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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Sehr gut! approuva le chef et donna un coup de poing dans le ventre d’Aless, il est vrai, sans force, mais pour montrer à Olga en riant qu’il fallait mieux nourrir son mari: évidemment, celui qui était descendu dans la cave lui avait dit que le Russe n’avait pas pu déplacer un tonneau. Ou, peut-être il avait dit qu’il y avait beaucoup de choucroute dans la maison et il conseilla de don­ner à Aless de la choucroute. Finalement, ils voulaient plaisanter. Ils voulaient être généreux. Les plus généreux. Ils croyaient l’être. Les plus raisonnables. Le principal et le plus „généreux11 caressa même la tête de l’enfant, les cheveux soyeux et blonds de Svéta. Son mouvement, sa
    main tendue tout à coup, firent peur à Olga et à Aless. Mais il la caressa avec douceur et dit quel­que chose à propos des Allemands et des Biélo­russes, à propos des Aryens. Ne voulait-il pas prou­ver que les Biélorusses appartenaient à la race aryenne? Il aurait recherché l’amitié? Il était un politicien, cet Allemand. Aless comprenait les mots politiques, les mots des journaux mieux que les mots de la vie quotidienne. Avant de partir ce „politicien** prononça encore un discours où on pouvait entendre le mot ,,danke“; bien sûr, il ne les remerciait pas, l’intonation était autre, il leur aurait conseille de les remercier, ses compa­gnons et lui, pour avoir pillé d’une façon si bonne et si paisible. Et Olga répéta:
    — Danke, danke, monsieur le chef. Que tes enfants en jouissent, qu’ils se couvrent d’escarres.
    Quand les Allemands furent sortis et que la voiture fut partie, encore plus vite qu’elle n’était arrivée, faisant du bruit sur le sol gelé, Aless et Olga se turent pendant un long moment. Ils se tenaient debout, sans se regarder, comme si quel­qu’un d’eux eût été coupable de tout ce qui s’était passé. Mais maintenant, sorti indemne, Aless ne reconnaissait plusses torts, si, après cette intru­sion, il avait été saisi et emmené avec eux, il se serait cru fautif: l’idée d’avoir fait malheureuse la femme qui l’avait sauvé l’aurait tourmenté.
    Non, Olga ne se taisait pas, tout doucement, avec une tendresse particulière, elle berçait l’en­fant, sa berceuse n’avait pas de paroles, c’était un air éternel, connu de toutes les mères du monde, la musique de son âme.
    Personne n’était allé pour fermer la porte bâ­tarde ou la porte de la maison. A quoi bon? Il n’y aura plus de pillards.
    La petite s’était rendormie et Olga la porta dans la chambre à coucher où elle se remit à chanter la
    berceuse. On entendait le grincement habituel du berceau de bois à bascule.
    Sortie de la chambre à coucher, Olga lui de­manda, presque à haute voix, montrant les objets qui traînaient dans la salle:
    — Qu’est-ce que cela signifie donc?
    Il répondit d’une voix coléreuse:
    — Le fascisme! C’est le fascisme! Et vous... vous avez voulu vivre à côté de lui... faire du commerce! Maintenant vous voyez... voyez? Mais ce n’est que... ce n’est rien... Un petit cambriolage! Si vous aviez vu ce qu’ils font là-bas!... Non! Il faut les battre, battre! Que la terre brûle sous leurs pieds! Comme l’a dit Staline...
    Il faillit crier ces derniers mots. Olga se pré­cipita tout à coup vers lui, saisit sa tête, ferma sa bouche avec ses mains et chuchota d’un ton non moins coléreux:
    — Tais-toi! Tais-toi! Vermine! Un dégénéré bolchéviste! elle le repoussa avec force.
