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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Elle y pensait toujours revenant à la maison avec les allumeurs. Elle s’imaginait faire ses études. Elle était émue comme si elle courait à l’institut pour passer les examens d’admission. Mais ses rêves cessèrent: des camions allemands, blancs et gris, avec des taches, s’avançaient à sa rencontre; les soldats qui se trouvaient dans un camion se mirent à la montrer au doigt, en rigolant, en hu­lulant. Les jambes lui manquèrent. Si le camion allait s’arrêter et ils l’entouraient, la dépouil­laient de ses vêtements?
    Cette peur devant les Allemands, elle l’éprouva encore quand elle se préparait à emmener la petite Svéta chez son frère. Elle se disait que c’était une chose tout à fait naturelle, elle ne craignait que de se séparer de l’enfant. Car pendant tout le temps de l’occupation, en été, en automne, main­tenant,en hiver,elle n’emmenait pas Svéta plus loin que la maison de la mère Maryla qui habitait dans leur ruelle, à quelques trois maisons de chez elle. Sans compter ces deux ou trois Allemands qui étaient venus chez elle avec des policiers, les oc­cupants n’avaient pas vu son enfant, qui vivait dans son pays, à elle, d’après ses propres lois. Maintenant Olga devait la mettre, tout emmitoufflée, sur la luge et la conduire à la Storojovka. Il est vrai, elle ne passerait pas par le centre où les Allemands constituaient la majorité des pas­sants, mais, peut-être, c’est pis encore que les rues de la périphérie sont désertes et si quelqu’un l’accrochait, personne ne la défendrait. Pendant tout le temps de l’occupation elle ne s’était jamais ressentie si abandonnée que ce jour-là. Elle ne comprenait pas, elle s’étonnait à cause de cette idée qui lui était venue d’emmener l’enfant. Elle était allée plusieurs fois dans des villages, une fois elle s’était absentée pour cinq jours, jamais elle n’a­vait emmené la petite chez son frère, c’était tou­
    jours Maryla qui la gardait. Pourquoi avait-elle voulu l’emmener aujourd’hui? Cette résolution lui faisait peur, mais elle ne pouvait plus revenir sur sa décision. Elles partirent. Il fallait se dé­pêcher pour revenir vers le soir: on allait apporter les grenades.
    Tout se passa bien. Même la séparation ne lui causa pas beaucoup de peine, ne lui fendit pas l’âme. Svéta se lia tout de suite d’amitié avec sa cousine de cinq ans, ce qui réjouit Olga. Quant à Galia, la femme de son frère, elles étaient amies encore à l’école, et surtout, la première année après le mariage de Kazimir. Mais après, la mère avait pris sa belle-fille en grippe, elles s’étaient querellées, et Olga, adolescente, avait soutenu sa mère, bien qu’elle n’eût jamais éprouvé d’ini­mitié à l’égard de Galia, elle en voulait plutôt à son frère.
    La bru n’était pas trop contente de recevoir cette enfant qui lui était étrangère, comme elle l’avait dit. Cette attitude piqua Olga au vif. Galia voulait se quereller, se venger des offenses anciennes. Mais une chose étrange arriva: sa façon de se quereller ne produisit aucune impression sur Olga, elle n’en fut point fâchée, mais, au con­traire, elle ne fut encouragée, réjouie et lui re­donna même de l’affection à l’égard de sa bru.
    Galia lui dit:
    — Tu cours toujours, tu fais du commerce? Tu n’en as jamais assez? Les gens meurent et toi, tu deviens plus riche.Vous, les Lénovitch maudits, vous êtes insatiables. Vous vous casserez le cou et vos enfants seront orphelins.
    Ce n’était pas à Olga qu’elle s’adressait, mais plutôt à son passé, à son mari qui était au service des Allemands. Cela plut à Olga. Elle rit et em­brassa Galia, tout étonnée. Elle revint chez elle, elle était de bonne humeur. Et tout le reste de la
    journée elle ne pensait qu’à une chose: quand apportera-t-on les grenades?
    Au crépuscule,un jeune homme en uniforme de policier lui apporta des grenades, elle n’eut même pas le temps de le voir de près.
    Il lui dit le mot d’ordre, lui passa de main en main une grande boîte lourde et disparut comme s’il avait peur d’être reconnu ou qu’Olga ne le retînt en mémoire.
    Olga ouvrit le couvercle d’un grand seau rectan­gulaire et fit la grimace: le seau était rempli de mazout puant.
    Bien que les grenades eussent été enveloppées dans une grosse toile, le mazout y avait pénétré. Avec précaution, très attentivement, comme une grande valeur, Olga essuya les grenades, et enve­loppa chaque grenade à part dans des blouses et des fichus qu’elle avait achetés ou qu’elle avait dans la maison, dans des souliers, dans le sac avec du sel, elle ne ménagea pas les choses qu’elle n’avait jamais pensé à échanger, elle mit tout cela dans le sac pour que personne, ni Droutka, ni les Allemands sur leurs postes de contrôle ne pussent y trouver des objets durs. Tout le sac était moel­leux.
    Elle garda une grenade. Essaya d’y mettre l’allumeur, leva la main, prête à la lancer. Puis elle rit d’elle-même: comme un garçon qui joue avec une arme, comme Kostia Borovski. Elle se souvint de Kostia, elle voulut voir Léna. Mais elle n’alla pas chez Léna, elle se reprocha: pourquoi aurait-elle voulu lui faire ses adieux?
