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  • La Marchande et le poète  Іван Шамякін

    La Marchande et le poète

    Іван Шамякін

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 323с.
    Мінск 1983
    79.83 МБ
    étincelles ne missent pas le feu à ce quartier de bois. On ne pourrait pas éteindre l’incendie, le corps de sapeurs-pompiers n’arriverait pas à temps. Mais les prières des vieux n’étaient pas vaines, Dieu s’avéra bienveillant à l’égard des habitants de la Komarovka.
    Le lendemain tout fut calme de nouveau. Un représentant du nouveau pouvoir apparut: un policier, brassard noir fixé à la manche d’un clair complet. Il passa, comme si c’était à l’enterrement. Il accrocha un ordre en biélorusse où les pouvoirs allemands garantissaient la sécurité à tous les habitants, leur accordaient des droits, mais ils ordonnaient de rendre les armes, les postes de T.S.F., les voitures, les motocycles et de reprendre leurs anciennes occupations, ils menaçaient de fusiller ceux qui désobéiraient.
    Olga lut plusieurs paragraphes sans attention, mais elle en retint un, celui concernant le droit au commerce. Elle décida de jouir de ce droit. Ce n’était pas la cupidité qui l’y poussait, elle comprenait que tout simplement elle allait échanger un cheval borgne contre un aveugle, mais c’était la curiosité qui la poussait, le désir de savoir ce que c’était que ce nouveau pouvoir, comment il était.
    Elle prit des oignons, des radis, des laitues, coupa des branches de lilas et des pivoines et... se dirigea vers le marché, il est vrai qu’elle surmon­tait sa peur, ses jambes fléchissaient. Les voisins qui ne détachaient pas le regard de la rue, furent très étonnés quand ils la virent porter un panier avec des légumes et des fleurs. Cette nouvelle se répandit à travers les palissades, comme c’était le cas de l’occupation de Minsk: ,,Lénovitchikha est allée au marché!11 Les uns faisaient l’éloge à son courage. Les autres l’injuriaient: „Putain! Elle veut flatter les fascistes. Tu vois, elle porte des
    fleurs. Celles-ci, c’est comme de la merde; elle flotte toujours, sous n’importe quel pouvoir”
    Olga arriva au marché et... fut un peu étonnée et désenchantée de ne pas être la première: il y avait quelques personnes sur la place du marché. Ce qui l’étonna surtout, ce n’était pas de voir ses anciennes amies, mais des gens qui n’avaient pas fait de commerce auparavant, mais qu’elle con­naissait parce qu’avant la guerre ils avaient tou­jours battu le pavé aux alentours. En un instant elle se mit à les haïr, non pas parce qu’ils étaient ses concurrents, mais comme ses ennemis secrets, qui s’étaient effacés jusqu’à ce moment précis, et maintenant ils étaient sortis les premiers. Ce n’était pas son cas: elle avait fait du commerce dimanche passé quand la guerre avait commencé, elle faisait la même chose aujourd’hui, après que le monde, comme disait la mère Maryla, fut tombé les quatre fers en l’air. Et voilà que ces punaises qui. avaient quitté leurs trous, se précipitèrent vers elle en signe de reconnaissance pour son autorité au. marché. Elle apprit qu’on pouvait bien profiter des appartements de ceux qui. avaient quitté la ville, que les Allemands fermaient les yeux sur cela. Ce furent un petit vieux aux cheveux blancs, vêtu d’un costume de toile propre, et sa fille ou sa belle-fille, maigre comme un hareng saur, d’une quarantaine d’annés, qui lui racontèrent tout cela. Ils avaient apporté au marché de belles fleurs, les Lénovitch n’en avaient jamais eu comme cel­les-ci, la mère d’Olga savait tout cultiver, sauf les fleurs.
    Olga avait entendu jadis, de son père, peut-être, que ce petit vieux était de souche allemande. Elle devina qu’eux-mêmes, ces Allemands russifiés, avaient peur de fureter dans des appartements, c’est pourquoi ils voulaient l’inciter, qu’elle at­trape une balle allemande. Olga écumait de colère
    contre eux, mais elle se taisait, comprenant qu’il valait mieux ne pas les toucher.
    Naturellement, il n’y avait pas d’acheteurs. Quel est cet imbécile qui aurait eu l’idée de venir au marché ces jours-ci? Les gens avaient peur de sortir dans la rue. Mais Olga finit par voir ceux qu’elle attendait avec inquiétude et curiosité, les Allemands. Ils étaient six, en uniforme noir qu’elle n’avait jamais vu. Plus tard, Olga apprit que c’était la gendarmerie militaire, les S.S.Vite, ils entourèrent le comptoir où se trouvaient les premiers marchands. Le petit vieux aux cheveux blancs, comme un saint d’icône, parla allemand. Il les aurait salués, se dit Olga. Ensuite il offrit des fleurs à un Allemand qui portait une cocarde sur la casquette, un officier, probablement.
    Deux Allemands s’approchèrent d’Olga, la louèrent:
    — Handel? Gut.1
    Olga eut un sourire forcé. Un Allemand prit un radis, l’essuya avec son mouchoir blanc, le radis croustilla. L’autre ne regardait pas les radis, mais il promenait ses yeux sur Olga, d’une façon blessante, on aurait dit, un Tsigane qui achète une jument et qui est sur le point de la saisir et de la forcer à montrer les dents pour calculer son âge. Le premier, qui avait pris un radis la loua encore:
    — Gut!
