La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Lui sont chers aussi les bosquets de trembles et de bouleaux en robe blanche, et même les sombres et humides aunaies. La forêt nourrit J'homme, le chauffe avec son bois, avec les murs des maisons, construites en bois, l’abrite des vents glacés en hiver (on entre dans la forêt, comme dans un manteau fourré nous dit un vieux proverbe biélorusse), la forêt protège quand vient le danger pendant les invasions, les guerres.
A savoir qu’après la Révolution une attention particulière est réservée à la protection des forêts, à leur entretien, aux plantations nouvelles. Mais malheuresement il y a encore beaucoup de problèmes à résoudre dans ce domaine. Beaucoup de responsables des exploitations forestières pour réaliser leurs plans ont réussi à obtenir des coupes dans la réserve de la Bérésina (les arbres abattus sont pourris, ils n’ont pu être enlevés de la forêt à cause des pluies. Les responsables ont eu à subir les conséquences de leurs actes,
la réserve est reboisée aux endroits détériorés), et puis il y a les braconniers et les gens de toutes espèces qui vivent selon le principe “qui dans la forêt ne vole rien, est mauvais propriétaire”. Mais heureusement que tout le travail scrupuleux accompli par les gardes forestiers et les arboriculteurs, les sylviculteurs d’ornement, les chercheurs de la botanique et les naturalistes, les gardechasses petit à petit apporte ses fruits.
Beaucoup d’animaux, de plantes, de poissons, d’oiseaux, certains endroits géologiques, certaines espèces d’arbres séculaires ou rares, des massifs entiers de forêts sont placés sous la protection des lois sur l’environnement. En Biélorussie il y a beaucoup de réserves nationales (comme autour du lac Svitiaz, par exemple). Il n’y a pas longtemps il n’y en avait que deux: la réserve de Bérésina (qui servait et sert d’abri
Les ours les meilleurs vivent dans la réserve de la Bérésina
à toute la faune biélorusse, en particulier à l’ours et au castor) et celle de Biéloviège (peuplée par les rennes, les cerfs, les castors et le roi de ces lieux, l’aurochs). Il n’y a pas longtemps, une troisième réserve vient d’être créée dans le bassin du Pripiat pour protéger la flore, la faune, les oiseaux, les marais et les eaux des régions.
Il est impossible de parler de toutes les réserves, je ne m’arrêtrai que sur une seule, la réserve de Biéloviège.
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Il y a mille ans une grande partie du centre et de l’Est de l’Europe était couverte de sombres et impénétrables forêts vierges. Sur des centaines de kilomètres des géants s’élançaient dans le ciel, les rivières avaient du mal à percer les épais buissons pour tracer leur lit, partout les moustiques y régnaient par nuées, ça et la les amanites étalaient leur chair rouge pareille à de gros morceaux de viande, on pouvait y voir d’énormes cèpes-pleureurs (en Biélorussie on les appelle ainsi parce que lorsque le champignon est vieux il sécrète un liquide qui tombe goutte à goutte, le champignon semble “pleurer”.). Aujourd’hui ils sont rares, on en rencontre de temps en temps dans les forêts éloignées où l’homme pénètre rarement.
...Durant mille ans on pouvait entendre le bruit de la cognée, le village mordait dans la forêt à pleines dents, les champs faisaient reculer les pouchtchas, les géants séculaires étaient sans pitié brûlés, réduits en cendres servant à faire pousser l’orge.
Petit à petit la Biélorussie devenait plus pauvre en animaux. L’aurochs qu’on pouvait rencontrer encore au XVIIIe siècle dans la Polésie et dans le Sud du bassin du Dniepr a été exterminé, il n’a survécu que dans la forêt de Biéloviège; la zibeline, le lynx, le lièvre noir qu’on pouvait voir encore au début du XXe siècle, le cerf et beaucoup d’autres animaux ont disparu; le “tour” ou boeuf sauvage aussi (certains savants estiment que ce boeuf est l’ancêtre
de ceux qu’on peut voir attelés dans des charrettes en Ukraine ou dans la Polésie).
Les princes d’abord, les rois ensuite ont essayé de réglementer la chasse en publiant des lois rigoureuses. Et le baron Meierberg au cours d’un voyage en Biélorussie au XVIIe siècle avait constaté que les forêts étaient beaucoup plus giboyeuses que celles des régions du sud et de l’est de la Russie. En réalité, une grande partie de la faune biélorusse à cette époque avait été exterminée. “La loi sur les chasses privées” adoptée en 1657 dit entre autre: “Dans toutes les forêts, étant en notre posséssion ou toutes autres, où nos paysans pour nous chassaient le castor devront le faire ... et aujourd’hui. Si toutefois le castor venait à apparaître de nouveau sur nos rivières ou nos lacs, là aussi les paysans devront continuer la chasse; ils recevront pour leur chasse tous les cinquièmes castors capturés ou la peau du ventre de chaque animal”. Il était interdit aux gens de garder des animaux domestiques dans les bains situés dans les forêts, d’avoir des arbres, des chiens, interdit de couper du bois dans les battues de chasse à courre, interdit sous peine de mort de chasser le cerf et l’aurochs, même sur ses propres terres. Il était interdit de faucher l’herbe dans les chasses réservées; là où le paysan avait l’autorisation de couper les foins, il devait s’y rendre sans fusil, sans chien, sans épieu. Il n’était permis de chasser l’animal sauvage et l’oiseau que dans les chasses privées... Mais à partir du XVIIIe siècle tout a été bouleversé. L’Etat, la Rzecz Pospolita (genre de république formée par la noblesse polonaise et lituanienne), s’affaiblit, le roi n’était plus respecté, les magnats et la noblesse polonaise se dévoraient entr’eux. Il n’était plus question de surveiller la forêt, la chasse, de protéger le gibier, gros et menu.
