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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Andrey est chez Vitiok.
    Yanina Ossipovna la saisit par les mains:
    — Qui? Qui vous l’a dit?
    — Lui-même.
    — Vous l’avez vu? Quand?
    — Ce matin. Au marché. Tout récemment. C’était il y a... elle regarda le réveille-matin qui faisait tic-tac sur la table. Deux heures, peut-être, pas plus.
    Yanina Ossipovna recula, tira lentement une chaise de dessous la table, s’assit doucement com­me si elle souffrait de la radiculite et dit à Olga:
    — Asseyez-vous, s’il vous plaît.
    Elle n’avait pas su dissimuler sa peur, mais elle
    sut dissimuler sa joie: elle devint calme, visible­ment polie, attentive.
    Olga s’assit en face d’elle et lui expliqua tout simplement:
    — J’ai compris qu’il ne pouvait pas rentrer, il m’a envoyée vous prévenir. Vous savez, il était impossible de parler plus longtemps. Il y a du monde autour. Il a mangé quelques pommes de terre. Je lui ai donné du sel.
    — Merci, Olga. Maintenant je comprends. C’est à l’aube que ceux-ci, elle montra la fenêtre par laquelle on voyait une unité militaire, ont encerclé tout le quartier, ils ont fait des perquisi­tions dans tous les appartements. Ils cherchaient quelqu’un ou quelque chose. Mais ils n’ont arrêté personne. En tout cas, dans notre maison. D’après le procédé de perquisition employé chez moi, d’ap­rès les lieux qu’ils ont inspecté j’ai compris que notre radio avait fait son émission quelque part tout près et qu’ils l’avaient capté. Mais ce n’est que ma supposition. Dites-le à Andrey. Qu’il attende jusqu’à ce que nous ne le confirmions.
    — Et il y a même... des radios? demanda tout bas Olga, jetant un coup d’oeil en arrière, vers la fenêtre.
    Yanina Ossipovna sourit à peine et Olga rougit, comprenant toute la naïveté de sa question. Elle savait elle-même qu’il y en avait, les Allemands avaient écrit en automne qu’ils avaient saisi des radios soviétiques, les gens au marché en parlaient entre eux. Mais elle aurait bien voulu entendre ou comprendre d’après la réponse de Yanina que ces radios étaient avec eux, qu’ils faisaient partie de leur groupe. Encore au marché elle avait éprouvé ce sentiment nouveau que rien ne pouvait égaler, elle avait senti qu’elle s’initiait à quelque chose de particulier, de suprême, qu’elle s’engageait dans une nouvelle voie, une voie inconnue, secrète,
    dangereuse, cette voie l’attirait justement par ce sens d’inconnu. Elle voulait tout savoir le plus vite possible. Elle voulait de la certitude. Des radios, c’était quelque chose de réel, de fort, c’était l’Armée Rouge, ce n’était pas une activité d’ama­teurs dans le genre des premiers pas de Sacha quand il avait pris le pistolet à son insu et avait tué un Allemand. Il ne s’en était tiré que par miracle, ou, peut-être, grâce à sa prière à elle, à Olga. Si un radio était venu chez elle et avait demandé son aide, tout de suite elle aurait consenti à l’ai­der, même au début de la guerre.
    Yanina Ossipovna la regardait avec attention; Olga se sentit gênée, elle baissa les yeux.
    La femme lui dit:
    — Excusez-moi, je ne vous ai pas proposé de vous dévêtir. Aujourd’hui il fait chaud ici, j’ai chauffé après la perquisition, ils ont fait refroi­dir...
    Olga, étonnée, se dit avec une admiration con­tradictoire, mêlée de reproche que cette intel­lectuelle ne se voyait pas d’autre vie: on ne mange pas à sa faim, mais on vit proprement et on est à son aise, tiens, même après la perquisition, après cette angoisse pour son mari, elle a fait de l’ordre, elle a chauffé. Il sembla à Olga que la femme lui avait dit de se dévêtir parce qu’elle s’était accoudée avec son manteau taché de graisse sur la nappe si propre — comment l’avait-elle lavée sans savon?
    Confuse, Olga se leva et se prépara à faire ses adieux: elle n’avait pas de temps, elle ne pouvait pas rester plus longtemps, elle n’était pas venue en visite. Mais la femme l’aida à ôter son manteau, le porta dans le corridor pour l’accrocher au por­temanteau. Olga se résigna bien qu’elle fût mé­contente d’elle-même, et elle tâcha de monter con­tre cette femme proprette. Mais que peut-on penser d’une femme qui porte un enfant dans son sein,
    une vie nouvelle, et qui va consciemment â la mort? Il était impossible de monter contre elle. Au mari énigmatique, Olga avait demandé: ,,Qui étes-vous?“ Mais elle aurait demandé vo­lontiers à sa femme: „Qui es-tu, femme? Expli­que-moi, je veux te comprendre, j’en ai besoin, peut-être, je comprendrai mieux mes propres ac­tes qui me font peur.“ Non, elle ne pouvait pas lui demander cela, elle n’avait pas assez de mots pour le dire, il fallait des mots particuliers, éle­vés, des mots qu’Aless savait dire.
    Yanina Ossipovna dit:
    — Je me souviens de vous.
    — Et moi aussi.
    Elles rirent toutes les deux. Ceci les rapprocha, simplifia leurs rapports. Continuant de lui parler Yanina lui dit ,,tu“:
    — Je t’offre du thé. Andrey sait que j’aime le thé et il a acheté un paquet de thé chez les Al­lemands, de production française. Du thé de Ceylan.
