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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Il était sûr, il ne savait pas pourquoi, que tout à fait par hasard, à un moment précis, de la même manière inattendue comme apparaissaient les images poétiques, viendrait l’inspiration et il devinerait où était caché le pistolet. Il s’en arme­rait. Il tuerait son premier fasciste. Il en serait fini avec ses tourments à cause de ce que durant les trois mois passés au front, les mois d’une retraite terrible et honteuse, lui-même, personnellement, n’avait même pas tué un seul fasciste; il avait été encerclé trois fois et jamais il n’avait tiré à bout portant, pour voir tomber un ennemi, voir que c’était notamment sa balle qui avait tué un d’entre eux.
    Resté seul, il écrivait des vers, il s’etait mis à le faire à peine rétabli, quand il n’était pas encore sûr qu’il survivrait. Il voulait que quelque chose restât après sa mort; d’ailleurs, étant prisonnier, il avait perdu tout ce qu’il avait écrit. Evidemment, ce que les Allemands saisissent disparaîtra sans
    laisser d e trace. Il n’écrivait pas pour la grande littérature. Il pensait à sa mère, il fallait qu’elle sache de quoi il vivait durant ses derniers jours.
    Il écrivait ses vers dans un cahier d’écolier qu’il cachait sous son matelas. Les hitlériens avaient renversé son lit, heureusement, le cahier n’avait pas attiré leur attention, ils auraient pu savoir sa colère et sa haine. Après cette visite il apprit les vers par coeur et brûla le cahier dans le poêle, pour ne pas jouer un mauvais tour à Olga. Le désir de laisser après sa mort des vers médiocres (il n’avait pas d’illusions quant à leur valeur), main­tenant cela lui paraissait naïf. Pendant le temps de sa maladie il était devenu beaucoup plus viril et endurci qu’il ne l’avait été au camp. Ses idées, ses aspirations étaient autres. Mais il ne pouvait pas se passer des vers, son coeur brûlait de désir d’écrire.
    La seule chose qu’il prenait sans demander la permission à Olga, ce fut des bouts de papier: des feuilles d’un manuel déchiré, d’un vieux cahier, des lambeaux de tapisserie. II y notait les vers qu’il faisait. Puis il les apprenait par coeur et brûlait les bouts de papier. Sans laisser de traces. Ce n’est que Svéta qui en parlait parfois à sa mere, en montrant le poêle du doigt:
    — Ch — ch...
    Mais Olga ne comprenait pas, elle croyait que sa fille lui demandait d’allumer le feu.
    Il aurait bien voulu sortir, se promener dans la rue, pour donner de la force à ses jambes amollies. Olga ne lui permettait pas de sortir, elle avait peur qu’une fois sorti, il ne reviendrait plus. Bien sûr, il aurait pu sortir sans sa permission mais pour le faire il lui fallait demander un pardessus. Enfin le jour vint où Olga lui donnait la pelisse de son père. Elle lui permit de sortir, en le priant de ne pas quitter leur rue.
    Il sortit un soir, avant le couvre-feu. La ville s’était couverte d’une brume froide. Les arbres s’embellissaient de givre qui couvrait les branches. Aless aimait le givre, il écrivait beaucoup de cette beauté d’hiver. La fumée montait au-dessus des cheminées des maisons de bois de la Komarovka, comme dans un village, il en fut profondément touché. Il se souvint d’une ligne de Griboédov ,,La fumée de la Patrie nous est douce et agréable11. Il est vrai, elle était douce, cette fumée, elle sen­tait bon, même celle venant des maisons où on se chauffait à la tourbe.
    Mais cette beauté paisible et ce calme lui firent peur. Ce n’était pas le silence, mais le fait de l’avoir admiré, d’y avoir cru. Il humait avidement l’air froid comme s’il venait de sortir d’un sous-sol, il le humait profondément et en avait le vertige. Surmontant sa faiblesse, il marcha le long de la rue. La marche fit reculer sa faiblesse. Il se dit tout de suite: ,,Où est la maison de Léna Borovskaïa?11 Après la visite des fascistes Léna ne venait plus chez eux. C’est notamment aujourd’hui qu’il vou­lait lui parler, bien qu’il ne sût pas ce qu’il pou­vait lui dire, mais il était sûr que leur causerie rendrait tout plus clair. Quand il fut de retour il eut une grande envie de demander à Olga oû ha­bitaient les Borovski, mais il n’osa pas le faire et commença de loin:
    — Pourquoi est-ce que Léna ne vient plus?
    — Tu languis après elle? demanda Olga avec ironie, toujours sur ses gardes, puis elle lui ex­pliqua sévèrement: Elle n’est pas d’humeur à s’amuser, elle doit gagner sa vie, sa famille souffre la faim.
    Mais il eut de la chance. A sa troisième sortie il rencontra Léna dans la rue. Il faisait plus froid que d’habitude, le ciel était devenu pur, à l’Ouest il était recouvert d’une rougeur funèbre, la neige
    craquait sous leurs pieds. La joie de Léna fut na­turelle et sincère.
    — Tu sors déjà? Que c’est bien!
    Auparavant ils avaient parlé comme deux an­ciens amis qui ne s’étaient pas vus depuis long­temps, qui avaient quelque chose à se dire, main­tenant cette rencontre inattendue les rendit con­fus, ils ne savaient pas par quoi ils devaient com­mencer. Leur causerie prit son cours naturel quand Léna lui demanda ce qu’il allait faire, où voulait-il travailler, le métier qu’il avait appris. Elle devint triste ayant appris qu’il ne possédait aucun métier, il n’avait pas eu le temps de le faire: étudiant de troisième année d’un institut pédagogique, il fut appelé sous les drapeaux. Mais elle se réjouit dès qu’il eut dit qu’il avait travaillé dans une rédac­tion militaire.