    Cette volte-face, si inattendue, abasourdit Aless. Il savait son état d’esprit, il savait qu’elle n’était pas la meilleure citoyenne soviétique, qu’­elle était une marchande, une petite bourgeoise, mais en même temps ses actes tels quesonrachat, ses soins inhabituels d’infirmière quand il était malade, la célébration de la fête d’Octobre l’éton­naient, il ne les comprenait pas. Mais ce ,,un dé­généré bolchéviste!1' il ne s’y attendait pas, il ne pouvait pas le placer dans n’importe quelles contradictions, de son caractère, elle humiliait le meilleur de sa vie. S’il avait son vêtement, si ce n’était pas la nuit quand on n’irait pas loin sans ausweiss il quitterait sans tarder cette maison.
    Olga comprit que le coup porté était trop fort, elle pensa encore que lui, ayant été offensé, pour­rait quitter la maison, elle eut peur. Sans souliers, elle n’y prêta pas attention, elle sortit en courant
    pour fermer la porte bâtarde, puis elle ferma les portes du corridor et de la cuisine.
    Elle rentra et se mit à ranger les objets, mais on aurait dit qu’elle le faisait malgré elle, comme si elle ne savait pas comment ranger tout cela après cette incursion. Ou, peut-être, elle s’était penchée pour ne pas voir les yeux d’Aless. Lui, il se taisait aussi, parce qu’il ne savait pas ce qu’il pouvait dire après ses propos offensifs. Puis, quand tout à coup Olga s’assit sur un tas d’habits et pleura, cachant le visage dans une robe froissée, il eut pi­tié d’elle: au bout du compte, il ne doit pas oublier qu’elle est une femme simple, peu consciente, ce serait bien de développer les meilleures qualités de son caractère.
    Aless s’approcha d’elle et lui dit d’un ton pai­sible:
    — Il ne faut pas pleurer, Olga Mikhaïlovna. Pourquoi êtes-vous affligée? Qu’est-ce que vous avez perdu? Des pelisses? Des cuillers? Est-ce la tragédie des millions d’hommes? Ils perdent leurs fils, leurs parents...
    Elle montra son visage, leva les yeux et dit, sans méchanceté:
    — Ne piétine pas sur les habits.
    Oubliant tous ces chiffons sur le plancher, il avait marché, sans le vouloir, sur une blouse. Il s’avisa de son erreur, se troubla, faillit avoir peur:
    — Excusez-moi.
    Olga poussa un soupir.
    — Je t’ai pris, c’est mon malheur.
    Encore un coup, non moins douloureux, ré­ponse à sa tentative de rapprochement, il avait voulu lui faire comprendre que malgré ses propos offensants il l’estimait toujours... On peut par­donner ,, vermine* * à une femme coléreuse et apeurée. Mais ses paroles, énoncées d’un ton calme, que lui,
    un prisonnier, c’était son malheur, ce n’était plus un outrage, mais c’était une forme délicate, im­pitoyable: ,,Va t’en d’ici, de ma maison!**
    Bon, il fallait s’y attendre aussi. Il lui savait gré: elle l’avait sauvé d’une mort douloureuse, lui avait donné un mois de vie et de confort. Main­tenant il devait penser à lui-même. A proprement parler il n’avait qu’une seule préoccupation — regagner les rangs, de trouver sa place dans la lutte contre le fascisme. Maintenant, quand il avait repris des forces, qu’il était en liberté, ce serait facile à le faire. Comme on dit, il y a de braves gens partout. Il y en a pas mal à Minsk, de ces braves gens. On l’aidera.
    Il recula doucement d’un pas et dit:
    — Excusez-moi. Demain matin je m’en irai. Je vous remercie.
    Olga ne lui répondit pas tout de suite. Elle se leva, prit le tas d’habits dans ses bras et le jeta sur la table. Puis tout à coup elle se tourna de son côté et le regarda de ses yeux secs et ardents, sans aucun trouble, sûre d’elle, autoritaire, elle était redevenue la même qu’Aless avait observée durant tout un mois après qu’il eut repris ses sens.
    — Où est-ce que tu iras donc? Tu n’iras nulle part! Je ne te laisserai pas partir!
