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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Elle l’observait attentivement et elle voyait qu’il n’était pas aussi jeune qu’elle ne l’avait cru lors de leur première rencontre au marché. Peutêtre, avait-il vieilli durant ces deux derniers mois, il lui semblait qu’auparavant il n’avait pas de sillons aussi profonds sous les yeux et autour de la bouche.
    — Ne me regarde pas, lui dit, en riant. Victor Andréévitch. jamais je n’avais cet air-là devant les jolies dames, je ne me suis pas rasé.
    Olga garda le silence, puis elle dit:
    — Et moi, je veux comprendre qui êtes-vous.
    * — Qui?
    : — Vous... Mon... Sacha...
    ■— Nous sommes comme les autres. Des So­viétiques.
    — Donc, je ne suis pas une Soviétique?
    — Pourquoi? Toi aussi, tu es une Soviétique.
    — Où est Sacha? demanda-t-elle tout à coup avec insistance.
    — Pourquoi crois-tu que je dois savoir où est ton Sacha?
    — Tu le sais! Tu sais tout!
    L'homme avala un dranik, posa sa fourchette, se renversa en arrière, se tourna vers elle et la re­garda fixement dans ses yeux bleus. Il demanda tout bas:
    — Tu l’aimes?
    — Et quoi, je n’en ai pas le droit? cette ques­tion inattendue fut agréable à Olga, elle se ren­frogna et fut déjà prête à riposter, à lui répondre insolemment, à sa manière, à la manière d’une mar­chande de la Komarovka, s’il lui disait quelque chose de mal en parlant de son amour.
    Mais son ton fut doux, ses yeux devinrent hu­mides.
    — Mais non, au contraire. Sans doute, que c’est notre force, nous qui haïssons... haïssons l’ennemi, nous pouvons aimer, il se tut un instant, en ré­fléchissant, puis, il regarda en arrière et dit, tout bas: il est vivant, ton Sacha. Mais je ne sais pas, vaut-il la peine qu’il revienne ici, il faut tout pe­ser, il regarda d’une façon étrange Svéta qui tapait du pied près de la table et caressait sans se soucier de rien un petit chaton lui causant en sa langue.
    Le coeur d’Olga bondit: voilà ce qui pouvait arriver! Ce n’était pas la mort mais les gens, cet homme qui lui semblait si bon pouvait les séparer. Et ce serait pour toujours, sans doute. Mais quel droit avait-il donc? Elle ne donnerait à personne celui qu’elle avait sauvé de la mort, celui qu’elle aimait. Il n’appartenait qu’à elle, à elle seule! Mais elle se tut, saisie par le même effroi connu, par l’effroi qu’elle éprouvait tous ces derniers jours, depuis qu’elle avait appris qu’il y avait des pen­dus dans le square et qu’elle avait failli perdre connaissance.
    Elle se mit sur ses gardes, se tut. Elle s’atten­dait que lui, Victor... Evsey, allait lui demander conseil, qu’ils allaient décider ensemble si Sacha
    devait revenir chez elle ou non. Qu’allait-elle lui répondre?
    Si c’était il y a trois jours elle se serait engagée dans le combat, comme le font toujours les fem­mes, comme le fait une marchande: c’est à moi, je ne le donnerai à personne. Mais aujourd’hui elle comprenait que sa réaction serait déplacée. Com­ment pouvait-elle le donner ou ne pas le donner puis­que Sacha était là-bas, chez ces hommes mysté­rieux, qu’il avait brûlé d’envie de rejoindre.
    Olga attendait comme un condamné attend le verdict ce qu’allait lui dire cet homme qui dis­posait maintenant de la vie de Sacha. Mais Victor se taisait, il sembla à Olga que toute une éternité s’était écoulée, bien qu’en définitive le silence de Victor ne durât qu’une minute au plus. Olga ne s’aperçut pas qu’il restait perplexe, qu’il hésitait. La cause, c’était Svéta. Regardant l’enfant, il avait compris: Gaponiouk ne devrait pas rentrer chez Olga rien que pour la sécurité de la petite. Mais pourrait-on, dans ce cas-là, initier la mère à la lutte? Si ce n’était pas à cause de cela qu’Aless n’avait pas répondu d’elle? Il ne pouvait pas se méfier d’une femme qui l’aimait si fort. Non, ce serait impardonnable de perdre la possibilité d’en faire un agent de liaison. Olga est un agent de liaison tout fait, ce n’est pas très dangereux pour elle, elle est intelligente et rusée, elle connaît les policiers. Y a-t-il des risques? Naturellement. Mais est-ce qu’il y a peu de femmes qui, ayant des enfants, partent au front, gagnent des détachements de partisans? Lui, étant un dirigeant, il n’a pas le droit de penser à une enfant et oublier, même pour un instant, l’objectif principal de cette guer­re affreuse, de cette guerre sacrée.
    Andrey se redressa, repoussa l’assiette, s’ac­couda à la table, s’approcha d’Olga comme s’il était myope et regarda ses yeux de près.
    ■— Ne crois pas que je suis venu ici pour manger des draniks. Aujourd’hui c’est un grand luxe pour moi. Merci pour les draniks. Un repas merveilleux. Mais je suis venu pour te parler affaires. N’aie pas peur. Tu as un regard éveillé. Rien n’est ar­rivé d’affreux, sauf la guerre. Nous savons que vous êtes une femme courageuse, vous avez de l’audace. Aidez-nous, Olga Mikhaïlovna.
    Olga fut flattée de l’entendre dire du bien d’elle, de l’entendre parler sérieusement, même il lui disait ,,vous“, mais elle devina tout de suite qu’il allait parler de quelque chose d’extraordinaire, et de nouveau son coeur fut saisi d’angoisse. Si cette conversation avait eu lieu avant qu’elle n’ait vu ces pendus raidis! Vraiment, il avait choisi le bon moment!..
