda, Martigny.
    populaire né au XVIIIe siècle en Europe orientale. Contrairement au judaïsme officiel, le hassidisme croit que l'extase, l’enthousiasme, le chant et la danse rapprochent l’homme de Dieu. «Le hassid entretient des liens de complicité avec l’ensemble de la création, à commencer par le règne animal» (Michel Makarius); de là vient le bestiaire qui peuple toute l’œuvre de Chagall.