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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    Olga fut contente d’entendre que Sacha n’ habitait pas chez n’importe qui, mais qu’il était sous la protection d’un homme tel que Zakhar Pétrovitch, elle se disait que c’était la protection la plus sûre. Il était vrai qu’il arrivait parfois que celui-ci l’étonnait et lui faisait peur par son manque de prudence et par un risque déplacé, comme elle le croyait.
    Dans la partie de la maison qui était inachevée le vieux gardait une chèvre, avait-il besoin de voir un être vivant dans la maison, d’ailleurs un verre de lait coûtait cher. La chèvre lui faisait des câlineries comme un chien, elle se ruait même sur les étrangers comme un chien. Pendant longtemps elle ne permettait pas à Olga de l’approcher,
    jusqu’à ce qu’elle ne comprît, peut-être, que la femme était presque chez elle dans la maison. Là où se trouvait la chèvre, il y avait du foin qui recouvrait le plancher le long d’un mur orbe. Une fois quand Olga était restée pour soigner la chèvre elle prit du foin avec une fourche par-dessus les planches qui séparaient le foin de la chèvre. Quand elle sortait la fourche quelque chose de lourd, de rond tomba et roula sur le plancher. Il faisait som­bre dans la maison, voilà pourquoi elle ne put pas bien voir ce que c’était. Elle se pencha au-dessus des planches, prit la chose dans ses mains, l’ap­procha de ses yeux et faillit s’évanouir de surprise et de peur. Une grenade! Ronde, à corps rayé. Elle en avait vu jadis, dans la salle militaire de l’école, elle savait qu’on les appelait „limonka"1. Mais les grenades de l’école étaient creuses, dé­chargées, tandis que celle-là, une grenade de combat, sans doute, elle était tombée, s’était heurtée au plancher, et la fourche de fer l’avait accrochée... Donc, elle pouvait éclater. Dans sa main. Que faire? La lancer quelque part? Mais partout il y avait des murs. Dans le foin? Il prendrait feu à cause de l’explosion.
    Elle ne savait pas combien de temps elle était demeurée sans bouger, tenant sa mort sur sa paume. Puis elle comprit que si la grenade n’avait pas éclaté tout de suite, donc, il n’y avait pas de danger imminent. Doucement, comme si la grenade était en verre, elle la mit sur les planches. Toute blanche, elle entra dans la chambre. Zakhar Pétrovitch, rien qu’à la regarder, devina qu’un événement extraordinaire était arrivé. Il jeta un coup d’oeil par la fenêtre: la gestapo, n’encerclait-elle pas la maison? Non, on n’entendait personne.
    „II y a une grenade... dans le foin...“
    1 Du mot russe “limon” — citron (N.d.T.).
    — ,,Ah, que tout marche bien! Tu m’as fait peur. Comment a-t-elle roulé?“
    Il y alla, prit la grenade, la lança en l’air com­me une balle, l’attrapa avec sa main.
    ,,N’aie pas peur. Il n’y a pas de bouchon-al­lumeur. As-tu eu peur? — il franchit les planches, se retrouva dans le foin et appela Olga: — Viens ici, je vais te montrer quelque chose."
    Il fouilla dans le foin, fit une place et lui montra un ,,nid" où, comme des oeufs d’un grand oiseau, il y avait des grenades, une cinquantaine à peu près. Il fut content comme un garçon: ,,Tu vois cette richesse, Olga! Il faudrait bien la porter aux nôtres. Mais comment? Ici nous ne pouvons pas les utiliser. Et pour eux, dans la forêt, c’est comme du pain."
    Peu de temps avant cela Olga avait exécuté une mission peu ordinaire: elle était allée chez les partisans, leur avait porté des bandes pour panse­ment, de l’iode, d’autres médicaments. Il est vrai, elle n’était pas venue jusqu’aux partisans, elle avait donné tout cela à leur agent de liaison dans le district de Roudensk, à un ami de Zakhar Pétrovitch, avec lequel il était allé à la pêche au lac Serguéévskoïé.
    ... Une porte claqua, quelqu’un fit grincer des planches gelées. Il sembla à Olga que c’était la porte bâtarde qui avait claqué et que c’étaient les planches de son perron qui grinçaient: les bruits étaient si proches. Elle sauta comme un oiseau, colla le nez à une vitre, puis à l’autre. Elle n’avait pas fermé les volets, elle avait peur de vivre aveugle et sourde, elle s’étonnait que sa mère avait toujours fermé les volets, qui avait-elle craint par ce temps de paix?
    Elle sortit dans la cuisine et entendit la toux et le gémissement du vieux voisin, elle le vit qui rentrait dans sa maison, portant une pelisse noire
    et un caleçon blanc. Elle pensa à ses voisins: main­tenant elle ne pouvait pas rester indifférente envers eux. Sa mère s’était souvent querellée avec ce voisin, lui, il était maintenant impossible de se souvenir de la cause. Quant à Olga, elle avait tâché d’établir de bons rapports avec tous ses voisins au début de la guerre quand elle était restée seule avec l’enfant. Elle venait en aide à ses voisins avec les vivres. Mais elle se dit avec tristesse qu’elle ne pouvait se fier à aucun d’entre eux comme elle pouvait se fier aux Borovski.
    Elle avait froid d’être restée sur le plancher sans chaussures. Elle mit ses valenkis \ jeta une pelisse sur les épaules. S’assit près du four. Elle avait décidé de ne plus se coucher, car elle savait qu’elle ne s’endormirait pas. Elle va protéger son sommeil de cette manière, elle sera assise pour ne pas sauter à chaque bruissement de souris et pour entendre le plus vite possible le vrai danger.
