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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Kostik, mon chéri, que me fais-tu? Ta mère me tuera pour ne pas t’avoir ramené. Elle mourra de douleur.
    Il s’assombrit, se tut, souffla du nez, il avait un rhume de cerveau.
    — Elle n’en mourra pas. Elle n’est pas la seule à avoir des enfants au front.
    Olga n’arrêta pas de camion, elle avait peur que Kostik ne montât pas avec elle et que leur conduite put paraître suspecte aux Allemands; ces Alle­mands, ils sont différents, il y en a parmi eux qui sont humains, mais pour la plupart des cas ce sont des sauvages.
    Elle espérait que Kostik allait changer d’avis. Ils marchèrent toute une journée sur une route glissante, portant leurs lourdes besaces. Kostik ne répondait plus à ses persuasions, il se taisait, il était triste. Puis il lui demanda combien il leur restait encore de chemin à faire jusqu’à Minsk; Olga comprit que sa résolution était ferme.
    — Où les trouveras-tu, ces partisans?
    — Dans la forêt.
    — Avec cette neige? Tu tomberas comme l’agneau du conte. Les loups te mangeront.
    — Ne me fais pas peur. A d’autres! Il y a des loups plus méchants dans la ville.
    Ils ne pourraient pas gagner la ville en une journée s’ils ne prenaient pas un camion. Il leur faudrait encore passer une nuit quelque part. Et cette nuit Kostik disparaîtrait, elle ne pourrait même pas dire aux Borovski où il était allé, dans quelle forêt.
    — Veux-tu, je te conduirai dans la forêt chez les partisans?
    Surpris, Kostik s’arrêta net.
    — Toi? Tu peux me conduire chez les partisans? — Oui, si tu me le demandes comme il faut. — Tu me fais rire.
    Il tomba sur un rempart de neige à côté de la route, agita les jambes en l’air pour montrer qu’il avait envie de rire, qu’il se moquait d’elle, d’une marchande de la Komarovka, qui savait où se trouvaient les partisans; on voyait bien qu’il ne voulait pas rire, qu’il n’était pas d’humeur à plaisanter, lui, exténué, gelé, rempli de craintes devant cette vie inconnue où il allait entrer. Olga comprit tout cela, mais fut néanmoins blessée par cette bouffonnerie.
    — Ce n’est rien, tu peux rigoler, si tu en as envie.
    Il la rattrapa, sérieux, comme s’il était devenu plus âgé, il aurait compris, petit diable, que ce n’était pas pour rire qu’elle lui avait parlé des partisans.
    — Excuse-moi, Olga, pour tout. Tu penses que quelqu’un d’autre que moi t’aurait cru d’être liée avec les partisans? Que tu es brave! Léna ne fait que parler... comme si nous avons besoin d’être persuadés. Elle ne sait rien. Je lui ai parlé à propos des partisans.
    En voilà un malin, il sait bien qu’elles sont jalouses, l’une de l’autre, sa soeur et Olga.
    — Mais pour cela nous devons aller du côte de Roudensk.
    — Où tu veux, je te suivrai au bout du monde.
    I Marian Sivets, agent de liaison, cheminot sous l’occupation, comme il l’était avant la guerre, habitait dans un village, il ne fut pas content qu’­elle amenât ce garçon sans demander l’accord de Zakhar Pétrovitch; il lui dit: „Les partisans ont besoin de militaires, d’officiers de l’Armée Rouge, et pas de ces morveux, les villages en sont pleins, tu n’as qu’à leur faire signe*1. Mais, au bonheur de Kostik, Sivets connaissait bien Léna ils s’étai­ent rencontrés chez Zakhar Pétrovitch; peut-être, on avait formé d’abord Léna comme agent de liaison, et puis Olga, elle leur serait mieux convenue.
    Olga ne se hasarda pas à aller chez les Borovski, elle avait peur de ne pouvoir expliquer à la mère où avait disparu son fils. Elle demanda à un garçon son voisin, de dire à Léna de venir chez elle. Léna accourut, tout essoufflée, blanche comme un linge, elle cria d’une voix terrible de la porte:
    — Où est Kostik? Où l’as-tu caché?