    L’autre rit, il remarqua que ce n’était pas le radis gut, mais Frau gut, il donna à Olga une petite tape sur la joue, ensuite sur l’épaule, et si ce n’était pas le comptoir, il serait descendu plus bas. Oh, si quelqu’un des siens lui avait fait cela, elle lui aurait flanqué une gifle! Olga pouvait sortir une plaisanterie, elle pouvait permettre à un gars de sa connaissance de la serrer dans ses bras, Adam en
    1 Commerce? Bien. (ail).
    avait été toujours jaloux, mais permettre de la taper, comme une jument sur la croupe... Ça non!
    L’officier s’approcha et dit quelque chose d’un ton sévère, le soldat remit le radis à sa place et recula. Le petit vieux au visage d’icône accourut, il traduisit:
    — Monsieur l’officier voudrait que madame lui offre des fleurs.
    — Monsieur l’officier peut en acheter, monsieur est riche, madame est pauvre, elle a des enfants à nourrir, répondit Olga d’un air sérieux, sans sourire.
    Le petit vieux fit de grands yeux, il n’osait pas traduire ces mots. Mais l’officier fixa ce folksdeutsch de la sorte que celui-ci comprit: on lui or­donnait de tout traduire avec précision. L’officier aura décidé que cette jeune Russe avait dit quelque chose d’insultant pour la Grande Allemagne ou sur le Führer. Le vieux traduisit et l’officier rit. Puis il dit quelques mots aux soldats. Alors celui qui avait mangé un radis mit tout en tas, les radis et les oignons, tandis que celui qui lui avait donné une tape sur la joue prit les fleurs.
    „Salauds, bandits, voleurs!“ pensa Olga, mais elle décida de se taire; elle se consola du fait que bien qu’ils fussent des pilleurs, ils n’étaient pas aussi terribles qu’on l’avait dit les premiers jours de la guerre. On pouvait vivre.
    D’ailleurs, l’officier, sans se presser, tira sa bourse et lui tendit un papier de l'argent étranger.
    Le vieux sembla s’envoler de joie, on aurait dit qu’un nimbe apparaissait au-dessus de sa tête.
    — Monsieur l’officier a été généreux envers madame, dit-il. Madame doit le remercier.
    — Merci, prononça Olga.
    Le vieux traduisit ce „merci" par une ving­taine de mots, il regardait l’officier dans les yeux d’un air flatteur.
    Quand les hitlériens furent partis, il s’extasia: — Quels hommes, ces Allemands! Quelle culture!
    ,,Où est-elle donc, cette culture? se dit Olga. Fous le camp, vieux salaud!“ Mais elle n’osa pas fouetter d’un gros mot ce larpin comme elle l’au­rait fait auparavant.
    Quand elle se précipitait à la maison, ce papier de dix marks d’occupation, un prix tout à fait négligeable, comme elle l’apprit plus tard, lui brûlait la paume. Olga ne l’avait pas caché dans sa blouse comme elle l’avait toujours fait, cela aurait signifié, l’attouchement de la patte d’un soldat étranger à son corps. Elle avait voulu même le jeter. Mais, élevée dans l’esprit de l’économie, elle s’était retenue: maintenant c’était de l’argent, il fallait en savoir, il fallait s’y habituer. Pourtant, pendant toute la journée le souvenir de sa première rencontre avec les occupants, de ce commerce avantageux lui souleva le coeur, comme si elle avait vendu sa conscience et non pas des légumes. Elle éprouvait sans cesse le sentiment d’avoir trahi quelqu’un ou quelque chose, mais ce senti­ment, elle ne savait pas le définir avec exactitude. Cela la mettait en colère. Depuis son enfance ce sentiment de colère qu’elle éprouvait se trans­formait presque toujours en rage. Elle se rappela ce que le vieux lui avait dit à propos des apparte­ments vides et elle décida de risquer le coup encore une fois, mue plutôt par une protestation incom­préhensible que par son avarice.
    Elle fit sa première sortie dans la maison où avaient habité les officiers de l’état-major de la région; les familles des militaires se seraient en­fuies. Quelqu’un y était passé avant elle, mais quand même elle trouva dans des commodes pas mal de linge de lit, des vêtements d’enfants, des fourchettes, des cuillers, tout lui convenait.
    Dès qu’elle fut sortie d’un appartement au deuxième étage, elle rencontra dans l’escalier des Allemands: quatre hommes, pas jeunes, fourriers, peut-être, qui ouvraient les portes des apparte­ments, se disputaient. Ses jambes fléchirent. Elle se fichait dans le pétrin! Dès la première fois. Qu’il en crève, le vieux qui l’avait incitée. Elle se rappella ce que lui avait dit Léna Borovskaïa: ,,On fusille toujours ceux qui vont à la maraude. “ Pour eux, c’est facile. Ils te descendront ici et c’est tout, qui est-ce qui les jugera, même personne ne saura où elle a péri. Personne n’aura pitié d’elle, c’est elle-même qui s’y est fourrée. Il est vrai, elle avait son passeport sur elle, elle l’avait pris à tout hasard, elle avait longtemps réfléchi s’il fallait le prendre ou non, un passeport soviétique, mais elle avait décidé qu’un document qui con­firmerait qu’elle était une Minskoise, ne serait pas de trop. Elle attendait, n’osait pas bouger, at­tendait les Allemands qui montaient. Elle avait préparé son passeport. Elle ne se plaignait pas, elle se disait sans pitié: c’est bien fait pour toi, imbécile. Elle avait pitié de Svéta. Qu’est-ce qu’­elle deviendra? Kazimir est bon, il ne l’abandon­nera pas. Mais, pauvre orpheline, elle devra vivre chez la belle-soeur d’Olga. Ce sentiment d’ini­mitié, Olga l’avait hérité de sa mère.