La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Alors ni le cerf, ni le castor ne se cacheront à la vue de l’homme.
En attendant je suis content de vous avoir fait entrer un instant dans la Pouchtcha, dans ses clairières ensoleillées, dans ce coin le plus beau de notre antique pays. Je suis content de vous avoir donné la possibilité de rester un instant seul avec les cerfs et les aurochs, les charmes et les chênes noueux, avec ce qu’il y a de plus humain, de plus beau de cette très ancienne terre qu’est la Biélorussie.
LES HOMMES
DE LA TERRE BIÉLORUSSE
Lorsqu’on pense à la personnalité biélorusse, ou à tout autre personnalité, on se représente, en principe, ses parents, ses frères et ses soeurs, ses amis ou tout simplement les gens de son village natal. Mais a-t-on pensé au Biélorusse en général, à l’homme et son individualité, au peuple parlant la même langue, au peuple uni par un passé commun,un même présent et un même avenir?
Comment est-elle, cette personnalité biélorusse? Y avez-vous pensé? La question se pose ainsi parce qu’il y a également en Biélorussie des Russes (la plupart vivent en ville), des Lituaniens (ils forment des villages entiers dans les régions de Ostrovets et de Radougne), des Juifs, des Lettons (dispersés ça et là au Nord-Ouest de la république,) des Ukrainiens (dans certains villages du Sud à partir de Gomel, et par endroits autour de Pinsk et de Stoline).
En Biélorussie on rencontre aussi des Tatars, qui ont pour ancêtres les prisonniers faits sous Batyï et un peu plus tard pendant les incursions sous Vitovt. Ils formaient autrefois des colonies sur le territoire biélorusse. Il n’y a pas longtemps encore on pouvait les reconnaître à la religion qu’ils pratiquaient (aujourd’hui cette distinction a disparu), parfois à leurs noms et prénoms qui laissaient percevoir avec beaucoup de difficultés leur origine tatare. Disons, par exemple, Yan Moustafovitch Marouchkévitch ou bien Ivan Bogdanovitch Assanovitch (le prénom d’orgine est Assann ou Gassann). D’ailleurs, leur type ethnique ressemble aussi au type biélorusse. Leurs écritures saintes “Al-Kitaby” se lisent également en ancien biélorusse malgré leur transcription en caractères arabes.
La composition de la population de la République biélorusse est assez homogène. Elle comprend 79,4 pour cent de Biélorusses (le recensement de 1979).
Une silhouette bien harmonieuse
...Qu’est-ce que c’est que la personnalité biélorusse? Qu’est-ce que c’est que ce peuple qu’ils forment? A vrai dire, il est très difficile de répondre à ces questions. C’est un problème presque impossible à résoudre. Parmi les Biélorusses comme partout, on rencontre des sédentaires qui jamais n’ont quitté leur lieu d’origine et vivent en petits bourgeois, et des nomades, vivant un peu partout, des fainéants et des laborieux, des „limaces” et des héros (des héros du travail •de tous les jours, du travail qui apporte quelque chose de nouveau, de meilleur, d’idéal, de ce travail qui est une contribution à la vie quotidienne) il y a des imbéciles et des
sages. Et chacun vit et agit selon son caractère, le sage raisonne en parfaite connaissance, avec réflexion, l’imbécile, comme partout ailleurs.
Voilà pourquoi il ne faut pas généraliser.
Mais après avoir beaucoup voyagé à travers la république, après avoir fait la connaissance avec des milliers de personnes je vais essayer de dégager certains traits typiques du caractère biélorusse. Ce ne sera là que mon opinion personnelle (il peut y en avoir d’autres) quoique la plupart des gens, sans compter les Biélorusses, partage la mienne.
Le Biélorusse se reconnaît assez facilement, même sans l’avoir entendu dire un mot (alors que si vous l’entendez parler, même s’il parle une autre langue sans accent, il sera facile de le reconnaître à la manière dont il construit la phrase, à sa manière à lui de remplir ses poumons avant de parler et d’expirer l’air, largement, à sa façon d’employer des mots superflus pour avoir une phrase à la mélodie parfaite. Il ne dira pas: “Comment ça finira?”, il dira plutôt: “Comment, dites-moi voir un peu, ça va finir, hein, dites-le-moi?”).
Le type biélorusse est marqué par quelque chose d’à peine visible, difficile à transmettre. On le reconnaît à la forme de son nez, à ses oreilles, aux orbites et à ses yeux, à sa manière de marcher, aux gestes, à son parler et à un nombre de petits détails particuliers. Le Biélorusse du Nord est en général haut de taille (il n’est pas rare de voir des géants de deux mètres). Ceux du Sud sont de taille moyenne, plutôt ramassés, je dirais même trapus, (je répète que ce n’est pas là une règle générale, mais des traits qui se rencontrent plus souvent que d’autres). Les derniers temps l’homme a tendance à dépasser la moyenne, comme partout d’ailleurs.
Le type brun n’est pas très fréquent parmi les Biélorusses. On le rencontre, surtout parmi les hommes, dans la Polésie, dans le Sud à partir du Pripiat, dans certains en
droits de la régoin de Grodno (on les appelle “freux” pour s’amuser). Certains savants expliquent ceci par le fait qu’autrefois les Yatsvagues ont mélangé leur sang à celui des Biélorusses. Le type châtain clair ou blond prédomine en Biélorussie, rares sont les châtains-foncés ou châtains tout simplement. Voilà pourquoi les yeux des Biélorusses sont de couleur bleu ciel, gris ou bleu foncé.
