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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Elle n’avait pas peur de revenants, elle ne
    croyait pas aux domovoïs l. En général, elle n’a­vait peur de rien. Ces dernières nuits elle dormait paisiblement. Il arrivait qu’elle ne pouvait pas s’endormir assez vite quand la journée qui venait d’expirer avait été remplie d’événements aux­quels elle devrait réfléchir sérieusement dans la nuit, se rappeler tout ce qu’elle avait vu et avait entendu. Mais même dans ce cas-là elle réfléchis­sait, elle n’écoutait pas attentivement les bruis­sements de souris qu’elle prenait aujourd’hui pour une embuscade des espions de la gestapo. C’était drôle. A quoi bon faire une embuscade? Un seul soupçon leur suffit pour qu’ils viennent avec des autos, pour qu’ils saisissent non seulement le coupable, mais sa famille, ses voisins, toute la rue... Elle, Olga le savait et, pourtant, elle s’en­dormait sans crainte tous les soirs après avoir commencé à exécuter des missions de militants clandestins. Elle restait dans la maison avec Svéta elle ne demandait même pas à la mère Maryla de venir passer la nuit chez elle. Elle ne le faisait pas car elle attendait toujours Sacha. Elle l’attendait chaque nuit. C’est à cause de cela qu’elle ne pou­vait pas s’endormir parfois. Elle avait surmonté sa peur, comme elle croyait, à jamais, ce premier jour-là, aux permanences clandestines, surtout chez Zakhar Pétrovitch.
    Plus elle faisait connaissance avec des mili­tants clandestins, plus elle pénétrait profondément à son travail, plus elle devenait courageuse. Ou, peut-être, s’habituait-elle au danger? On s’habitue à tout.
    Le travail la passionnait. Comment ne pouvaitil pas la passionner si toute son activité de marchan­de avait un autre sens, un sens secret. Elle
    1 Génie familier de la maison dans le folklore russe (N.d.T.).
    ne s’affairait plus pour son profit personnel. Se te­nant à côté de ses amies, elle les regardait d’autres yeux et elle se disait avec émotion: „Si vous saviez qui je suis et ce que je fais!“ Quant aux policiers, elle se moquait d’eux.
    Il est vrai que maintenant elle devait s’occuper dlutôt de frusques, ce qu’elle n’aimait pas: elle pevait faire du porte à porte et acheter des effets. Mais elle n’oubliait pas le marché: elle devait se défaire avec profit des vivres qu’elle avait reçu en échange, autrement, elle aurait cessé tout son commerce et ses voyages à la campagne auraient provoqué des propos déplacés, des conjectures, des soupçons.
    Bien sûr, Olga ne se doutait pas qu’elle était devenue un des membres les plus actifs du groupe clandestin. Andrey avait l’agent de liaison qu’il avait voulu avoir. „Rien que de la liaison“, ré­pétait-il toujours quand il s’agissait d’Olga. Mais grâce à son metier d’“accapareuse“, son infati­gabilité— faire la moitié de la ville en une jour­née — sa ruse et son esprit, son charme féminin, car elle savait faire un clin d’oeil, lancer une plaisante­rie, faire une connaissance sans beaucoup de peine à l’aide de ses anciennes connaissances parmi les citadins et la police; Olga se transformait, d’el­le-même, sans missions spéciales, en un bon éclai­reur. Elle savait toutes les nouvelles, elle savait tout ce qui se passait ou ce qui se trouvait en ville, elle savait où cela se passait et où cela se trouvait, elle avait aidé, de ce fait, à établir des liaisons avec d’autres groupes clandestins, ne le sachant même pas. Grâce à sa propre initiative elle s’était réconciliée avec son frère, qui travail­lait à la bourse du travail et apportait quelques nouvelles de là-bas. Elle avait d’autres raisons d’aller faire des courbettes devant son frère, des raisons personnelles: s’il lui arrive quelque chose,
    qu’il n’abandonne pas Svéta, il est son oncle; elle n’avait plus peur comme autrefois, mais elle ne l’ignorait pas qu’il pouvait lui arriver quelque chose, elle prévoyait tout d’une façon pratique, le meilleur et le pire.
    Elle voyait rarement le Commandant. Elle n’était jamais plus venue chez Yanina Ossipovna. Elle avait une liaison permanente avec Zakhar Pétrovitch; cela s’était passé tout simplement, car personne ne lui avait défendu de visiter cette cour sans porte cochère, cette maison qui ne se fermait pas, au contraire, le maître de la maison lui avait dit le jour de sa première visite: ,,Viens me voir, Olga.“ Donc, elle pouvait y venir comme ça, sans mission. Elle aimait à venir dans cette maison qui n’était pas achevée. La simplicité et le naturel du vieil invalide, le manque de secret dans sa conduite, de rappels de la guerre et du danger l’attiraient avec force. C’était un homme calme à merveille, son calme et sa persuasion extraordi­naire dans la nécessité et l’inévitabilité de tout ce qu’ils faisaient, eux, militants clandestins, se transmettaient à Olga. Sans doute, ils parlaient de la guerre, mais leur conversation terminée, Olga n’avait jamais peur, même elle n’avait plus de mauvaises idées comme cela se produisait après les rencontres avec d’autres gens. On aurait dit que la mort et la peur n’existaient pas pour lui, il n’en parlait jamais. Il parlait de la guerre gaie­ment, en riant, ou, parfois, d’un ton sérieux, comme la plupart des gens parlent de leur travail: dans les champs, à l’usine. C’est ainsi que le père d’Olga parlait de son métier. Peut-être, l’invalide, n’avaitil pas de métier dans sa vie civile, peut-être, res­tait-il militaire dans son âme, c’est pourquoi il parlait avec humour de ses occupations civiles. Il lui montrait les bottes qu’il avait faites et il riait: „Regarde, Olga, jamais je n’ai réussi à faire
    une paire de bottes qui se ressemblent. Il va me rosser, le client!” Ou tout à coup, regardant la porte, il éclatait de rire: ,,Oh, que tout marche bien! Je n’ai même pas vu que le jambage est de travers. Pour un maître, j’en suis un!”