    Olga dut lui raconter toute la vérité. Une grande réconciliation eut lieu. Elles s’embrassèrent, elles s’excusèrent, elles se demandèrent pardon, elles se jurèrent de ne plus jamais se disputer.
    Maintenant Olga était plus calme, elle avait une âme amie près d’elle, sa camarade d’école à qui elle pouvait tout dire, demander son avis, sans rien cacher. Auparavant elle regrettait que les Borovski n’étaient pas ses voisins les plus pro­ches, que ce n’était pas une seule palissade qui les séparait, il lui semblait qu’ils auraient pu se ve­nir en aide, les uns aux autres. Et maintenant elle se dit qu’il ne fallait pas crier sur tous les toits son amitié avec eux. Il valait mieux se tenir à l’écart. Peut-être, elle ne devait plus aller si sou­vent chez Zakhar Pétrovitch. Non, chez lui, elle 278
    pouvait bien y aller. Elle n’avait pas peur pour lui. Mais pour Sacha .. Il ne faut pas que celui-ci vi­enne chez elle pour la nuit, car cela ne lui donnait pas beaucoup de joie. La peur qui l’avait quittée, mainitenant elle allait dans la ville et dans les vil­lages sans crainte, cette peur revenait. Son som­meil était devenu calme. Elle n’avait plus besoin de cette peur qui lui rongeait l’âme, comme la rouille ronge le fer, qui affaiblissait sa volonté.
    Elle resta plongée dans ses réflexions et elle n’entendit pas que Sacha avait quitté son lit, était entré dans la cuisine. Elle tressaillit, le voyant surgir devant elle, comme s’il l’avait surprise quand elle faisait quelque chose de défendu, de honteux.
    — Pourquoi restes-tu ici?
    — Tout simplement... Je ne peux pas m’en­dormir.
    — Pourquoi donc?
    — J’ai dormi pendant la journée, elle le trompa sans y penser, car il savait qu’elle ne se couchait jamais pendant la journée.
    — Il va faire jour et tu n’as pas dormi.
    — Si, j’ai dormi.
    — Afais non, moi, je le sais.
    — Alors toi comme moi, tu n’as pas dormi, s’étonna-t-elle. Auparavant elle croyait qu’elle pouvait toujours savoir d’après le souffle s’il dormait ou non; son sommeil était toujours in­quiet comme celui d’un garçon qui avait couru toute la journée, qui avait eu pas mal d’impres­sions; cette nuit il avait ,,dormi“ calmement, sans bouger, c’est ce qui l’avait trompée.
    L’éclat de la neige dans la cour permit à Olga de voir qu’il se tenait devant elle, pi­eds nus, en chemise de nuit.
    — Le plancher est froid. Prends les valenkis, je les ai chauffés.
    — Et toi?
    — J’ai les miens sur le four où ils se sèchent.
    Elle lui donna les vieux valenkis usés de son père, lui mit sur les épaules la pelisse qu’elle avait chauffée de son corps. Elle prit ses valenkis, petits, blancs, les mit. Elle demeura quelque temps en chemise de nuit.
    — Assieds-toi. Nous avons une pelisse pour nous deux.
    Contente, elle plongea comme une souris sous la pelisse, embrassa Aless, se serra contre lui, resta immobile, comme si elle voulait se fondre en lui, ou entendre les battements de son coeur, ou tâ­cher de pénétrer dans le fond de ses idées. Puis elle posa sa bouche contre sa joue et lui murmura ce que murmurent toujours les femmes:
    — Que c’est bien d’être avec toi.
    Mais il ne fit pas preuve de la même douceur, il était plus réservé que jamais.
    — Qu’est-ce qui te tourmente, Olia que tu ne peux pas t’endormir?
    Elle s’écarta un peu et réfléchit un instant. De­vait-elle lui dire ce qui la tourmentait? Lui dire qu’il ne vienne plus ici, car elle avait peur pour lui? Non, si elle le lui disait, elle tuerait son amour, son unique joie.
