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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Tu penses toujours, tes idées te travaillent.
    — C’est vrai, consentit-il, comprenant tout de suite qu’il pourrait faire un pont pour passer au sujet.
    Olga soupira, devinant, peut-être, le cours de ses réflexions. C’était déjà quelque chose.
    — Je pense beaucoup... Mais maintenant je pense à ce que tu as...
    — Quoi donc?
    Il jeta un regard en arrière, sur une fenêtre sombre, comme s’il donnait à comprendre ce qu’il allait dire.
    — Pourquoi tu caches toutes ces choses? Encore une perquisition... on mettra tout sens dessus dessous et on trouvera. Tu sais les ordres allemands à ce sujet-là. On ne fait grâce à personne. Et tu as une enfant... Se perdre à cause de son ava­rice...
    Il n’aurait pas dû parler de son avarice. Olga se rejeta en arrière, aspira fortement, ses narines se gonflèrent d’une manière rapace. Mais elle demanda d’un ton calme:
    — Qu’en ferai-je?
    Aless avait prévu cette question, il y avait des réponses. Il avait une variante de lui proposer de vendre le poste. Léna trouverait un acheteur. Mais tout à coup il comprit que cette ruse était déplacée. Ce n’étaient que la sincérité, une confiance abso­
    lue, qui pourraient influencer cette femme, la conquérir. C’était son avis.
    — Il y des gens qui ont un grand besoin du poste.
    Un rictus étrange fit son visage laid, on aurait dit qu’elle eût voulu sourire, mais qu’elle n’avait pas pu le faire, son sourire se figea. Elle se leva doucement, comme si elle eût ressenti une douleur et demanda tout bas:
    — Qui... qui en a besoin? Léna?
    — Pas seulement elle... Ce n’est pas pour écou­ter de la musique.
    Enfin, un sourire méchant rompit ce masque laid. Olga cria:
    — Ah, vous vous êtes bien abouchés! Sorti deux fois dans la rue, et voilà, on se rencontre, on s’en­tend... Ne vient-elle pas chez toi, quand je ne suis pas là? Si je la surprends, je lui en ferai voir de belles, Olga se déchaîna, faisant la nique, se tournant du côté de la fenêtre noire, beaucoup plus furieuse qu’elle ne l’avait été quand elle maudis­sait les Allemands. Attrape! Tu ne verras pas ce poste! je le briserai! brûlerai! enfouirai!.. Je ne le lui donnerai pas! Elle perdra la tête sans mon poste! En voilà une militante! Je vois mainte­nant pour qui elle milite!
    Aless fit un saut de son côté, saisit son épaule, la secoua, chuchota avec colère:
    — Tais-toi! Vite! Tais-toi! Contre qui criestu? Pourquoi cries-tu? Les gens ne se prodiguent pas... Ils veulent savoir la vérité cour la dire au peuple. Ils veulent aider l’Armée Rouge. Tu as dans l’Armée ton mari, ton frère. Ec toi... à quoi penses-tu? A ton bien? A ton ventre? Une vraie bourgeoise!
    Il le dit et... se troubla, il comprit qu’il avait trop dit, il sa tut, attendant qu’Olga lui vida son sac... Mais elle se taisait. Elle le regardait de ses
    yeux grands ouverts où on ne lisait ni de la mé­chanceté, ni de l’indignation, mais plutôt de l’étonnement. Il eut de la peine à respirer. Cette explosion avait brûlé les forces qu’il n’avait pas encore beaucoup. Il baissa la tête et dit tout bas:
    — Nous n’avons pas besoin de ton poste, on s’en passera.
    Il sortit de la cuisine et alla dans sa chambre sans lumière. Il s’assit sur le lit. Son coeur battait fort, la tête lui tournait. De nouveau, comme après la perquisition, quand elle avait crié ,,Vermine!“, il se dit qu’il devait quitter cette maison, s’il avait un peu d’orgueil. Mais de nouveau c’était le soir, bien que ce ne fût pas aussi tard qu’autrefois, les patrouilles étaient surtout vigilantes à cette heure-ci. On ne sort pas sans laisser-passer... Et encore le vêtement... Il serait obligé de s’adres­ser à elle... Peut-être, pour faire un saut chez les Borovski, il n’aurait besoin ni de laisser-passer, ni de vêtements chauds. Mais où était leur maison? Quelque part dans une ruelle à côté, mais il ne savait ni le nom de la ruelle, ni le numéro de la maison, il n’avait pas eu le temps de le demander à Léna, il n’avait pas osé le demander à Olga... Sans doute, pas tout le monde avait un laisserpasser. Mais dans ce cas-là il fallait bien connaître la ville et avoir un objectif sûr, une adresse sûre pour savoir où aller. Lui, il ne connaissait pas la ville, et, sans compter Léna Borovskaïa, il n’avait pas une seule connaissance qui eût pu l’abriter par cette nuit d’hiver. Seules la Gestapo ou la police auraient pu 1’,,abriter".
    Il se tourmentait non seulement au sujet du tragique de sa situation, de sa dépendance servile et honteuse, mais au sujet des paroles blessantes qu’il venait de prononcer. Malgré tout, il devait lui être reconnaissant. Ce n’est pas de cette manière qu’il s’était représenté leur séparation. Il s’était
    imaginé qu’il lui ferait un salut, lui baiserait les mains, lui dirait des mots peu ordinaires. Et ce qu’il venait de dire! Il ne pouvait pas s’imaginer qu’Olga n’eût pas été blessée par ses paroles acer­bes et coléreuses.