    Olga ne refusa pas, elle voulait rester plus long­temps avec cette femme, peut-être, espérait-elle découvrir quelque chose de particulier chez les gens de la même espèce que son Sacha.
    Pendant que Yanina Ossipovna lui servait du thé, il se trouvait dans un thermos allemand, Olga regarda encore une fois la chambre. Que tout était simple, sans aucun luxe, il n’y avait rien de pré­cieux, rien de trop, mais tout était si beau! Pour la première fois Olga envia la capacité de créer la beauté autour de soi. Les tasses pour le thé étaient extraordinaires, comme si elles avaient été fab­riquées d’après une commande spéciale, elles s’harmonisaient bien avec le papier peint du mur, avec le plaid qui recouvrait le lit, avec la nappe de lin à bordure de bleuets. Ayant versé du thé, Ya­nina dit avec confusion, comme si le lard n’était pas à elle:
    — Je mangerai bien un peu de lard, j’en ai envie. On dit que c’est très rare, cette envie de man­ger quelque chose de gras, ce fut son aveu indirect qu’elle était enceinte. Mais je crois qu’on n’en veut pas quand on en a. C’est fête chez moi au­jourd’hui. Tu m’as apporté de la joie. J’avais peur pour Andrey, bien que ses papiers soient en règle. Mais il n’est pas prudent. Et puis, elle lui dit tout bas: Surveille-les, Olia.
    Olga tressaillit. Les? Qui? Sans doute, elle sait tout quant à Sacha. Andrey lui aurait tout dit. Elle voulut parler de ses sentiments à l’égard de Sacha, comme on n’en ferait part qu’à une amie intime. Mais elle eut honte, ou, plutôt, elle eut peur: si Yanina lui demandait des explications à propos de son mari? Depuis longtemps Olga était troublée et étonnée: elle ne reconnaissait pas ses torts envers Adass. Mais même à une amie intime elle avait honte de le reconnaître, sans parler de cette femme qu’elle voyait de si près pour la première fois. Voilà pourquoi Olga ne dit rien à propos d’Aless. Elle se mit à parler de sa fille. Elle en parlait avec attendrissement, entrait dans les détails que seule une mère peut voir et qui ne peuvent qu’intéresser une autre mère ou une femme qui deviendra mère.
    Yanina Ossipovna l’écoutait sans l’interrompre, avec attention, mais, il semblait à Olga qu’elle l’écoutait, restant toujours sur ses gardes, ou même craignant quelque chose: on écoute comme ça quand on ne veut point entendre certaines choses ou quand on ne veut pas savoir de trop de ces choses.
    Olga brûlait de désir de lui avouer qu’elle n’a­vait peur que pour sa fille. Pourtant, voyant l’état toujours en éveil de Yanina, elle lui dit une vérité qui n’était pas tout à fait sincère, mais que toutes es mères répètent toujours:
    — Ma fille, c’est ma seule joie. C’est pour elle que je vis.
    Yanina Ossipovna comprit cette conversation à sa manière, elle restait sur ses gardes pour une autre raison —elle avait peur qu’Olga ne leur jouât un mauvais tour: vivre cette vie, élever sa fille, mais c’est de l’effroi, de la peur, des tour­ments. Elle avait hautement apprécié la délicatesse de coeur d’Olga et, reconnaissante, elle lui avoua ses sentiments les plus intimes comme elle l’aurait fait à l’âme la plus proche:
    — Moi et Andrey, nous nous y sommes décidés consciemment, nous voulons que notre vie conti­nue en lui. Peut-être, c’est cruel à son égard, mais nous croyons que de bonnes gens ne l’abandon­neront pas si nous périssons. C’est maintenant qu’il faut lui donner la vie.
    Ces mots touchèrent Olga jusqu’aux larmes pour leur sens tragique, mais en même temps ils lui ouvrirent plus largement les portes des cachet­tes de leurs âmes. Et de nouveau, elle lui demanda, comme elle l’avait fait, s’adressant au Commandant; non, ce n’était pas une question, mais une expi­ration:
    — Je suis étonnée... Mais qui êtes-vous?!
    La femme lui répondit autrement que ne l’avait fait son mari, en d’autres termes, moins sublimes:
    — Nous sommes comme toi, Olia. Ne crois pas que nous sommes extraordinaires, pétris dans une autre argile... Non. Nous sommes comme toi...
    Le thé était vraiment très bon, bien que ce fût du thé allemand, versé d’un thermos allemand. Ils sont riches, ces Allemands, ils ont mis à sac le monde. Yanina avait dit que le thé était fran­çais. On aurait dit que le thermos aussi n’était pas de production allemande, car il était barbouillé d’une façon étrange. D’un côté il y avait un lion au pied d’un palmier, de l’autre côté — un ours blanc sur
    un bloc de glace; il n’y avait ni inscriptions, ni emblèmes allemands. Èn tout cas, il sembla à Olga qu’elle n’avait jamais bu un thé aussi bon que celui-ci, même quand il y avait un samovar et de la confiture sur la table. Ici, il n’y avait pas un morceau de sucre, mais le thé était bon.
    Elles restèrent encore ensemble pas trop long­temps, une demi-heure, mais elle étaient devenues très proches. Yanina rappela elle-même à Olga qu’elle devait partir, elle lui dit l’adresse et le mot d’ordre qu’elle dirait à ce Vitiok pour qu’il la prît pour la sienne.
    Quand Olga s’habillait dans le corridor Yanina Ossipovna se souvint du fichu et se troubla beaucoup de l’avoir oublié: elle l’avait mis sur une chaise.