La silhouette du type biélorusse est agréable, elle semble délicate et frêle à première vue, mais cette délicatesse est trompeuse; sa force physique qui peut étonner à premier abord, fait plutôt place à une grande endurance, une ténacité extrême, une persévérance courageuse. Là où l’un abaissera les bras, le Biélorusse fera preuve d’une ténacité à toute épreuve. Autrement comment aurait-il pu vivre autrefois au milieu des forêts sauvages, des marais immenses, sur cette terre pas très fertile. Cette expérience des siècles a trempé son caractère. Et ce n’est pas sans raison que depuis bien longtemps les Biélorusses sont reconnus les meilleurs pour effectuer les lourds travaux de terrassement ou pour pousser sur les fleuves les longs trains de bois. Cette trempe lui a servi aussi pour surmonter les durs épreuves de la guerre, sortir des situations les plus difficiles durant la vie de partisans.
On rencontre aussi parmi les Biélorusses de ces “aurochs” capables de tordre un fer à cheval ou vous faire une paire de menottes avec une grosse barre de fer. J’en ai connu un à Rogatchev qui a parié de porter à une certaine distance dix ancres de péniches de 12 pouds chacune (un poud ou 16 kg), il a gagné le pari et a tellement emmêlé les pattes d’ancre que les propiétaires se sont donnés beaucoup de mal pour les débrouiller et à trouver chacun la sienne.
C’est grâce à cette ténacité physique, cette santé du corps et de l’esprit, qu’on trouve en Biélorussie (par milliers d’habitants), plus qu’ailleurs en U.R.S.S., sans compter
Un habit bien choisi
l’Abkhazie et certaines régions du Caucase, des personnes âgées de plus de 100 ans. Je dirais même qu’au Nord-Est de Narotch, dans les régions de Dounilovitchi, de Charkovchtchina et de Gloubokoe on rencontre plus de centenaires qu’en Abkhazie. Il est vrai, il n’y a pas de vieillards de 140—150 ans, mais le pourcentage des personnes âgées de 100 ans comme j’ai remarqué y est plus élevé.
Voilà pourquoi, avant la Révolution, le Biélorusse se sentait offensé lorsqu’on le traitait de “malheureux”. Cette idée qu’on se faisait du Biélorusse est née quelque part dans les années trente du XIXe siècle. Et elle a été reprise un peu partout. C’est avec beaucoup de compassion, avec une douleur qui brise le coeur, que l’illustre Herzen parle dans ses oeuvres de l’homme “qui a perdu l’habitude de parler”, des générations de serfs qui ont donné naissance à un paria au crâne étroit; le grand Nécrassov lui aussi parlait de l’homme taciturne, écrasé par le travail. Cette idée, on la trouve
aussi dans certaines oeuvres des poètes biélorusses. Et tout cela, soyons délicats, ne reflète pas du tout la réalité des choses. Celui qui a vécu parmi les Biélorusses, celui qui connaît leur mode de vie, est d’un autre avis. Citons les paroles du publiciste Grousinski: “Les images du type biélorusse qu’on rencontre nous le montrent comme un homme qui ne paye de mine ... chétif, écrasé par la vie dure qu’il mène dans un pays pauvre, couvert de marais. Mes impressions personnelles sont différentes. J’ai vu le Biélorusse bien taillé malgré sa silhouette maigre... Mais le principal, c’est que je n’ai aperçu aucune trace d’asservissement, d’abrutissement. Il est vrai que par sa conduite, sa manière de parler il ne ressemble guère au Russe, il parle lentement, avec modestie, ce qui ne peut transmettre que la digne importance que le Biélorusse s’attribue, je dirais même que sa manière de penser n’est pas dépourvue de mérite. Les visages expressifs se rencontrent très souvent, alors que parmi les femmes et les jeunes filles, il n’y en a de très beaux”.*
Dobrolioubov a exprimé les mêmes pensées en parlant des Italiens, qui étaient soit disant un peuple asservi, dépourvu de volonté; cette idée a vécu jusqu’à l’époque garibaldienne. C’est ce qui s’est passé aussi avec les Biélorusses: “Tout un pays a été asservi. Nous allons voir ce qu’en disent les Biélorusses eux-mêmes”.
Pourquoi s’est-on fait une telle idée du Biélorusse? Parce que les arguments servant les idées et les buts notoires étaient tirés par les cheveux. Une lutte était engagée, le Biélorusse en était l’enjeu. D’un côté les serviteurs du tsar criaient partout en disant: “Voilà à quoi les propriétaires polonais ont réduit le peuple biélorusse”. Les Polonais de leur côté avec pas moins de verve voulaient montrer que la politique du tsar et le nou
* La Russie. Description géographique complète de notre patrie. St. Pétersbourg, 1905, tome ІХ, pp. 156—157.
veau système d’Etat avaient complètement abruti et réduit le peuple biélorusse à l’état d’animal. Et chacun jetait ses atouts. Quant à ce peuple, “réduit à l’état d’animal”, il se fichait bien mal des uns et des autres. Il continuait à vivre sans avoir l’intention de disparaître ou d’oublier sa langue maternelle.