    Cette grenade chargée, avec l’allumeur, elle la mit sous l’oreiller. Puis, elle eut peur de se coucher sur la grenade et la mit dans un tiroir de la commode, sous le linge, plus loin.
    Elle se réveilla, frotta une allumette, regarda le réveille-matin, s’étonna: c’est le matin! Depuis
    longtemps son sommeil n’était pas si calme et si profond, elle aura dormi sept heures, sans se réveiller. Elle chauffa le fourneau, fit frire du lard, sans en ménager pour son petit déjeuner et pour en prendre pour leur voyage à deux.
    XII
    Droutka arriva juste à temps, à l’aube. Il entra dans la maison, comme s’il entrait chez lui, un peu soûl, ouvrit la porte avec bruit, jamais il n’avait été si brave, si gai. Une fois sur le seuil, il demanda:
    — Es-tu prête?
    — Oui. As-tu mangé?
    — Oui, mais il vit la poêle avec du lard sur le fourneau, qui sentait le fumet appétissant, il se corrigea: — Que veux-tu que mange un cé­libataire? Du pain et des conserves. Ersatz.
    — Assieds-toi, prends quelque chose. Le che­min n’est pas court.
    — Qu’on ne vole rien de ce qui est dans le traîneau.
    — Je vais voir.
    Olga mit sur la table des cornichons, de la choucroute, du pain, elle mit la poêle avec le lard. Elle ne lui donna rien à boire: Droutka, ivre, deviendrait trop hardi, insolent, et elle ne de­vait pas se quereller avec lui. Il regarda Olga d’une façon suggestive, mais elle fit semblant de ne rien comprendre, prit la pelisse et alla dehors pour garder le bien du policier sur le traîneau.
    Le cheval était là, attaché par les rênes au poteau de la porte cochère.
    Elle admira le cheval. Un cheval bai, à peau lisse, d’une constitution athlétique, il ne ressem­blait point à ces chevaux allemands de gros trait qui pouvaient tirer, peut-être, deux tonnes, mais
    qui ne pouvaient, bien sûr, courir au petit trot. Celui-là pouvait porter une grande charge, et il pouvait courir assez vite. On dirait qu’il est jeu­ne: Olga ne s’y connaissait pas beaucoup dans les chevaux, mais elle savait que seul un jeune che­val pouvait arquer le cou d’un mouvement si beau et chauvir des oreilles. Le cheval, ce petit diable, la regardait d’un mauvais oeil. Elle passa la main sur son flanc, il tressaillit et s’ébroua d’un air content.
    ,,Tu serviras les partisans", pensa Olga. Le cheval piaffa sur le trottoir gelé en bois, il aura fendu les planches, des glaçons tombèrent sur Olga.
    — Calme-toi, bêta, dit-elle. Tu serviras ceux que tu auras pour maîtres.
    Le cheval avait un harnais très compliqué, en cuir, muni de plaques métalliques et de clochettes qui ne tintaient point pas.
    ,,Droutka jouit de l’estime de ses chefs", se dit Olga; elle voulait se disposer sur une note ap­propriée, bien qu’elle crût tout ce que lui avait dit Aless à propos de ce vilain traître, elle était troublée, elle avait même peur de ne pas éprouver assez de haine pour ce policier qu’elle devait tuer.
    Le harnais était allemand, sans doute, mais le traîneau était le nôtre, biélorusse, un traîneau en bouleau, pas neuf, mais solide, il n’y avait que l’arrière qui était rénové et peint d’une couleur absurde, d’une couleur noire; personne de chez nous, pensa Olga, n’aurait jamais peint un objet comme ça en noir, ce ne sont que les Allemands qui le font. Mais tout à coup elle eut un souvenir de son enfance: certaines parties des traîneaux qui servaient à transporter les morts au cimetière étaient peintes en noir, elle ne se souvenait plus, si c’étaient les brancards ou les patins. Ce souvenir la mit mal à son aise; ces derniers temps elle avait
    cessé d’être superstitieuse, mais elle était restée pieuse, éducation de la Komarovka, où on croyait à toutes sortes de signes.
    Les objets sur le traîneau étaient couverts d’une grande pelisse. Olga la souleva et vit une machine à coudre, une bicyclette démontée et trois sacs, moelleux, avec des vêtements, sans doute.
    — Il a volé, parasite, dit-elle à haute voix, poursuivant le même objectif: se disposer sur une note appropriée.
    Le cheval avait senti qu’elle ne prendrait rien sur le traîneau, il s’ébroua en paix, tranquille.
    Elle passa la main sur le garrot du cheval: il faut se lier d’amitié avec lui, il devrait lui ve­nir en aide.
    Elle eut froid. Elle s’en étonna: elle était si bien vêtue! Il est vrai qu’elle ne s’était pas pré­parée à marcher, sac au dos, mais à aller en traî­neau. Elle avait mis son vieux pantalon de ski, ce pantalon lui était devenu étroit après la naissance de Svéta, et maintenant il lui allait bien: elle avait maigri; elle avait mise encore une blouse de laine, un vieux veston d’Adass, s’était ceinturée, avait mis encore la vieille pelisse de laine de sa mère, sale, mais très épaisse. Elle avait froid, peut-être parce qu’elle venait de quitter sa place près du fourneau où il faisait très chaud. Le temps était froid et hu­mide; il avait dégelé la veille, la neige avait fondu, pendant la nuit l’eau se gela, mais le froid n’é­tait pas grand, la ville était plongée dans le brouil­lard, on respirait avec peine.