    Mais c’était ainsi. Olga, habituée dans son entourage du marché, à des expressions plus cinglan­tes ne fut point offensée pas ses propos, par les reproches qu’il lui avait jetés. Elle ne pense qu’à son ventre? Et qui est-ce qui n’y pense pas? Com­bien qu’il y en a, des saints comme lui? Leur vie est courte par ces temps cruels. Comme celle des papillons. Ce n’est que sous son aile de bourgeoise qu’il peut vivre plus longtemps. Elle y pensait toujours. Son explosion l’avait même réjouie.Quand il l’avait saisie par l’épaule, l’avait secouée, lui avait parlé avec colère. Peut-être, pour la première fois, elle comprit qu’elle avait affaire à un homme.
    Puis elle se souvint qu’il lui avait dit, après la perquisition, qu’il partirait le lendemain, et elle eut peur. Elle comprit tout à coup: ce n’est pas lui qui l’avait offensée, mais c’est elle qui avait offensé ses aspirations et ses sentiments nobles. Il pourrait la quitter. Elle en avait peur. L’idée de son départ lui donnait des frissons pendant la nuit. Elle avait peur de rester seule. De subir en­core des importunités insolentes des policiers... Mais pas seulement pour cela. Le principal était, peut-être, ce qu’à côté de lui elle s’était sentie plus riche et... plus pure. La pureté morale. Aupa­ravant elle ne pensait qu’aux biens qu’on pouvait acheter ou vendre, il y avait les biens moraux qu’on ne pouvait acheter pour aucun argent, on vivait mieux avec ses biens, toute la vie prenait un autre sens. Maintenant elle regardait autrement son commerce, les comestibles, les objets de valeur, elle se disait qu’elle ne serait pas seule à en avoir be­soin, à assurer les besoins de sa fille, comme l’avait
    imaginé la vieille Lénovitchikha. Pour le moment elle ne se figurait pas nettement qui en aurait be­soin et pour quelle raison, mais on aurait dit que ces réflexions la faisaient plus pure et plus riche. Et tout cela, tout cela provenait de ce jeune homme malade. De ses vers. De ses paroles nobles sur la Patrie. De ses élans qui, dès le début, l’avaient fait rire: tiens, bien que tu aies vingt ans, tes idées sont celles d’un garçon... tu t’es gavé de livres, mais tu ne connais pas la vie, tandis qu’elle, la vie, elle est tout à fait autre que dans tes livres. Donc, il s’en suit que cette vie livresque, inven­tée, comme elle croyait, cette vie l’attirait par quelque chose. Peut-être, elle n’était pas si in­ventée? Peut-être, il faudrait vivre autrement? Non, Olga ne rêvait pas, sans doute, à changer sa vie en ce moment, tant que la guerre durait. Elle n’avait pas à souffrir la faim comme les Borovski et à faire mourir de faim son enfant. Mais Olga réfléchissait souvent à unir l’un et l’autre, ses affaires commerciales et l’extraordinaire, le calme de leurs soirées. Elle voulait qu’il lui lût de sa voix douce, tremblante d’émotion quelque chose comme:
    Mes camarades et frères! Si la Patrie, notre mère, Est à bout de forces, en luttant contre le malheur, Aurons-nous assez de courage pour lui donner nos vies, pour tomber, sans plaintes, ni pleurs?!
    et qu’elle restât auprès de lui, une joue posée sur sa main, qu’elle regardât son visage pâle, son aspect vraiment angélique, et qu’elle eût envie de pleu­rer à cause des paroles compatissantes d’un poète, à cause de son admiration devant lui, à cause de sa crainte pour lui... à cause de tout à la fois.
    Non, il faut qu’elle soit sincère à l’égard d’ellemême: elle pensait non seulement à leur affinité
    morale, mais à celle d’un autre genre... Elle n’eut pas honte de lui dire qu’elle l’aimait, qu’elle ne le donnerait à personne. Cet amour ne ressemblait guère à celui pour Adam avant son mariage et après, quand ils étaient ensemble. Ce nouvel amour ressemblait à celui de Blok qu’ils avaient lu tous les deux; maintenant elle lisait du Blok toute seule, le matin, elle ne voulait pas qu’Aless la vît, elle ne savait pas pourquoi, elle avait honte. Il n’y avait que sa jalousie qui était la même, la jalousie qu’elle avait éprouvée à l’égard de toutes les femmes qui ne pouvaient parfois détacher leurs yeux de son Adam. Une fois elle avait battu une receveuse de tramway après l’avoir vue oublier de vendre des tickets et de caqueter à côté d’Adass. Puis elle avait déclaré à la direction du parc de tramways pour que cette receveuse ne fût plus désignée avec son mari, car elle ne voulait pas qu’il se trouvât en prison, qu’il eût une vie humai­ne sur sa conscience, elle en avait assez que son père avait trouvé la mort sous les roues d’un tram­way.
    Olga ne voulait pas reconnaître qu’il pourrait exister d’autres genres de rapports entre un jeune homme et une jeune femme ou une jeune fille. C’est pourquoi elle ne pouvait pas croire que Léna, venant chez Aless,le rencontrant dans la rue, pour­suivait d’autres buts. Elle croyait que n’importe quelle femme, quel que fût son poste, quelle que fût son occupation ne voyait en un homme qu’un mâle.
    Elle était sûre: Léna était liée à ceux qui avaient fait sauter un café pour les officiers dans la rue Komsomolskaïa, qui avaient mis feu à un dépôt à la gare des marchandises, qui étaient mentionnés dans des ordres allemands — saisis, fusillés — mais cette certitude ne diminuait point sa jalou­sie. Plutôt au contraire: elle pensait que si Aless