...Ça fait que des forêts vierges, primitives, des forêts feuillues, des forêts aux chênes séculaires, des forêts aux ours, des marais couverts de mousses et des rivières, tran
quilles abritant le castor il n’en est resté que trois ou quatre bastions.
L’un d’eux est situé au Nord de l’Ukraine et au Sud de la Biélorussie, c’est la Polésie. Un deuxième est resté dans la région où la Bérésina prend sa source, vient le troisième, le bastion de Naliboki, puis le
dernier, le plus ancien et le plus intéressant, celui de Biéloviège.
Aujourd’hui, celui qui veut voir sur place de ses propres yeux, ce que pouvait avoir été la forêt de Sherwood du temps
La terre tremblesous'Jeurssabots
de Robin des bois, la forêt des Ardennes à l’époque des Chevaliers de la Table ronde et celle de Teutberg sous Arminius, chef des chérusques ne doit pas les chercher en Angleterre, en France ou en Allemagne, il doit venir ici, dans ces véritables forêts.
Il y a quelques siècles la Pouchtcha de Biéloviège s’étendait de l’Ouest à l’Est sur plus de cent kilomètres, elle allait jusqu’à Kobrine, du Nord au Sud, elle avait cent trente, cent cinquante kilomètres. Aujourd’hui la distance entre ses frontières sud-nord est de 65 kilomètres, de l’Est à l’Ouest la forêt n’atteint qu’une trentaine de kilomètres. Ses frontières s’étirent sur 500 kilomètres, 79171 hectares, telle est sa superficie.
Autrefois, il y a bien longtemps, lorsque toute la Polésie à partir du bassin du Pripiat
A. Kachkourévitch. /llu.stra.tion du poème de N. Goussovski.
La Chanson de l’Aurochs. XVIe siècle
jusqu’à la région de Brest, appelé “mer d’Hérodote”, a été inondée et s’est transformée en une véritable mer, toute la faune s’est réfugiée sur le plateau de Mosyr et surtout dans la plaine du Boug, où commençait la Pouchtcha. Les bois de bouleaux et de charmes étaient égayés par le soleil et le chant des oiseaux, au-dessus des rivières il y avait des nuées de canards sauvages, des ours erraient dans les sombres étendues de sapins, des centaines de sangliers, de cerfs, de chèvres sauvages, d’aurochs venaient brouter l’herbe tendre des chênaies. A cette époque la Pouchtcha était habitée par une tribu balte sauvage et belliqueuse, la tribu des Yatsvagues. La première tour de garde, construite de troncs d’arbres écorcés par les tribus slaves pour se défendre des Yatsvagues, faisait tache blanche dans la forêt vierge. Il est possible que cette tour blanche ait donné le nom de Biéloviège (littéralement Blanche tour) à la forêt.
Plus tard, au XIIIe siècle, le prince Vladimir a ordonné à Alexa, brillant constructeur et sculpteur de l’époque de broquer la sortie de la Pouchtcha aux Yatsvagues. Il a fait construire alors sur une colline, sur une des rives de la Lesnaïa, une tour haute de trente mètres. Cette tour couleur terre cuite avec des traces de chaux (le zèle de quelqu’un pas très intelligent) on peut la voir aujourd’hui surmontant la petite ville de Kamenets.
Les Biélorusses depuis longtemps ont assimilé les Yatsvagues. Quant à la Pouchtcha, les princes du pays d’abord, les rois polonais ensuite en ont fait un lieu de chasse de plaisir. Et puis il faut dire que, pendant chaque guerre, la forêt payait sa contribution en nourrissant les armées biélorussolituaniennes. Le prince Vitovt, marchant sur Grunwald, organise dans la forêt une chasse monstrueuse, des milliers de sangliers, d’aurochs et de cerfs sont abattus pour nourrir l’armée durant toute la guerre.
Mais si cette chasse avait été dictée par les circonstances, par contre celles des rois
La Tour de Kamenets. XIIe siècle
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et des tsars étaient de véritables actes de vandalisme. La faune de la Pouchtcha a diminué de la moitié après les chasses de Auguste III en 1752, pour qui on faisait passer le gibier par un long corridor de troncs et de branches pour faciliter, à lui et à sa suite, de tuer les pauvres bêtes. A la fin du XIXe siècle, le tsar russe Alexandre (aussi trois), bourreau de son pays ainsi que d’autres peuples, a organisé dans la forêt de Biéloviège une hécatombe pas moins sanglante, tuant par centaines: élans, cerfs, sangliers. Des dizaines de photos en sont la preuve, on peut y voir les braconniers au milieu de leurs victimes, à table, buvant de “l’eau de vie des chasseurs”, au milieu d’un banquet solennel, ou parmi des paysans “complaisants”. Pour garder un souvenir de ces chasses héroïques un livre a été publié, illustré par les meilleurs maîtres de l’époque qui en on fait un chef d’oeuvre de l’art polygraphique.