    Elle lui proposa:
    — Viens chez nous, à l’imprimerie. Je vais parler au chef d’atelier. Il est bon, notre Hans.
    — Votre Hans? Bon? fit Aless d’un ton douteux et éveillé.
    Léna le comprit et dit, en souriant:
    —• Nous l’avons surnommé Ivan Ivanovitch. Ce­la lui plaît. C’est vrai, il est bon et... confiant. C’est bien qu’il soit confiant.
    Aless qui savait ce que c’était une imprimerie pouvait s’imaginer comment pourrait-on profiter de la confiance du chef allemand. Peut-être, s’étaitil imaginé beaucoup plus que ne pouvaient le faire Léna et ses amis en ce moment-là.
    Il regarda en arrière et demanda tout bas:
    —■ Les nôtres, comment vont-ils?
    Léna poussa un soupir:
    — On n’a pas de nouvelles depuis huit jours.
    Aless comprit son soupir de regret et tout à coup il prononça d’une façon inattendue pour lui-même:
    — Il y a une personne qui a un poste de radio.
    — Olga? devina Léna, car ce jeune homme, qui venait de sortir dans la rue après s’être rétabli ne pouvait connaître personne d’autre. Ses yeux bril­lèrent d’un éclat où on pouvait lire beaucoup plus qu’une simple curiosité. — Et vous l’écoutez?
    — Tu parles! Si Olga osait l’écouter...
    — Oh, Olga peut faire des choses tout à fait imprévues.
    — Mais pas une preuve d’héroïsme.
    Aless lui parla dans quelles circonstances Olga lui avait dit qu’elle possédait un poste de radio. Il ne dit rien quant au pistolet.
    Le chef du groupe avait prévenu qu’il fallait être prudent dans les rapports même avec ce prisonnier: il avait quitté le camp sans trop de peine. Mais Léna ne pouvait y consentir, car elle savait toute la gravité de sa maladie, elle l’enten­dait, à peine repris ses sens, lui demander d’une voix faible: „Les nôtres, comment sont-ils?** Elle se souvenait de la joie qu’il avait exprimée quand elle l’avait félicité à l’occasion de la fête d’Octobre et qu’Olga avait proposé de célébrer cette fête. C’est pourquoi, sans trop de ruse de conspiration, elle lui dit:
    — Il faut prendre le poste.
    — Comment?
    — Réfléchis. Ce sera ta première mission de combat.
    Léna ne pouvait pas s’imaginer toute la gamme d’émotions qui avait envahi Aless après ses mots „mission de combat*', car ces mots lui découvraient quelque chose. En son nom, Léna ne l’aurait pas dit. Il y a quelque temps elle lui avait dit qu’il y avait dans la ville des gens, des communistes, prêts à commencer la lutte. Donc, elle parlait de la part de ces gens, qui le chargeaient de cette mission. Il devait absolument remplir cette mission! Dès
    le premier abord le devoir ne lui sembla pas trop compliqué: s’il réussit à demander bien à Olga... Mais Léna l’avait prévenu qu’il ne devait pas dire à Olga qui l’avait chargé de prendre cette radio et ce serait encore mieux de ne pas lui dire qu’ils s’é­taient vus; s’il réussit à avoir le poste, quelqu’un d’autre viendra le chercher. Il comprit mainte­nant que la mission n’était pas si facile et si simple que ça.
    Il se sentait à son aise de parler avec Léna, com­me s’il parlait à sa soeur. Bientôt ils se dirent adieu.
    — Il ne faut pas qu’on fasse attention à nous. Ces cancanières de la Komarovka sont bavardes comme des pies. Et Olga est jalouse. Elle ne permet­tra à personne de convoiter ce qui lui appartient, comme elle croit. Lépa eut un sourire forcé, sé­rieux, pour montrer qu’elle ne plaisantait pas.
    Aless se troubla, comme une jeune fille, il lui sembla que Léna avait appris la conversation qu’il avait eue avec Olga après cette perquisition de nuit.
    Il se proposait de parler à Olga le soir même. Mais elle revint, après sa sortie commerciale, maus­sade, de mauvaise humeur. Auparavant, il aurait tâché de la mettre en belle humeur. Maintenant leurs rapports étaient devenus plus compliqués. Après cette fameuse conversation il se sentait éveillé et peureux. Il avait peur de la force d’Olga et de sa faiblesse, à lui; c’est pourquoi il était in­quiet et confus beaucoup plus qu’auparavant quand il était malade. Comment commencerait-il la conversation à propos du poste? Il devrait y avoir un autre contact d’âmes. Quel contact? Comment le régler? Ce n’est que vers le soir suivant qu’il lui sembla qu’Olga fût de bonne humeur, un peu fa­tiguée, mais douce. Toute la journée il se disait qu’il n’avait plus le droit de remettre sa conver­
    sation, qu’on avait besoin du poste non pas pour s’amuser, mais pour lutter, et, quand il s’agissait de la lutte, chaque heure avait de l’importance, sans parler des jours.
    Le soir, au moment du souper, Olga regarda attentivement son visage et demanda:
    — Pourquoi as-tu mauvaise mine? Rien que tes yeux qui brillent. Je te nourris pas assez, ou quoi? Mange davantage.
    — Merci. Je mange assez.