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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Où veux-tu aller? il s’efforçait de parler à haute voix, d’un ton sûr, mais, malgré lui, il parlait d’une voix basse et il en éprouva de la répugnance.
    — J’irai chez mon frère.
    — Maintenant? Il ne faut pas, Olia, dit-il avec douceur. Réfléchis, qu’est-ce que tu fais? On t’arrêtera, on commencera à t’interroger... Et le frère... que lui diras-tu?..
    — Et qu’est-ce que je dois faire? Dis-moi, toi qui a de l’esprit! elle le dit entre les dents et s’appro­cha de lui, la lampe toujours à la main. Tu as amené le malheur dans la maison et te voilà à pleurnicher: il ne faut pas, O — o — lia, l’imitat-elle avec méchanceté.
    En reculant, Aless toucha de ses épaules le poêle brûlant, la chaleur le fit sursauter, comme s’il avait touché un fil électrique, ensuite la chaleur se répandit dans son corps comme un baume mi­raculeux qui l’aveulit; Aless en fut à bout de for­ces, il se sentit tout à coup exténué, il avait froid au dos, il lui sembla que ce n’était que ce poêle salutaire qui le protégerait contre tout malheur,
    contre toute maladie. Il avait éprouvé les mêmes sensations de certitude et de bien-être quand cette femme l’avait fait venir dans sa maison, lui, qui était demi-mort, elle lui avait donné à boire et à manger, l’avait couché sur le saillant chaud du four pour qu’il se réchauffât après le camp. C’était grâce à elle qu’il avait appris la joie de la première vengeance que rien ne pouvait égaler. Mais maintenant il n’avait aucun droit d’exposer au danger cette femme qui l’avait sauvé et surtout son enfant.
    — Ce serait plus simple si je m’en allais, ditil, et, après un silence, il promit: —J’irai tout de suite, n’aie pas peur. Tu peux considérer qu’après être parti dans la journée je ne. suis pas rentré.
    Mais il ne pouvait pas se détacher du poêle.
    Après le camp, après la maladie, même s’il était chaudement vêtu, il avait toujours froid au dos. Il était devenu frileux.
    Olga se calma tout à coup, elle recula, accrocha la lampe et s’assit sur le canapé à côté de sa fille, elle fit de grands yeux où on lisait la peur, l’éton­nement, l’embarras et un senti nient nouveau qu’elle ne comprenait pas elle-même. Elle tressaillit à l’idée que c’était un autre homme qui se tenait devant elle, que ce n’était plus le garçon fragile qui filait un mauvais coton, comme on dit, et qu’elle avait guéri à grand-peine. Elle ne vit pas sa lassitude suivie toujours d’une indifférence. Elle fut frappée de le voir calme. Il avait tué un homme, que ce soit un Allemand, il avait tremblé un peu (elle le comprenait) et maintenant il était là, devant elle, comme si rien ne s’était passé, il se chauffait le dos...
    Personne ne lui avait jamais dit qu’elle était peureuse, tous la croyaient téméraire: elle s’était jetée sous les bombes pour saisir une boîte de ma­caronis ou un chiffon. Elle n’avait pas peur des
    Allemands. Quand elle se souvenait de sa conversa­tion avec eux lors de leur première rencontre... Elle n’avait pas eu peur de prendre chez elle un soldat de l’Armée Rouge. N’avait-elle pas risqué? Il semblait qu’elle s’était habituée à toutes les difficultés de la guerre, et bien qu’elle eût le coeur gros à cause des idées terribles qui lui passaient par la tête pendant ses nuits blanches, elle ne perdait jamais la raison, elle gardait le bon sens des choses. Et maintenant, quand elle venait d’entendre qu’il avait tué un officier, elle perdit brusquement tout son bon sens, son esprit pratique, sa ruse. Elle fut prise de panique surtout qu’il était sorti pour cacher le pistolet. Affolée, elle s’était habillée elle-même, elle avait emmitouflé sa fille, sans réfléchir où elle irait. Elle avait parlé de son frère tout simplement pour dire quelque chose; elle ne pensait pas à aller chez lui, elle n’y serait pas allée. Ces derniers temps leurs relations étaient devenues plus tendues; Kazimir avait manifesté son,,souci“ à l’égard d’elle: il avait appris qu’elle avait hé­bergé un prisonnier, il était venu chez Olga et il avait exigé, usant de son droit de frère aîné, qu’elle jetât dehors le soldat de l’Armée Rouge, qu’elle l’envoyât dans un hôpital; c’était au moment quand Aless était malade. Olga s’était querellée avec son frère, l’avait chassé, car elle ne tolérait être commandée par personne; depuis lors ils ne s’étaient jamais revus, bien que son neveu, âgé de huit ans, vînt deux fois: évidemment, il avait été envoyé par ses parents en reconnais­sance.
    Olga fut stupéfaite et même indignée de voir Aless se chauffer tranquillement près du poêle. Mais en même temps sa tranquillité apaisa la panique d’Olga, elle savait déjà qu’elle n’irait nulle part. Mais elle voulait lui payer d’une façon quelconque pour tout ce qu’elle venait de survivre,
    pour la peur qu’elle avait manifestée devant lui. Elle lui dit, d’un ton méchant:
    — Que ferez-vous, vous autres, comme toi? Vous vous trouverez la mort? Les Allemands sont entrés à Moscou.
    — Non, ce n’est pas vrai! C’est un mensonge! il cria presque, se détachant du poêle. N’écoute pas les bobards allemands! Ils l’ont déjà dit plus d’une fois!..
