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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Dans mon pays il a y une source D’eau vive;
    Ce n’est que là que je peux me libérer De ma douleur.
    Ou encore, couchant la petite, elle chantait’ comme une berceuse, les vers qu’Aless avait ré' cité de mémoire, mais, bien sûr, ce n’était pas pour l’enfant, mais pour faire plaisir à Aless:
    Quelle paix dans les cieux, toute chose est sereine!
    La terre se repose en son éclat bleuté...
    Pourquoi ce mal de vivre, alors, et cette peine?
    Faut-il encore attendre ou faut-il regretter?1
    Au choeur de l’école elle avait chanté ,,Zorka Vénéra11. Mais elle ne savait pas, ne se rappelait
    1 Traduit par Charles Dobzynski (N.d.T.).
    pas, que c’était Bogdanovitch qui avait écrit cette poésie. Elle fut intéressée par le sort du mal­heureux poète dont Aless lui avait longuement parlé. Il faut dire que cette introduction l’avait initiée à la poésie de Bogdanovitch, au livre apporté par Léna qui avait causé à Aless plus de joie que ses livres à elle, à Olga. Quand il eut lu la poésie ,,Zorka...“ Olga eut le sentiment de rencontrer une amie d’école et elle lui chanta cette chanson. Aless fut touché. Il semble, que c’est précisément à ce moment-là qu’il lui dit:
    — Tu dois faire tes études, Olga. L’aveu de la fameuse nuit avait un résultat agréable, main­tenant il lui disait toujours ,,tu“, ce qui les rap­prochait en quelque sorte, malgré leur réticence et indifférence apparentes.
    — Quand ferai-je mes études? Maintenant?
    — Pas maintenant, bien sûr. Après la guerre.
    Pourquoi ne l’as-tu pas fait avant la guerre?
    Olga devint sérieuse, elle se fâcha.
    — Tu peux bien le dire, ta mère est une in­stitutrice. Et ma mère est une marchande de la Komarovka. Et après la guerre... Mon Dieu, c’est vrai, tu n’es pas de ce monde, on dirait un ange. Tu ne sais pas ce qu’il y aura après la guerre?
    — Et qu’est-ce qu’il y aura?
    — La famine. L’indigence. On ne songera pas aux études.
    — Nous vaincrons, il n’y aura ni faim, ni indigence!
    — Nous vaincrons... C’est à savoirl Les Al­lemands sont près de Moscou. Tous les haut-par­leurs crient au marché qu’on prendra Moscou demain...
    — Et quand même nous vaincrons: ses joues devinrent roses, ses yeux brillèrent, la voix trem­bla. N’as-tu pas foi en notre victoire?
    Olga savait que sa réaction était douloureuse
    quant à ces conversations. Une fois des policiers étaient venus chez elle, ils avaient bu dans la salle, ils avaient crié qu’Hitler ferait bientôt kaputt à Staline. Après cette visite Aless eut de la fièvre, il délira, Olga eut peur qu’il ne tombât encore une fois malade.
    — Si, je le crois bien.
    En principe, elle tâchait de ne pas prononcer des mots qui auraient pu l’offenser, le blesser, elle reconnaissait toujours ses torts pour lui avoir crié: ,,Vermine!“
    Aless ne crut pas Olga quand elle lui dit qu’­elle était sûre de notre victoire, il tâchait de la convaincre avec ardeur qu’il était impossible de vivre sans cette foi, que s’il la perdait, il ne pourrait vivre une seule journée, il ne s’accroche­rait pas à la vie, car la vie, piétinée par une sale botte allemande, n’avait pas de sens, comme n’a­vait pas de sens la cause qui lui était chère, pour le triomphe de laquelle il vivait.
    Olga était toujours apeurée de ses propos, plu­tôt pas de ses propos, mais de l’ardeur avec laquelle il les prononçait. Elle ne le contredisait pas. Elle ne lui demandait même pas de ne pas en parler à quelqu’un d’autre. Sa force morale la subjuguait. Olga sentait que le pouvoir qu’elle avait exercé quand il était malade disparaissait petit à petit, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire qui le faisait maître, non pas de ses biens, elle ne le craignait pas, mais de ses idées, de ses sentiments, cela lui faisait peur; chose étrange: sa résistance devenait de plus en plus faible. Etaient-ce les vers qui l’avaient ensorcelée, qui l’avaient bercée? Ce n’était pas par hasard qu’elle se disait que le premier livre à couverture improvisée, apporté par Léna, avait de la magie.
    Parfois elle accourait du marché, contente d’une vente ou d’un achat réussis, pleine d’énergie juvé­
    nile, pétillante de santé, elle voyait qu’il y avait de l’ordre dans la maison, Aless, guéri, était devenu une bonne ménagère, en tout cas il savait mieux veiller sur l’enfant que la mère Maryla, Olga éprouvait alors le désir de lui faire quelque chose d’agréable. Elle prenait sa fille, valsait avec elle, sautillait d’une jambe sur l’autre, en chantant:
    Je suis une jeune kolkhozienne...
