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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    — Quand partons-nous?
    — Demain. Ce serait bien.
    Il s’arrêta, fit la grimace, réfléchit un instant, dit avec incertitude:
    — Mon chef ne me laissera pas partir.
    — Toi? s’étonna Olga du fait qu’un chef quel­conque ne laisserait pas partir la personnalité qu’était Droutka. Son étonnement lui aurait don­né une idée. Il rit les dents au vent, frappa sur la table avec sa paume.
    — Oui. J’ai des atouts. Il me permettra.
    — Je savais bien que tu n’avais que des atouts, sourit Olga et lui toucha l’épaule, le regarda avec
    douceur dans les yeux.— Mais tu sais, Fédia, j’ai encore une chose à te demander. Chemin faisant nous irons voir mon oncle près de Roudensk.
    — Tu peux bien dire: chemin faisant! Mais c’est un grand détour!
    — Fédia, mon cher, on m’a dit que ma tante était tombée malade, on demande des médica­ments. Mais avec ton cheval, vingt verstes \ ce n’est rien.
    — Bon. Ça va. Avec toi j’irai n’importe où, tu sais persuader n’importe qui. Et j’aurai une ré­compense?
    — Mais oui, elle rit d’une manière enjouée.
    Droutka essaya de l’embrasser, mais elle l’évita avec adresse et espièglerie et le menaça du doigt.
    — Eh, il faut d’abord gagner, elle recula vers la porte et dit: — Donc, je t’attends demain, Fiodor. Quand viendras-tu?
    — A l’aube. Il faut partir le plus tôt possible, on va loin.
    Une fois dans le corridor avec elle, il se vanta, en lui montrant deux portes:
    — L’appartement d’un chef bolchéviste du comité de la ville. Et maintenant, il est à moi. Dans ces chambres ils vivaient à deux, et moi, j’y vis tout seul.
    Elle quitta Droutka et alla chez Zakhar Pétrovitch. La conduite de celui-ci ne lui plut pas. En général, il se conduisait toujours comme s’il ne s’était rien passé au monde et que seule l’arrivée d’Olga était le plus grand événement dans sa triste vie solitaire. Sa joie était toujours naturel­le et sincère. Mais ce jour-là, on dirait qu’il n’é­tait pas content de la voir, qu’il était préoccupé de quelque chose, bien qu’il tâchât de dissimuler
    1 Ancienne mesure itinéraire utilisée en Russie (1067m) (N.d.T.).
    sa mauvaise humeur sous ses plaisanteries habi­tuelles. Olga s’aperçut que quelque chose était arrivée. Elle se troubla: devait-elle lui dire tout? Elle avait fait le gros de l’affaire, elle pouvait faire tout le reste. Non, elle ne pouvait pas. Elle avait besoin de sa permission, sans cela elle n’avait pas le droit d’y amener le policier.
    D’habitude elle ôtait ses vêtements et devenait tout de suite maîtresse de la maison, ce qui plai­sait toujours au vieux. Cette fois-ci elle s’assit près de la table, comme si elle était venue en vi­site, sans se dévêtir. Le vieux s’assit en face d’elle; il se conduisait comme un maître qui veut rester hospitalier, bienveillant, mais qui ne pense qu’à dire adieu à ses visiteurs. Zakhar Pétrovitch por­tait une salopette ouatinée, un chapeau pelé sur la tête. Rien d’extraordinaire, il était toujours comme ça quand il ne faisait pas son métier de cor­donnier. Mais Olga sentit qu’il faisait froid dans la maison, que le matin on n’avait pas chauffé le four, et ce fait la rendit inquiète: donc, quelque chose d’extraordinaire était arrivé. Mais elle se dit que dans ce cas-là elle avait plus de raisons de le mettre au courant de l’affaire. Car le vieux pou­vait penser que sa conduite, à elle, était incom­préhensible: elle est venue chez lui, y a passé quel­que temps, puis elle est partie.
