La Marchande et le poète
Іван Шамякін
Выдавец: Юнацтва
Памер: 323с.
Мінск 1983
Aless alla dans sa chambre, mais tout de suite il en revint, il sortit un objet de la poche de son pardessus et le mit dans la poche de son veston. Olga en fut inquiète; il s’était lié quand même avec les amis de Léna, et maintenant, petit sot, il avait apporté quelque chose de défendu, on le pendrait pour cela.
— Ma petite, encore une cuiller, hein? Regarde, il y a un lapereau qui t’observe par la fenêtre et qui veut savoir si tu as mangé ta kacha.
Elle le dit à Svéta pour la tromper, pour que celle-ci ouvrît la bouche et elle tressaillit elle-même: il lui sembla qu’en réalité des yeux étrangers l’observaient par la fenêtre noire.. Elle n’avait jamais eu peur de rien, et maintenant elle avait peur de son ombre. Elle resta sans bouger, pensa à son sort difficile, au dédoublement de son âme. Il faudrait parler autrement à ce jeune homme, lui mettre du plomb dans la tête, pour qu’il oublie de
se venger des Allemands; il y en a d’autres qui le feront, sans lui. Il fallait enfin faire preuve de son caractère, du caractère de Lénovitchikha. Il est vrai, c’est si vite fait d’avoir un malheur. S’il ne pense pas à lui-même, qu’il pense à elle, à l’enfant. Quant à l’enfant qui n’est pas la sienne, il n’y est pour rien. Staline lui est plus cher, il n’évoque pas aussi souvent sa mère que Staline, ses ordres.
Olga prit sur un ton guerrier, se prépara à une conversation sévère, bien qu’elle ne fût pas encore sûre que la conversation aurait lieu, car elle ne pouvait même pas le menacer lui disant qu’elle allait le chasser.
La petite mangea tout et Olga passa avec elle dans la salle, y porta la lampe et l’appela avec grossièreté d’un ton railleur et menaçant:
— Eh bien, viens ici, mon chéri. Nous devons parler.
Aless ne répondit pas. Olga s’inquiéta.
— Sacha! Tu dors? elle entra dans sa chambre, la lampe à la main. Non, il ne dormait pas, il était couché sur le lit, il n’avait enlevé ni vêtements, ni bottes, auparavant il ne se le permettait pas, il n’avait pas mis ses pieds sur le lit pour ne pas salir le linge, il s’était couvert la poitrine d’une couverture froissée. Il tremblait, il claquait des dents.
Olga mit la lampe sur la table, et se pencha sur lui, effrayée.
— Sacha, qu’as-tu? Tu es tombé malade? Je t’ai bien dit que tu ne devais pas encore te promener. Mon Dieu, tu trembles! Qu’est-ce qui s’est passé?
Aless savait ce qui s’était passé, mais il ne pouvait pas comprendre pourquoi il tremblait si tard après l’événement et il en avait peur: il pensa qu’il était incapable de faire ce travail; il ne se rappelait pas qu’un des héros des livres lus se fût
senti de la sorte après avoir tué un ennemi; au cours des duels on ne tuait pas son ennemi, mais un ancien ami, et puis, le vainqueur quittait tranquillement le lieu de l’accident...,,Donc, je suis un nerveux, mais il ne pouvait pas consentir à son inaptitude: — Ce n’est rien, je tiendrai! Je tiendrai. Les débuts sont toujours difficiles.“
Il voulait dissimuler ses tremblements, c’est pourquoi il avait mis dessus une couverture, espérant, qu’une fois au chaud tout passerait.
Bien sûr, il ne pensait pas avouer à Olga le meurtre qu’il avait commis, il aurait pu le dire seulement à Léna, mais en revanche elle devrait le faire entrer dans une organisation clandestine.
Mais, ayant fait preuve de cette faiblesse enfantine, il se sentait humilié devant la femme et il voulut s’élever d’une façon quelconque, lui dire que ce n’était pas à cause d’une bêtise, d’un rhume, d’un chien ou d’une patrouille qu’il avait eu peur et qu’il tremblait, la cause en était beaucoup plus sérieuse. En bégayant, il avoua:
— Je... j’ai t-tué... un Allemand... un offi-cier...
C’était singulier. Ayant avoué, il tremblait moins, peut-être, parce qu’Olga le tenait par la main, et maintenant ce fut la main d’Olga qui se mit à trembler, qui devint froide.
— Où? demanda-t-elle tout bas, comme si elle était à bout de forces.
— Dans la rue Karl Marx. Dans l’escalier d’une maison où ils habitent, répondit-il aussi tout bas, mais sans bégayer.
— Comment?
— Avec le pistolet.
— Le pistolet?
— Oui, il sortit le pistolet de la poche de son veston, le retira de dessous la couverture et en caressa le canon.
Olga sentit l’odeur de la poudre et comprit finalement que.ce n’était ni un rêve, ni une plaisanterie, mais que c’était vrai.
— Mon Dieu? Qu’est-ce que tu as fait? Qu’estce que tu as fait?! elle se mit à reculer, effrayée, comme si elle se trouvait sur un champ de mines ou sur des charbons ardents. Il rejeta la couverture d’un mouvement brusque, mit le pistolet dans sa poche et dit à haute voix:
— Tâche de comprendre... je ne pouvais pas faire autrement... Maintenant je me sens un homme... un combattant... J’ai tué un ennemi... Quant à cela, c’est par manque d’habitude, de la tête il montra le lit, faisant savoir que sa fièvre était restée là-bas, sous la couverture.