    Qu’est-ce qu’ils auraient fait, elle et Sacha, si des uniformes noirs étaient venus ici? Non, il vaut mieux de ne pas y penser. Puis elle se dit qu’il fallait sortir la croisée d’hiver de la fenêtre dans la cuisine: pour qu’on puisse ouvrir la fe­nêtre et sauter dans la cour. Elle se dit encore qu’ elle devait prendre chez Zakhar Pétrovitch quel­ques grenades pour Sacha, au cas où il lui faudrait se défendre. Elle était sûre que Sacha ne se rendrait pas, qu’il résisterait. Auparavant la seule idée de ce combat inégal lui aurait fait peur, mainte­nant elle comprenait que cette issue est unique et la plus naturelle.
    Les idées se succédaient.
    Peut-être que c’était bien que les Borovski n’étaient pas ses voisins les plus proches? Léna était la dernière qui l’avait récemment appelée bour-
    1 Bottes de feutre (N.d.T).
    geoise et même traîtresse et putain. Mais elle, Olga, elle ne s’était pas offensée, au contraire, elle fut contente que cette discussion avait eu lieu après... après ce qu’avait changé sa vie.
    Quant à Léna, Olga savait tout sur elle, Zakhar Pétrovitch lui faisait des éloges, il disait qu’Olga avait une bonne amie. Léna ne savait rien sur Olga, ce qui plaisait à Olga: pour la première fois elle aurait triomphé de Léna, donc, son activité dans l’organisation clandestine était plus secrète. Léna ne savait rien sur Sacha. Elle vint un jour et demanda où était Aless; les Borovski auraient appris par des voisins que le locataire d’Olga avait disparu.
    — Mais je l’ai chassé.
    — Et pourquoi?
    — Il ne sait rien faire. Est-ce un homme? Il gêne tous les autres. Tu sais, qui vient chez moi? Il y a un officier qui me fait la cour.
    C’est alors que Léna lui avait dit les mots qu’­Olga n’avait jamais entendu de personne. Olga ne faisait que verser de l’huile sur le feu, elle se montrait d’une façon peu louable... Léna, blanche de colère la maudit et la menaça: les nôtres vien­dront, ils te pendront avec les autres traîtres. Quand Léna fut partie, Olga eut peur: qu’ est-ce qu’elle a donc débité, imbécile! Si Léna le dit aux autres, elle ne pourra plus regarder les gens dans les yeux. D’ailleurs, c’est un péché devant Dieu et son propre enfant que de se diffamer ainsi.
    Mais, évidemment, Léna n’avait pas tout dit car la vieille Borovskaïa vint chez Olga et lui demanda de prendre Kostik avec elle pour aller aux provisions dans des villages. ,,J’ai ramassé les meilleures frusques, qu’il les échange contre des produits, la famille souffre la faim.“ Olga consentit, en tout cas, elle aurait un homme à côté d’elle, un protecteur. Elle n’aimait pas partir
    avec des femmes, elle avait peur de partir seule. Mais Kostik, ce saligaud, il la taquinait tout le temps qu’ils allaient à Sloutsk, coupant comme un rasoir, on ne peut pas lui dire un mot, il se mo­quait de son commerce, lançait des grossièretés à tout Allemand rencontré. Un camion allemand les avait pris, à la fin du voyage Olga était occu­pée à compter des marks pour en donner au chauf­feur, mais Kostik, il cria à haute voix: ,,Tu mé rites une balle dans la tête, chien hitlérien. Tiens, sa gueule grasse avec nos provisions, canaille fasciste.“ Olga faillit s’évanouir de peur. Heureuse­ment que l’Allemand ne comprenait pas un mot. Il acquiesçait d’un signe de tête, approuvant Kos­tik, et il répétait: ,,Ja, ja...“
    Olga ne se retint pas et donna une taloche à Kostik: ,,En voilà un combattant, nom de Dieu! Imbécile, bourré de vannure." Après cela Kostik se tut, il ne prononça rien pendant les vingtquatre heures qui suivirent, comme s’il était muet. Olga s’inquiéta que ce petit sot ne lui jouât un tour, comment allait-elle se débrouiller? Quant à l’échange, il n’échangeait rien, Olga devait faire tout elle-même, il ne portait que les besaces avec du millet et de l’orge.
    Leur chemin de retour, ils passèrent une nuit à Valériany. Kostia et le fils du maître de la mai­son, un peu plus âgé que lui, partirent à une soirée, c’était la fête de Noël; il n’y avait ni couvre-feu dans le village, ni cette tension comme dans la ville où on avait peur de son voisin à côté duquel on avait vécu toute la vie.
    Le lendemain quand ils se remirent de nouveau en route Kostik se mit à parler, mais ses propos étaient autres, on aurait dit qu’il avait changé pendant la nuit. Il lui dit d’un ton sérieux, poli, même il s’adressa à elle sans cette familiarité qui lui était propre: „Petite tante, ne monte pas dans
    un camion — moi, je ne veux pas... Bien sûr, je t’aiderai à porter nos besaces jusqu’à Minsk, et puis, s’il te plaît, tu te débrouilleras toute seule. Je n’irai pas en ville.“
    Olga poussa un cri: en voilà un malheur, il ne manquait que ça!
    — Mais où iras-tu?
    Kostik tarda à répondre:
    — J’irai chez les partisans.
    — Imbécile, où est-ce que tu les trouveras?
    ,,Je les trouverai!11 il y avait de la certitude dans sa réponse et dans son regard, Olga en perdit la tête: que faire? comment allait-elle se conduire? Elle essaya de le supplier.