    Il parlait volontiers, toujours en riant, de ses marches dans l’armée de Boudionny, avec amour pour celui-ci, pour ses camarades. Il parlait des circonstances oû il avait perdu sa jambe et Olga voulait rire, mais elle ne le faisait pas, ce n’était pas bien de rire du malheur d’autrui, de l’infirmité.
    Avant la guerre la belle-fille de Zakhar Pétrovitch, la femme de son fils aîné, un officier, était venue chez lui avec son petit-fils. Elle eut peur de la guerre. Elle se précipita à la gare, mais elle ne put partir ni avec un train de voyageurs, ni avec un train de marchandises. La femme de Zakhar Pétrovitch était partie à pied avec la belle-fille pour l’aider à porter l’enfant qui avait deux ans. Elle avait l’intention de revenir, mais... ,,Mes femmes ont détalé, je crois que les chars allemands n’ont pas pu les rattraper. Autrement elles seraient de retour, beaucoup de Minskois sont rentrés.” Il parlait de sa femme et de sa belle-fille avec une angoisse dissimulée, tristement, mais toujours en plaisantant. Quant au fils cadet, Vitiok, qui venait de partir chez les partisans, il en parlait toujours d’un ton sérieux, soucieux, paternel. „Aujourd’hui j’ai vu mon Vitiok en rêve. Nous avons scié du bois. Des sapins très minces. Qu’­est-ce que cela signifie, Olga, tu ne sais pas?” Il ne croyait ni aux rêves, ni aux signes, il se moquait des icônes et des dieux, il chassait de chez lui des diseuses de bonne aventure qui allaient de maison en maison, mais il commençait à croire à tout ce qui concernait Vitiok. ,,Si tu savais quel est ce gars, mon Vitiok”,! ,,C’est Vitiok qui a fait cela. Il fait ce qu’il veut de ses doigts.”
    Sans doute, ce ne fut pas seulement à Olga qu’il avait parlé de Vitiok; ce n’est pas sans raison que les militants l’avaient surnommé „Vitiok".
    Olga avait aimé ce vieil original dès leurs pre­mières rencontres. Elle s’était fiée à lui plus qu’à tous les autres. Elle n’osait plus demander au Commandant de permettre à Sacha de venir chez elle ou de lui donner son adresse. Elle le demanda à Zakhar Pétrovitch. Celui-ci, sans rien dire, la comprit, elle en fut même un peu gênée. ,,Je con­nais ton Rossignol. Nous l’appelons Rossignol. Il est venu chez moi, il a passé deux nuits ici. Un gars intelligent. Comme mon Vitiok.“
    Deux jours après il lui donnait l’adresse, en souriant: „Andrey aime jouer à la conspiration. Pourquoi a-t-il voulu vous séparer? Ayez une joie, au moins. La conspiration est une chose astucieuse. Plus elle est simple, plus elle est sûre. Il ne faut pas y jouer."
    La même journée elle se précipita à l’autre bout de la ville, à la rue Kamennaïa. Aless n’était pas là. Elle se calma, comme le peut une femme, quand elle vit qu’il habitait chez un couple de gens âgés, vivant seuls. Olga tourna, se pavana devant eux pour leur donner à comprendre que le but de sa vi­site était un intérêt purement féminin, elle demanda même: „Des jeunes filles ne viennent pas chez lui?" — ,,Eh, ma chérie! C’est un saint" lui dit la femme. „Ils sont tous des anges, ma mère, quand ils prennent le sein de maman, mais dès qu’ils voient le sein d’une autre femme, on ne sait plus où est passée leur sainteté."
    La vieille fit même le signe de croix en ca­chette.
    Aless vint le lendemain. Olga chauffait le four, elle était affairée. Elle l’embrassa, le serra dans ses bras humides. Il lui reprocha d’avoir parlé de la sorte devant ces gens, elle avait troublé les vieux
    qui l’avaient accusé de connaître une fille sembla­ble à celles qui s’abouchent avec des officiers alle­mands. Elle lui répondit d’un ton furieux, répétant les paroles de Zakhar Pétrovitch:
    „Ne jouez pas à la conspiration avec Andrey. Quant à tes vieux, je le leur ai dit parce qu’ils ne m’ont pas plu. Ils sont comme... comme s’ils étaient apeurés depuis leur enfance. Et moi, je n’aime pas les peureux!11 — „Quand as-tu eu le temps de devenir si brave?1*
    Ils faillirent se quereller.
    C’était vrai, le couple ne lui avait pas plu. En pensant à la sécurité de Sacha elle le dit à Zakhar Pétrovitch, elle lui raconta tout comme cela s’était passé. L’invalide rit aux larmes. „Ah, que tout marche bien! Alors tu dis, dès qu’ils voient le sein d’une autre femme?..“ Mais il la calma: le maître de la maison était son ancien ami, ils avaient fait la guerre ensemble contre les blancs, ouvrier de l’usine de réparation des locomotives, il avait été membre du Parti, puis il avait été exclu à cause de sa femme, elle allait à l’église: une femme honnête, bonne, mais pieuse.