    — Faire la liaison entre les nôtres. Rien que la liaison. Dans la ville. Parfois — en dehors de la ville. Vous êtes partout, on vous connaît. Pour vous c’est simple. Transmettre quelque chose à quelqu’un, le prévenir, et, même peut-être, sau­ver...
    Olga entendait ses paroles comme à travers un mur. Ses oreilles bourdonnaient. Elle leva les bras d’un mouvement lent et se les boucha.
    „Pourquoi ne veut-elle pas m’entendre?“ se dit Andrey, désemparé, et il se tut brusquement.
    Mais Olga ne coupa pas court à la conversation, on aurait dit qu’elle lui demandait grâce:
    — Mon Dieu! Que faites-vous? D’abord c’était lui, maintenant vous... Où voulez-vous m’entraî­ner? A la potence? J’ai une enfant! Avec qui res­tera-t-elle! Ce matin j’y suis allée... à ce square. Je les ai vus... Allez-y, regardez... Peut-être que ça vous refroidira la tête.
    ■— J’y étais quand on les a pendus. Ce sont mes camarades, lui dit sévèrement Andrey avec tristesse.
    Olga s’arrêta court, laissa tomber les bras. Elle regardait de ses grands yeux. Elle demanda tout bas comme on parle quand il y a un mort dans la maison:
    — Vous les avez connus?
    — Un d’entre eux est le fils de ma soeur, ses yeux se remplirent de larmes.
    Les larmes de cet homme qui venait de rire la touchèrent, lui serrèrent le coeur, Olga fut sur le point de-pleurer. Elle ne pouvait pas prononcer un mot, si elle l’avait pu, elle ne savait pas ce qu’il fallait dire dans ces cas-là. Autrefois, quand sa mère était morte, on la plaignait, mais les pa­roles lui faisaient encore plus de chagrin, et à partir de ce moment-là elle considérait que le silence valait le mieux. Elle se taisait. Elle pen­sait à ce qu’elle allait dire à cet homme. Elle était étonnée de sentir sa peur reculer, comme s’éloigne une vague. Mais ce sentiment lui fit peur de nou­veau.
    Après un silence, quand elle ne savait plus comment terminerait-elle cette conversation, consentirait-elle ou refuserait-elle à collaborer avec les militants, elle demanda d’un ton incertain:
    — Vous me rendrez mon Sacha?
    Andrey s’essuya les yeux et dit sévèrement:
    — Non, je ne te le rendrai pas, puis il ajouta plus doucement: Comprends donc, il faut que ce soit ainsi. Pour notre cause. Pour ta sécurité à toi...
    Ce ton sévère vexa Olga:
    — Allez-vous en au diable, avec toute votre bienveillance!
    Andrey se leva rapidement, prit son pardessus, lui tendit la main, tenant quelques instants les doigts froids d’Olga dans sa paume chaude, lui sourit tristement:
    — Il ne faut pas jurer. Cela ne vous va pas:
    entendre une femme comme vous dire de ces choses! Merci. Excusez-moi. Mais... pensez-y... Olga Mikhaïlovna!
    Quelqu’un frappa doucement à la fenêtre, ce bruit lui était familier, Olga devina que c’était LUI et faillit suffoquer de joie, même son coeur fut sur le point de s’arrêter. Svéta, elle aussi, re­connut celui qui frappait et cria gaiement, montrant qu’il fallait ouvrir plus vite.
    Olga se précipita vers la porte, l’enfant dans les bras, puis, elle se souvint que la petite n’était pas habillée, elle retourna dans la chambre, et la dé­posa sur le canapé.
    Dans sa fine blouse elle se dirigea vers l’entrée, attendit quelques instants avant d’ouvrir, écoutant le craquement des planches gelées du perron sous ses pieds. Ce n’était pas parce qu’il tapait du pied de froid que les planches craquaient sous lui, non, il restait immobile, tenant la poignée de la porte, mais c’étaient son impatience et son émotion qui se transmettaient au plancher du perron.
    Elle leva deux grands crochets. Elle aurait voulu ouvrir la porte d’un seul coup, se jeter dans ses bras. Mais au dernier moment sa pudeur la retint.
    Elle revint en courant dans la maison car elle avait entendu que Svéta, pieds nus, s’était appro­chée de la porte. Peut-être, que ne l’ayant pas at­tendu, elle était revenue dans la maison; il n’osa pas entrer tout de suite. Olga l’attendait, serrant l’enfant dans ses bras, se faisant du mauvais sang, en pensant que lui, vexé par cet accueil, pouvait partir de nouveau dans la nuit, vers le danger, la quitter pour toujours.
    Non, Aless entra, après avoir fermé la porte d’entrée sans faire de bruit. Il sourit d’un air fau­tif et la salua d’une façon étrange:
    — Me voilà. Bonsoir. Olga ne lui répondit pas, il s’adressa à la petite: Bonsoir, ma chérie.
    L’enfant poussa un cri de joie, en lui tendant les mains:
    — Tyta, tyta! Aless s’approcha d’elle et baisa ses petits poings, un après l’autre.
    Les yeux d’Olga s’emplirent de larmes, en tâchant de se retenir, elle ne voulait pas pleurer, elle prononça d’une voix tremblante:
    — C’est un étranger.
    Aless se décontenança, puis il se pencha et, dans la chambre demi-obscure, la lampe étant pendue très haut, au-dessus de la table, Olga vit qu’il avait laissé pousser la barbe, son visage était de­venu plus maigre, ses yeux brillaient comme s’il avait de la fièvre.