La Marchande et le poète
Іван Шамякін
Выдавец: Юнацтва
Памер: 323с.
Мінск 1983
Peut-être, vraiment elle avait l’air d’une propriétaire que même un policier, vêtu d’une capote noire, quitta le sentier, fit un pas dans la neige et la salua; elle ne le reconnut pas, mais lui, peutêtre, l’avait-il connue au marché. Qui ne connaissait pas Lénovitchikha?
Arrivant dans la ruelle où vivaient les Borovski, Olga éprouva un vif désir de passer les voir. Elle n’y était pas venue depuis longtemps, tout d’abord à cause de sa jalousie insensée, et puis, plus tard, elle ne savait plus à cause de quoi. Dommage. Elle était toujours sûre que les Borovski en savaient beaucoup plus long sur les événements que tous les autres habitants de la Komarovka, mais, en général, que tous les Minskois, c’est pourquoi ils vivaient autrement, pauvrement, mais sûrs de leur avenir. Il lui sembla maintenant que ce n’était que chez eux qu’elle entendrait quelque chose de plausible et tout deviendrait plus clair, car pour le moment elle avait tout un mélange dans sa tête. Elle avait l’impression que les Borovski devaient savoir quelque chose quant à l’événement d’aujourd’hui qui avait eu lieu en ville, bien qu’elle comprît que ce fut un peu trop tôt: comment et d’où auraient-ils pu l’apprendre? Deux heures, pas plus, s’étaient écoulées depuis.
Elle fut étonnée de voir que les Borovski n’avaient fermé ni la porte bâtarde, ni la porte de la maison: entre qui veut, ils n’ont peur de rien, ni des bandits, ni du pouvoir. Une fois à l’entrée,
Olga frappa au mur avec sa botte, mais personne ne lui répondit, quoiqu’elle entendît des voix et même un jeune rire, c’était le rire de Kostia, le frère de Léna, élève de neuvième, cet hiver il aurait dû être en dixième.
Toute la famille était autour de la table et... jouait aux cartes, ils jouaient à la dupe. Le père, Léna et les garçons, Kostia et Andrey, 12 ans. Maria Pavlovna, leur mère, se tenait à côté, et, ayant mis des lunettes, rapiéçait une chemise.
Une petite lampe à pétrole, placée sur la table, répandait une odeur d’huile puante, un succédané allemand, bien sûr.
Voyant cette visiteuse inattendue, Léna et sa mère firent preuve d’une inquiétude apparente. Léna se leva à sa rencontre, toute l’expression de son visage demandait: qu’est-ce qui s’est passé? Maria Pavlovna regardait Olga de ses grands yeux, l’aiguille qu’elle tenait entre ses doigts resta en l’air.
Olga les calma:
— Je suis venue pour savoir, comment ça va? Depuis longtemps je ne vous ai pas vus. Dans la journée pas de temps, et vers le soir, on a peur de quitter nos trous.
— De quoi as-tu donc peur? lui lança Kostia d’un air malveillant. Tu es de mèche avec les Allemands...
— Eh toi, petit, on ne reçoit pas des hôtes comme ça, reprocha tranquillement le vieux Borovski à son fils.
Olga nota que le typographe avait le dos encore plus voûté, il était devenu plus maigre, chauve, mais que ses mouvements étaient toujours vifs, l’éclat de ses yeux était gai, comme s’il vivait heureux et prospère comme auparavant. Les garçons et le vieux ne cessèrent même pas leur jeu. Kostia criait comme en enragé, il lançait une carte
usée, tachée de grasse sur la table, agitait les bras:
— Et j’ai un atout, un lieutenant contre votre Hitler! Le voilà! Hein, tu te rends? Ta frange est tombée. Tu seras toujours battu, parasite!
— Kostia, tu parles un peu trop! le prévint la mère d’un air sérieux.
Mais Piotre Illarionovitch riait.
— Léna, qu’est-ce que tu as là-bas? Ces kosaques rouges me gênent. Encore une fois, tu vois, je serai battu.
— Ah, vous voulez lâcher contre nous Goering, comme un chien de chaîne. En voilà un as! Je m’en fiche de cet as!
•— Kostia!
— C’est tout, maman. Tu as peur que Lénovitchikha nous dénonce? Andrey, tu incendieras sa maison si je suis arrêté. Ah, vous avez encore un huit? On le battra.
Après avoir entendu cette offense dans cette famille où elle était venue le coeur ouvert, guidée par ses meilleurs sentiments, Olga rougit, elle se sentait mal à Taise. Elle aurait bien voulu flanquer une gifle à ce morveux, lui dire, lui avouer que ce n’était pas elle, mais grâce à elle, grâce à son aide, avec son arme, qu’une chose importante avait eu lieu. Lui-même, il ne faisait que battre les pavés de la ville.
Léna s’indigna:
— Tu es un petit cochon, Kostia! Olga est ma meilleure amie.
— Pas vrai? il sembla que l’étonnement de Kostia fut sincère.
— Je vais te tirer les oreilles, Kostouss, menaça la mère, et, pour réparer cette maladresse, céda à Olga son tabouret. — Assieds-toi, Oletchka. Ne fais pas attention à ce bavard. Il a oublié le goût de la ceinture. Comment ça va, ma chérie?
—• Ah, petite mère, je vis comme un arbuste au milieu du désert. Tu vois ce que Kostia me reproche. Et moi, j’ai sauvé un soldat de l’Armée Rouge. Et toi, qu’est-ce que tu as fait, un bouc sans cornes? lança-t-elle à Kostia, mais celui-ci ne releva pas son défi et ne s’indigna même pas contre ce bouc, bien que ce fût son sobriquet à l’école.