    — Je réfléchis comment nous allons vivre après la guerre, puis elle se reprit et se corrigea: Com­ment moi, je vais vivre.
    — Tu as peur?
    — De quoi?
    — De cette vie d’après-guerre?
    — Mais non! elle rit franchement. Si je n’ai pas peur de ma vie d’aujourd’hui, pourquoi veuxtu que j’aie peur de ma vie qui sera! Je suis heu­reuse de la vie que j’aurai. J’ai décidé fermement de faire mes études. J'étais couchée et je réfléchis­sais: j’irai à l’école. Puis j’entrerai à l’institut.,, 280
    Et puis après, de nouveau à l’école, car je serai institutrice, je veux enseigner. Après sa rencontre avec Yanina Ossipovna elle y avait souvent ré­fléchi. Tu crois que je peux devenir institutrice?
    Aless l’embrassa avec reconnaissance.
    — Tes rêves sont beaux.
    — C’est grâce à toi que je peux rêver mainte­nant.
    Il soupira.
    — Il me semble que moi, je ne peux plus rê­ver. Je rêve rarement. Même je ne veux plus lire. Surtout des vers. Cela me fait peur, Olga. Avant c’était pour moi la plus grande joie que de lire une bonne poésie. Tu sais que j’écrivais des vers, je me disais que j’étais un poète. J’étais heureux, oh, que j’étais heureux de savoir écrire des vers, d’avoir une profession qui donnerait du bonheur aux autres. Mes camarades de classe brûlaient d’envie d’entrer dans des écoles militaires. Moi, je n’ai jamais voulu être un militaire. Je voulais être un instituteur et... un poète. Et maintenant... je tue... Mais tu sais, pourquoi je ne peux pas m’endormir, ce qui me tourmente? Je suis in­capable de faire cela, je ne l’apprendrai jamais... Je le fais et cela me tourmente... j’ai déjà tué trois... Allemands, des fascistes... Tu te rappelles les frissons que j’ai eus après que j’avais tué le premier. Et maintenant rien, pas de tourments particuliers, parfois... les nerfs... Les ennemis ont cherché leur mort, ils sont venus pour te tuer, pour me tuer, pour détruire notre peuple... Ils commettent des atrocités, ils tuent, ils pendent... Sang pour sang! Mort pour mort! — ce ne sont plus des mots. C’est le sens de notre vie d’aujourd’hui. Ils ont pensé qu’ils pourraient nous soumettre... Mais regarde le peuple qui se lève. Tu m’as dit que dans chaque village on ne parlait que des partisans. Et qu’est-ce qu’il y
    aura encore! Ce n’est rien en comparaison avec ce qui les attend. Ils vont voir. Je le comprends. Je le comprends mieux que les autres: plus nous les tuerons, plus proche sera notre victoire. Mais tu sais ce qui s’est passé avec moi? J’ai reçu une mis­sion... Le comité clandestin a prononcé un arrêt à un traître. La mort! Je suis chargé de mettre cet arrêt en exécution. Mais tu sais... Tu sais... Tâche de comprendre que je ne l’aurais dit à personne, ce n’est qu’à toi... à toi que je peux dire tout ça. Ceux que j’ai tués, des Allemands, des étrangers, je ne les ai vus que de loin, je ne sais pas qui ils sont. Ils ne sont pas des humains pour moi. Ils sont venus me tuer, moi, et je les tue. Et celui-ci c’est un des nôtres. Il est de chez nous... un Bié­lorusse. Ce serait peut-être plus simple si je ne l’avais pas connu... Mais je le connais très bien, on se voyait... Je comprends qu’un traître est pire qu’un fasciste. Mais c’est égal... j’ai de la peine à tuer un des nôtres. Je ne peux pas... j’ai peur de cette mission, Olia. Je ne peux pas trouver l’issue: comment, où, quand faire cela... Je ne dors pas depuis deux jours...