    — Un policier me propose de partir avec lui. Il va chez ses parents, quelque part dans... dans notre zone. Alors je me suis dit: si je transmettais quelque chose à Marian? Je dirai au policier que c’est mon oncle. D’ailleurs j’y suis allée comme étant sa nièce.
    Zakhar Pétrovitch s’accouda lourdement à la table et la regarda droit dans les yeux, son re­gard était si attentif et pénétrant qu’Olga en était mal à l’aise et elle eut de la peine à sublir ce regard, il lui sembla que le vieux avait compris qu’elle
    ne lui avait pas dit toute la vérité, rien que la moitié.
    —• Comment s’appelle-t-il?
    A-t-il pensé à Droutka? Sans doute, il sait que Droutka est condamné à mort. Ce serait drôle s’il ne le savait pas. Elle se disait souvent que ce n’était pas Andrey, mais lui, l’homme sans jambe, qui était le chef de ce groupe clandestin, en tout cas, il tenait beaucoup de fils. Il faudrait le trom­per. Dans sa vie, elle l’avait fait pas mal de fois d’une façon tout à fait naturelle. Maintenant elle comprit que ce ne serait pas facile de tromper cet homme, surtout qu’après elle devrait lui dire toute la vérité.
    — Tikhonkov, se souvint-elle du nom d’un policier qu’elle avait entendu au marché. Zakhar Pétrovitch soupira.
    — Il y a quelque chose à transmettre. Un homme. Mais on ne peut le prendre avec un po­licier.
    — Non, dit Olga et se hâta d’ajouter: —Petit père, tu sais: si je portais ces grenades? — elle montra du côté de la partie inachevée de la maison où il y avait la chèvre.
    — Les grenades? dit tout bas le vieux et ses yeux devinrent tout grands, ils brillèrent d’un éclat enfantin.
    —■ Et quoi? Il ne fouillera pas dans mon sac, on ne le touchera pas, il a des papiers... D’ail­leurs quand est-ce qu’on aura une occasion comme ça?
    — Ah, que tout marche bien! Zakhar Pétro­vitch poussa un petit rire et fit bouger sa jambe de bois sous la table, il se transforma, devint tel qu’il était toujours: gai, vif, bon comme un père, confiant. Cette idée de l’agent de liaison lui avait plu.
    Olga se ranima, il lui sembla qu’elle avait dit
    à son chef la plus grande partie de la vérité, de­vant laquelle son petit mensonge n’était rien, une sorte de manifestation d’indépendance juvénile à l’égard d’un homme âgé.
    — Combien en prendras-tu?
    — C’est vrai que je n’en prendrai pas beau­coup. Tout simplement pour en mettre dans des blouses, dans des fichus. J’en mettrai dans le sel... Une quinzaine, peut-être.... Cela vaut la peine, ou non? lui demanda-t-elle d’un ton peu sûr.
    — Mais si, Oletchka, cela vaut la peine, oui. Ils ont dit qu’ils avaient besoin de grenades, et ici, elles se couvrent de rouille. Vitiok aura un cadeau de son père! Le vieux se frotta les mains et rit gaiement, mais tout à coup il s’arrêta court, devint sérieux, se mit sur ses gardes. — Ecoute. Et ici, dans la ville. Y as-tu pensé? Comment en prendre? Il vaut mieux de ne pas montrer ma mai­son au flic. Ils la trouveront eux-mêmes.
    — Je les prendrai maintenant.
    — Comment donc?
    — J ’en mettrai dans mon panier et je les cou­vrirai de pommes de terre.
    — Ah, que tout marche bien! Je couvrirai! Rien que ça! Tu es une risque-tout, Olga. Et si on t’arrête?
    — Ils arrêtent rarement pendant la journée. Ce n’est qu’une fois qu’ils ont fouillé mon sac.
    —Alors, tu vois. Non, ce n’est pas possible. Je n’ai pas le droit de risquer ta vie. Nous perdons beaucoup d’hommes sans cela, il soupira encore une fois.