— Et moi, chère petite soeur, je te donnerai cette dame de carreau. Eh quoi? Ça ne va pas? Andrey, donne-leur ton sept. Qu’ils s’en réjouissent.
— En voilà des bandits! Borovski tournait sa tête chauve et riait. Où s’y sont-ils fait la main, les diables? C’est pour la septième fois que je suis la dupe à mes frais.
— On compte jusqu’à dix et je vous vois sous la table.
— Tu m’y verras. Compte dessus, dit Léna.
— Et notre accord? cria le petit Andrey. On s’est entendu?
Olga se déboutonna, ôta son châle. Malgré l’offense, elle fut saisie tout à coup de gaieté et d’entrain pour les cartes: oublier tout en jouant, comme le font, évidemment, les Borovski.
—• Eh bien, Léna, et si je faisais une partie. Je vais montrer à ces blancs-becs comment faut-il jouer.
— En voilà une force! Kostia fit semblant d’avoir peur. Le feld-maréchal Boche qui n’est qu’une caboche.
Olga jouait bien à la dupe, comme d’ailleurs, sa mère: les meilleurs joueurs enragés de la Komarovka perdaient en jouant contre elles.
Les premiers coups d’Olga donnèrent à Kostia à réfléchir; il cessa de bavarder et se mit à siffler la mélodie de la chanson ,,Par les monts et par les plaines...”
Léna se plaça derrière son père et l’aidait à faire les coups. Kostia, se sentant menacé, devint furieux.
— Andrey, ne lui montre pas tes cartes. Et toi, si tu l’aides encore une fois, je te pincerai le nez, menaça-t-il sa soeur.
Peut-être, pour rétablir l’ambiance de gaieté, Piotre Illarionovitch rappela:
— Donc, Kostia, tu dis, „viens le soir"?..
— Mais oui, rit Kostia et tous les Borovski éclatèrent de rire, même la mère, qui était assise maintenant sur le canapé et, faisant semblant de rapiécer la manche d’une chemise, observait Olga d’un regard pénétrant comme si elle voulait deviner, d’après son visage, ses yeux, son jeu, son rire, ses pensées profondes, son essence; cette observation rendait Olga un peu confuse.
Le vieux expliqua pourquoi qu’ils riaient.
— Aujourd’hui Kostia se promenait dans la rue Nékrassov et il a entendu une femme crier à sa voisine qui était de l’autre côté: „Nastia! Viens ce soir chez nous, on va faire nos adieux à Anton qui part chez les partisans!“
— Je suis tombé près d’une palissade, rit Kostia. Je me suis dit: c’est un spectacle. Non, c’était sérieux. „C’est bien, répond l’autre, je viendrai". — „Tu vas amener ton vieux. Mais prenez des verres avec vous, il n’y en aura pas pour tout le monde."
— Cela te plaît? demanda Borovski à Olga, les yeux riants, mais d’un ton sérieux et insistant, la regardant droit dans les yeux, peut-être, à cause de cela, cette aventure ne fit pas rire Olga comme les autres.
— Une imbécile, désapprouva Maria Pavlovna, en parlant de l’inconnue.
Le vieux se tourna vers elle et protesta:
— Imbécile, que tu dis? Eh non, ma mère.
On vit d’après ses propres lois. Imprudente, c’est vrai.
Il parla de l’imprudence et Olga pensa tout de suite à Aless, à son imprudence, son coeur se serra avec angoisse. Pourquoi les Borovski lui racontaient qu’un certain Anton allait chez les partisans, pourquoi manifestaient-ils ouvertement leur gaieté? Elle ne crut pas trop que cette aventure les eût fait tellement rire, ce petit malin de Kostia aurait bien pu mentir, il pourrait inventer lui-même tout ce qu’il voulait.
Olga et le vieux gagnèrent. D’après leur accord les garçons devaient recevoir des chiquenaudes sur le nez. Andrey essaya de contester la légitimité de l’exécution: ce n’était pas Léna qui avait joué, mais Olga. Quant à Kostia, il fut d’accord puisqu’ils avaient consenti de jouer avec ce „remplaçant*1, ils ne devaient pas faire marche arrière.
Ce fut Léna qui distribuait les chiquenaudes. Elle eut pitié d’Andrey et son coup fut faible, rien que pour la forme, mais Kostia reçut une si bonne chiquenaude que les larmes lui vinrent aux yeux, il se mit à éternuer.
— Canaille, tu frappes, comme si à la place des doigts, tu avais un lance-pierres. Et moi qui t’appelle ma soeur bien-aimée.
Le vieux Borovski se renversa sur le dos de la chaise, il rejeta la tête en arrière et il rit aux éclats comme un enfant. Maintenant Olga comprit que son rire était franc, elle eut envie de rire, elle se sentit très bien, à son aise, au sein de cette famille et elle regretta de ne pas être venue chez les Borovski tout de suite après le commencement de la guerre comme aujourd’hui, en bonne voisine; elle n’y était venue que quelquefois, pour un tout petit moment. La mère regardait avec amour son mari, sa fille qui riaient et hochait la tête d’un ton de reproche: que vous êtes comme des gosses!
Encore une partie. Kostia devint sérieux, il ne bavardait plus, il sifflait, c’est pourquoi tous les autres pouvaient parler. Maria Pavlovna demanda:
— Et ton petit soldat, comment va-t-il, s’est-il remis un peu?
— Il se promène déjà. Il a été en ville. Il brûle d’envie de contacter des gens, il veut chercher du travail. Et moi, je lui dis: à quoi bon travailler pour les Allemands? Tu vas m’aider.
Kostia réagit:
— Tu vas fonder une firme de commerce ,,01ga Lénovitch et compagnie...“