    — Non, c’est vrai! répétait obstinément Olga et inventa tout à coup pour plus de certitude ce qu’elle n’avait entendu dire ni par les hautparleurs allemands, ni par les rapporteurs du marché: — Radio Moscou ne parle plus.
    Aless s’arrêta court, bouche bée. Mais sa foi était si grande qu’il protesta:
    — Des bobards fascistes! Qui te l’as dit? As-tu entendu toi-même, cette radio? Ils ont pu bom­barder la station. Mais Moscou... Ils ne prendront pas Moscou! Veux-tu bien le comprendre! Staline est à Moscou! Cet argument était pour un des plus concluants, quant aux autres, plus prolixes, il les avait mentionnés pas mal de fois.
    — Ton Staline, il ne pourra pas sauver Mos­cou...
    — Je te défends! Le peuple est avec Staline! Tout le pays.
    —Ne crie pas! Tu es fou! dit tout bas Olga mais sans colère et sans crainte, d’un ton conciliateur. Ces paroles refroidirent l’ardeur d’Aless, il se tut, et s’adossa au poêle, las, de nouveau il avait froid, et cette chaleur avait tué sa volonté et ses forces. Il ne voulait plus prouver à Olga ce qu’il avait dit beaucoup de fois quand elle l’écoutait d’une oreille attentive. Il fermait les yeux et... tombait dans un abîme: il s’endormait. Il chancela, ouvrit les yeux et ne comprit pas tout de suite ce qui s’était passé: Olga, débarrassée de ses vêtements
    chauds, ôtait les vêtements de sa fille. Puis elle la porta dans son lit.
    Elle chanta une berceuse à la petite. Tout fut sur sa place avec cette chanson car tout cela se répétait chaque soir. Tout cela se répéterait éter­nellement: une berceuse et le sommeil d’un enfant. Il ne pensait plus se détacher du poêle pour sortir dehors au froid, à la rencontre du l’inconnu, du danger. Il s’endormait, bercé par les paroles de son poète préféré; les paroles qu’il avait souvent chanté lui-même à la petite, Olga avait appris ces paroles:
    Je te dirai des contes, Je te chanterai une chanson, Tu vas fermer les yeux et somnoler, Fais dodo, fais dodo.
    Peut-être qu’Olga ne prononçait pas les mots, rien que l’air, peut-être, il répétait les mots luimême, en se berçant. Il chancelait et se réveillait, se reprochant, se disant que son sommeil était sa faiblesse, que tout ce qu’il faisait et il ne le fai­sait pas comme les autres, commes les héros des livres lus. Tantôt il avait la fièvre, tantôt le som­meil le gagnait.
    Olga l’appela d’une voix forte, lui ordonna com­me l’aurait fait une femme en colère contre son mari :
    — Viens ici! Tiens, berce cette capricieuse!
    Pour se calmer finalement Olga avait besoin d’agir, d’être active. Elle éprouvait un sentiment vague comme si quelque chose avait changé, mais elle ne pouvait s’expliquer d’une façon précise ce qui avait changé. Elle eut envie de voir si rien, d’extraordinaire ne s’était passé aux alentours si le monde n’était pas tombé les quatre fers en l’air.
    Aless lui cria dans le dos:
    — Où vas-tu?
    Elle ne répondit pas et ne s’arrêta pas. Elle demeura sans parler dans le corridor sombre prê­tant l’oreille à ce qui se passait dans la cour. Elle comprenait que s’ils étaient venus, ils feraient du bruit et toute la Komarovka les entendrait, mais quand même elle regarda dehors avec précaution comme si l’ennemi pouvait la guetter de derrière un coin. Toujours avec précaution, elle contourna la cour pour voir s’il n’y avait pas de traces sur la neige blanche. Elle eut peur d’entrer dans la porcherie, elle ne fit qu’en toucher le verrou. Elle écouta la ville où régnait la nuit. La ville n’é­tait pas morte, elle vivait une vie secrète. Ici, à la Komarovka, quelque part dans une rue proche, on entendait le grincement d’un traîneau et l’ébrouement sonore d’un cheval. Plus loin, quelque part au centre, on entendait les sons perçants de la mu­sique allemande. Les vainqueurs s’amusaient. Il est vrai, peut-être, ont-ils une fête? Récemment ils avaient annoncé par le haut-parleur au marché que les troupes vaillantes du führer étaient entrées dans la capitale bolchéviste. Olga n’était jamais allée à Moscou, mais à l’idée que les Allemands s’y trouvaient, cela lui fendait le coeur, elle n’éprouvait pas ces sentiments quand elle entendait parler des autres villes. Et tout à coup elle se réjouit à l’idée que c’est notamment son Aless, et pas un autre qui avait gâté la fête aux Allemands, si ce n’était pas à tous, mais, au moins, à quelquesuns. Que la femme de celui qui n’est plus, que ses parents lisent l’avis de deuil sous le son d’une musique aux accents triomphants. Comment sonnera-t-elle, à leurs oreilles, cette musique? En pensant à tout cela un sentiment de triomphe l’envahit. Elle ouvrit la porte bâtarde et sortit courageusement dans la rue. Elle voulut se pro­mener en propriétaire dans la Komarovka. Pour vérifier son courage subit. Si lui, Aless, avait pu
    faire cet exploit, pourquoi ne pouvait-elle pas se promener dans la rue où elle était née, où elle avait grandi? Elle se fichait du couvre-feu, des patrouilles! Elle devait voir non seulement sa cour, elle devait voir toute la Komarovka! Que tout le monde sache qu’elle n’avait jamais été peureuse et qu’elle ne le serait jamais. Si elle risque, c’est à fond!