    — On t’apportera les grenades.
    — Qui?
    — Quelqu’un te les apportera.
    — C’est la même chose! Qui va risquer sa vie?
    — Ne t’emballe pas, Oletchka. Ne t’emballe
    pas. Je dois réfléchir. Ce n’est pas une bagatelle. Nous jouons à cache-cache avec la mort.
    Le coeur d’Olga bondit: le vieux avait changé d’avis, mais il ne lui refusait pas, tout simplement, il avait trouvé une raison — personne ne lui ap­porterait ces grenades; après il lui dirait qu’il avait bien réfléchi et qu’il avait changé d’avis.
    Mais elle ne pouvait plus reculer, elle devait partir et voir Sivets sans la permission de Zakhar... Elle se dit avec obstination que ce serait mieux, peut-être, il y aurait moins de risque à prendre. Qu’on la juge après pour ses actes non autorisés.
    Non, Zakhar Pétrovitch ne changea pas d’avis. Il marcha de long en large dans sa vaste cuisine, frappant le placher de sa jambe de bois, regarda le four, jeta un regard sur une fenêtre, puis sur l’autre.
    — Tu prendras les bouchons-allumeurs main­tenant, tu les cacheras quelque part, excuse-moi, dans ta culotte. Et quant aux grenades, on te les apportera.
    Il alla dans la partie inachevée de la maison, en revint avec un petit paquet, déploya un chiffon graissé et Olga vit des tubes d’étain, brillants, neufs, il était impossible de croire qu’ils portaient la mort, on les aurait donnés aux enfants pour jouer.
    Zakhar Pétrovitch en compta une dizaine, lui demanda:
    — Ça suffit?
    — Ajoutez-en encore.
    Il soupira comme s’il avait de la peine à s’en séparer, de ces tubes.
    — Tu n’en a jamais assez. Ton sac sera lourd.
    — Je ne sais pas ce qui est assez et ce qui ne l’est pas. J’aime marchander, tout simplement, rit Olga.
    — Tu sais, au moins, les manier? Mettre l’al­lumeur? Lancer une grenade?
    — Non. Est-ce que j’ai fait le commerce des grenades?
    — Ah, que tout marche bien! En voilà un soldat. Il faut le savoir. Tout pourra être utile. Moi, je sais faire tout. Faire des bottes, faire une croisée, réparer une montre, démonter et monter une mitraillette allemande... Des gars me l’ont apportée pour que j’apprenne à la manier... c’est du matériel allemand. Il est vrai, ce qui m’étonne, c’est que les clients ne m’ont pas encore battu pour les bottes ou les croisées que je leur ai faites. Ils me font un rabais pour ma jambe, il cogna de sa prothèse contre le plancher.
    En parlant, Zakhar Pétrovitch, sans se dé­pêcher, regarda encore une fois les fenêtres, sortit de-dessous de sa salopette une grenade.
    — Tiens, regarde. Nous mettons l’allumeur de cette manière. Oui, sous ce truc de sûreté, et ça, c’est une goupille. Autrement dit, c’est une esse. Tu la tires et tu lances le plus vite la grenade. Et puis, tu creuses la terre avec ton nez, pour que les éclats ne t’atteignent pas, ils se dispersent en éven­tail. Ça y est? Tiens, apprends un peu, mais ne touche pas la goupille, autrement nous tomberons ici, près de notre four.
    Olga n’avait jamais de peine à apprendre quel­que chose de nouveau. Elle fit tout comme le vieux le lui avait montré, sans se tromper. Zakhar Pétrovitch fut content:
    — Tu aurais dû devenir un armurier.
    Cet éloge énoncé avec un rire lui serra le coeur: elle aurait pu apprendre beaucoup de choses dans sa vie, le chemin était libre, comme pour les autres, mais elle avait échangé la science contre la ville et le marché, contre une charrette avec de la salade et des oignons.