    Elle ne pensait pas, elle ne pouvait pas s’ima­giner que ces bonnes paroles porteraient la bles­sure la plus forte et la plus douloureuse au jeune homme, qu’elle l’outrageait d’une façon la plus humiliante. Il voulut crier: ,,Tu crois que si tu as payé en or pour moi, je suis ton esclave à vie?“ Mais elle le devança et demanda d’une voix pres­que menaçante:
    — Tu veux aller chez Léna Borovskaïa?
    Aless se troubla, il est vrai, tout d’abord il s’était souvenu de Léna, en pensant à ceux qui l’aideraient.
    — Qu’est-ce que vous dites!... Pourquoi chez elle? Qu’est-ce que j’y ferai?
    Alors l’extraordinaire arriva; lui, un poète, un créateur, il n’y avait jamais pensé bien qu’il eût donné libre cours à sa fantaisie lors de ses nuits blanches. Olga se jeta vers lui, serra sa tête dans ses bras, le baisa sur le front, les joues, la bouche, tout ne chuchotant:
    — Je ne te laisserai pas partir! Je ne te donnerai à personne! Je t’aime! Je t’aime, mon petit im­bécile... Je n’ai pas aimé mon mari comme...
    Il n’aurait pas pu l’imaginer, non seulement pour lui, mais pour le héros de son futur poème qu’il allait écrire après la guerre s’il restait en vie. Il est vrai, il réfléchissait parfois avec angoisse: cette marchande pratique, ne voulait-elle pas se l’approprier comme son bien particulier? Cette idée le préoccupait un peu: d’ailleurs, elle avait du charme et il aimait l’enfant. Mais cette perspec­tive le faisait rire, il était sûr qu’il tiendrait bon face à n’importe quelle tentation pareille, qu’il aurait assez de forces et de caractère parce que ce n’était pas le moment de penser à cela.
    Les baisers inattendus d’Olga, sa déclaration d’amour après tout ce qui était arrivé, ainsi que ses propos cruels, le rendirent confus, comme un écolier, il ne pouvait pas prononcer un seul mot, il ne savait que dire ni que faire dans cette situation. Comment ferait-il preuve de sa force et de son ca­ractère sans blesser, sans offenser la femme? Lui dirait-il qu’il ne l’aimait pas et qu’il ne l’aimerait jamais? Etait-il franc? Ne la trompait-il pas, ne se trompait-il pas? Lui dire qu’en ce moment il ne fallait pas penser à l’amour? Elle ne compren­drait pas. Lui, il était sûr que même la guerre ne pouvait pas étouffer les meilleurs sentiments hu­mains, les plus nobles et les plus beaux. Mais il ne pouvait passe laisser attendrir, par les baisers
    d’une femme, il n’en avait pas le droit! Il fallait rester un homme!
    — Olga Mikhaïlovna! S’il vous plaît, il ne faut pas. Je vous en prie... C’est déplacé, tout ça. Non, bien sûr, je vous remercie. Mais faisons plutôt ce que nous devons faire, il faut mettre de l’ordre...
    Peut-être, eut-elle honte de son élan inattendu. Elle recula. Sans le regarder. Elle poussa un gros soupir, puis elle s’assit sur le matelas éventré du canapé, serrant son manteau contre elle, comme si elle avait froid. Il se tenait debout devant elle, la regardant attentivement pour la première fois, auparavant il n’avait jamais osé le faire, il crai­gnait qu’elle pût avoir une mauvaise idée. Enfin, il voulait comprendre cette femme, énigmatique pour lui dès le moment quand leurs regards s’é­taient croisés à travers les barbelés du camp, cette femme, pleine de contradictions à merveille, il avait vécu vingt ans, mais il n’avait jamais ren­contré autant de contradictions dans un caractère humain. Vingt ans, cela veut dire quelque chose quand l’homme croit avoir connu tous les mystè­res du monde. Qu’est-ce qu’elle est? Qui est-elle? Une marchande? Une bourgeoise? Ou, peut-être, porte-t-elle le titre d’Homme et de Mère à la fois? Lui, romantique sublime, voulait toujours écrire ces deux mots avec des lettres majuscules, les prononcer d’un ton sublime.