Olga recula jusqu’à la porte, sans cesser de le regarder de ses grands yeux. Dans son regard on pouvait voir de la peur et de l’étonnement, car elle n’aurait jamais cru auparavant que ce garçon intelligent, délicat, serait capable de tuer. Elle était toujours méfiante quant à ses paroles, mais son acte, cette affaire, c’était une autre chose. Elle reculait toujours, frappée et apeurée, tandis que la petite s’approchait d’Aless et lui tendait ses mains le priant de la prendre. Olga se précipita vers sa fille, la saisit dans ses bras comme pour la protéger, la serra contre elle si fort que Svéta en pleura.
— Ma petite enfant chérie! Qu’est-ce qui nous tombe dessus? Quel malheur nous veut-il? Mon Dieu! Quel homme que tu es? Quel homme que tu es?
Elle entra dans la salle, se tourna autour de la table, berçant la petite, la calmant, mais, évidemment, sa peur, son inquiétude s’étaient transmises à l’enfant: Svéta ne cessait pas de pleurer à chaudes larmes. Dans l’obscurité, Olga heurta une chaise, qui tomba, fit du bruit.
Aless apporta la lampe dans la salle et l’accrocha au-dessus de la table. Il était tout à fait calme, même il se réjouissait pour avoir éliminé cet ennemi, sa crise de nerfs était passée, maintenant il se sentait de nouveau sûr, fort, résolu comme il l’avait été il y a quelques heures quand il était sorti de la maison avec son arme. Olga sentit sa certitude renaître et lui demanda:
— Qu’est-ce que nous allons faire maintenant?
— Ne t’en fais pas. Si on ne m’a pas saisi làbas, il n’y a plus de quoi avoir peur.
— Imbécile que tu es, imbécile! le gronda-t-elle, cette fois-ci sans méchanceté, sans grossièreté, il y avait du respect dans ce qu’elle disait de grossier. Qu’est-ce que tu en sais? Ils ont des chiens, des fileurs. Tu ne sais pas comment ils peuvent fouiller et chercher! Ils te fileront et ils te trouveront sous terre.
— S’ils avaient suivi mes traces, ils m’auraient saisi tout de suite. J’ai pris la rue Sovetskaïa, j’ai passé près du cinéma, j’ai méticuleusement embrouillé toutes mes traces.
— Je vois que tu en sais long! Tu ne sais rien! Ces chiens, ils te trouveront une semaine plus tard. Et les fileurs qui ont du flair comme des chiens, puis elle exigea, furieuse: Donne-moi le pistolet, je le jetterai au diable! Bête que je suis, j’ai trouvé un jouet et en plus j’en ai parlé à un fou... En voilà un jouet! Donne!
— Je le ferai moi-même.
Il comprit que si elle cachait le pistolet il ne le trouverait plus, et maintenant, après ces débuts, il ne pouvait plus se séparer de l’arme.
Il se précipita vers la porte. Olga ne l’arrêta pas bien qu’il sortît sans pardessus, sans chapeau.
Il neigeait. Ce fait le calma, bien que les traces dans une ville s’effacent beaucoup plus vite que
dans la forêt. Que ses traces soient ensevelies sous la neige.
Il fallait cacher le pistolet, non pas de la gestapo, mais d’Olga, car c’était elle, la maîtresse de la maison et elle savait découvrir les moindres cachettes comme un véritable Sherlock Holmes. C’est pourquoi il piétina longtemps dans la cour, dans le bûcher, dans la porcherie où auparavant il y avait des porcs. Il réfléchissait toujours où trouver une bonne cachette. D’abord il mit le pistolet dans le bûcher. Non, ce n’est pas un lieu sûr, non seulement Olga, mais n’importe qui verrait tout de suite que la pile de bois faite en automne avait été dérangée. Et s’il le cachait dans la porcherie? Non, il n’y a pas de lumière et il ne pourrait dissimuler les traces. La neige! Il comptait beaucoup sur la neige pour dissimuler la cachette.
Il enveloppa le pistolet d’un chiffon et le fourra dans un tas de neige sous la palissade sans quitter le sentier, il se souvint de la cachette d’Olga et il se persuada de la justesse du principe paradoxal: il est plus difficile de trouver une cachette proche. Il eut froid dans le dos et il se dit que ce n’était pas le moment de tomber malade, il se précipita dans la maison.
Olga, vêtue comme elle l’était quand elle allait au marché — une pelisse, un châle, des valenkis — errait dans la maison, la lampe à la main, comme si elle cherchait quelque chose sans quoi elle ne pouvait sortir, ou même plus, de quoi dépendait sa quiétude, sa vie. Sur le canapé, dans un coin, se tenait Svéta, tout emmitouflée. L’enfant se taisait, elle observait sa mère d’un regard craintif, non enfantin, ou peut-être, observait-elle la lumière, car elle bougea avec inquiétude quand Olga entra dans la chambre d’Aless. Aless s’approcha et la petite se mit à pleurer.
Aless ne s’étonna pas quand il vit qu’Olga
allait partir quelque part, plus d’une fois elle avait passé des soirées chez des voisins. Il fut étonné de voir qu’Olga voulait prendre l’enfant. Où? Pourquoi?
Olga sortit de la chambre et éleva la voix sur la petite:
— Tais-toi!
Elle leva la lampe, regarda les murs où étaient accrochées les photos de ses parents, de ses frères, ses anciennes photos à elle, des photos du temps de l’école.
Aless comprit qu’elle ne cherchait rien, que tout simplement elle faisait ses adieux à la maison. Il ne croyait pas qu’elle pût abandonner si facilement les biens amassés. A cause de quoi?