    D’abord, Aless se mit sur ses gardes: ne se mo quait-elle pas de la vie radieuse qui avait donné de l’inspiration au grand poète, et à lui, jeune poète et combattant, les forces pour ne pas se plier sous l’orage de l’intempérie de la guerre? Mais Olga répéta cette chanson à maintes reprises,sans ironie, sincèrement, avec l’intention de le réjoir. Vrai­ment, il fut heureux de l’audace d’Olga pour avoir chanté cette chanson. Enfin, convaincre, mater son caractère, c’est déjà beaucoup, car le combattant puise ses forces dans le chant, son moral dépend de ce qu’il chante. C’est ainsi que disait le ré­dacteur de leur journal d’armée, Gavron, ancien commissaire de bataillon. Il s’était brûlé la cervelle pour ne pas se faire prisonnier au moment où la rédaction avait été encerclée par les Allemands, Aless, témoin de sa mort, considérait ce fait com­me preuve de courage qui lui avait manqué, c’est pourquoi depuis il éprouvait des tourments d’âme au camp, et ici, chez Olga, durant sa maladie. Maintenant il avait changé d’opinion, ses tour­ments avaient diminué, et il se demandait qui aurait tiré profit s’il avait pourri dans la terre? Les Allemands? Et comme ça il pouvait encore faire la guerre. Même s’il ne devait tuer qu’un seul fasciste, il valait la peine de vivre et de supporter tous les tourments, lutter jusqu’au dernier soupir.
    Sa vie était tout à fait autre que celle d’Olga. Devenu bonne d’enfant, il se préparait à une autre
    action, il voulait rester fidèle au serment prêté l’année précédente. Il trempait son credo, ses idé­aux nobles, il les trempait de la sorte pour que rien ne pût les ébranler, ainsi que sa volonté, pour ne pas reculer à la vue de la mort, des mitrail­lettes ennemies le visant, de la potence. Pour s’en­durcir, il usait de tous les moyens: la poésie, en premier lieu, ses idées, ses rêves, le souvenir de sa mère, les soins donnés à l’enfant dont le père était dans l’Armée Rouge, son amour pour la petite; cet amour pour l’enfant matérialisait son amour pour la vie, les gens, lui rappelant le sens de la lutte et le sens des sacrifices dans cette lutte. Il y avait une chose qui portait préjudice à cette forma­tion morale, c’étaient les contradictions qui exis­taient dans ses rapports et ses sentiments à l’égard d’Olga. Il comprenait qu’il n’avait ni le temps, ni le savoir pour la rééduquer, il aurait voulu la voir changer, la détourner du commerce, de l’accumu­lation des biens. Le sens de la propriété, l’avidité sont les survivances les plus stables. Une fois, Olga, dans un moment de sincérité, lui avoua qu’elle voulait ouvrir une boutique, les Allemands le permettaient volontiers. Comment lui prouver qu’elle devrait répondre devant la loi soviétique? Qui as-tu aidé? Qui as-tu nourri ou as habillé? Les tiens ou l’ennemi?
    Passant des nuits blanches, il réfléchissait à des dizaines et des centaines de variantes: comment adhérer aux rangs des combattants. D’abord, le plus souvent il traversait la ligne du front, puis, après une discussion avec Léna, il se reliait aux partisans, combattait dans la clandestinité à Minsk. Parfois, plein d’orgueil, il se voyait grand héros, insaisissable, mais tout de suite après il se ravisait et se moquait sans pitié de sa fan­taisie. Sa vie de soldat ne lui avait-elle pas prouvé que ce n’était pas simple de devenir un héros dans
    cette guerre? En général, ce n’était pas à la gloire qu’il devait rêver, mais à la réalisation conscien­cieuse de son devoir militaire.
    La déclaration d’amour d’Olga, le fait qu’elle avait un poste de T.S.F. et un pistolet commencèrent à exciter de nouveau sa fantaisie échauffée et impatiente. Parfois Olga était pour lui une per­sonnalité énigmatique, par exemple, une militante clandestine de haute classe, chargée par les nôtres d’accomplir une mission. Mais, toute réflexion faite, il se disait que ce n’était qu’une bêtise: la vie des Lénovitch avant la guerre ne s’accordait pas au fait que la jeune femme avec l’enfant fût chargée d’une mission clandestine. Ses opinions n’y correspondaient point, ainsi que son caractère peureux Un soir, après avoir couché Svéta, la petite n’avait pas envie de dormir, elle faisait des caprices, et qu’ils restèrent tous les deux, res­sentant une certaine gêne, Aless demanda tout bas:
    — Est-ce qu’il fonctionne?
    — Qui?
    — Mais le poste.
    — Oui, je crois.
    — On va écouter Moscou?
    Olga fit de grands yeux.
    — Alors quoi, imbécile, tu t’ennuies sans po­tence?
    En voilà une „militante clandestine11!
    Il n’osa pas lui demander où était caché le pistolet, bien que cette arme, plus que tout autre chose, l’eût privé de sommeil. Il le voyait déjà, ce pistolet, il en ressentait le froid de la poignée, il caressait le canon de métal oxydé. Quand il restait avec la petite, il ne se décidait pas à le chercher: il se disait que c’était malhonnête de fouiller dans la maison d’autrui; tout ce qu’il pouvait faire c’était de jetei un coup d’oeil dans
    l’armoire ou dans les tiroirs de la commode et des tables. Resté seul, il n’était jamais descendu dans la cave, mais il arpentait les chambres, s’arrêtait près des coins où il était possible de cacher un petit objet, marchait, plus souvent qu’il ne le fallait sur une planche de bois qui craquait et faisait ressort. Quelque chose de suprasensible lui suggérait que l’arme était à proximité, cela l’émou­vait. Il savait que les femmes pouvaient cacher les choses tout près, d’une façon simple, mais rusée, tan­dis que les hommes cachaient très loin, mais leurs cachettes étaient plus faciles à découvrir. Olga avait caché le pistolet quelque part tout près, elle le lui avait dit, elle avait avoué la peur qu’elle avait éprouvée quand les Allemands avaient cherché de l’or. Donc, le pistolet était quelque part par ici, elle n’aurait pas eu peur si elle l’avait en­foui quelque part dans le jardin ou dans l’étable.