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  • La terre sous les ailes blanches  Уладзімір Караткевіч

    La terre sous les ailes blanches

    Уладзімір Караткевіч

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 207с.
    Мінск 1981
    99.95 МБ
    Entre autre, ce peuple a toujours vivement ressenti, d’une manière purement instincti­ve, la justice et l’injustice. Le trait essen­tiel de son caractère a toujours été l’amour de la liberté. Une légende ironique contre le tsarisme et les propriétaires fonciers en est la preuve. Une légende composée dans les années 30 du XIXe siècle, lorsque les pots de vin, la cruauté et la violence étaient devenus insupportables.
    La voici, cette légende:
    “Dieu est en train de partager les terres entre les peuples. L’un reçoit celle-ci, un autre celle-là. Vient le tour des Biélorus­ses ... Le bon Dieu les prend en affection. Et le voilà parti à distribuer:“Je vous donne des rivières pleines et riches de poissons, des forêts immenses, des lacs sans nombre. Jamais vous ne ressentirez la sécheresse, le froid encore moins. Je ne vous permettrai pas de vous engraisser sur une terre fertile, afin que vous restiez toujours agiles et vifs d’esprit, la disette non plus, vous ne l’é­prouverez jamais. Au contraire, pendant les périodes de famine, les riches eux-mêmes viendront vous demander à manger. Les mau­vaises récoltes de pommes de terre seront compensées par de riches moissons ou par autre chose. Vous aurez du gibier plein les forêts, des bancs de poissons plein les ri­vières, des millions d’abeilles dans les ru­chers. Les herbes seront pareilles à du thé. Vous n’aurez pas à souffrir de la faim. Vos femmes seront jolies, vos enfants forts, vos vergers riches, vous aurez des champignons et des baies à ne plus savoir quoi en faire. Vous serez doués pour la musique, le chant et la poésie. Pour la sculpture aussi. Vous pourrez mener une vie heureuse comme.,.”
    C’est à ce moment que le Saint Michel lui donne une petite tape dans le côté en lui disant: “Seigneur Dieu, arrêtez-vous. Mais c’est le paradis que vous leur donnez! Vous leur ... mon Dieu! Vous savez qu’avec leur harangue ils sont capables de nous vider notre paradis à nous! Ils ont la langue bien pendue, si seulement on pouvait en faire autant”. Le bon Dieu se met à réfléchir, gar­gouille quelque chose en laissant comprendre qu’on ne peut pas reprendre ce qu’on a don­né. Et c’est vrai, les Biélorusses possèdent leur terre, des animaux plein la forêt, des rivières pleines de poissons, des arbres hauts jusqu’au soleil. “Bon, fait alors le bon Dieu, votre terre sera un paradis. Mais pour que vous ne puissiez pas trop vous vanter de votre paradis je vais vous donner le plus mauvais souverain de tous les souverains sur terre. Ils vous réduira un peu votre pa­radis et rabattra un peu de votre orgueil. Ça fera tout juste le contre-poids.”
    Le bon Dieu nous apparaît naïf et borné, bon à moitié, le Saint Michel, lui, c’est un bureaucrate prévenu. Un seul personnage est véridique dans cette histoire, c’est le peuple, l’auteur même de la légende, un peuple sage et épris de liberté. Ce sont là des traits paticuliers qu’il s’est attribués lui-même. Et c’est ainsi que nous devons nous le représenter.
    Il a gardé jusqu’aujourd’hui cet amour de la liberté sans être orgueilleux, cette vail­lance accompagnée de sang-froid trempée dans les révoltes sans fin contre les oppres­seurs, dans les victoires remportées sur les Tatars et les croisés, dans la grande guerre nationale du XVIIe siècle, ainsi que dans la dernière guerre contre le fascisme.
    Comme le prouve la légende que je viens de vous raconter, le Biélorusse ap­paraît aussi comme un être passionné pour le travail physique. Je dirais même plus, il applique au travail une persévérance ob­stinée de boeuf. Cela aussi s’explique fa­cilement. Le blé ne poussait pas tout seul sur une terre pauvre. Pour avoir un nou­
    veau morceau de terre il fallait parfois (au­jourd’hui aussi) arracher les souches, dé­fricher des vieilles coupes dans les forêts, abattre des arbres et encore arracher les souches, ramasser la pierraille qu’on portait dans la lisière.
    Il est vrai que l’urbanisation se fait sentir. En 1940 la population rurale s’élevait à 79% du nombre d’habitants, en 1970 elle était de 57%, pour tomber à 44% en 1980.
    Ajoutons que cette terre biélorusse pas trop généreuse autrefois a appris au Bié­lorusse à l’exploiter avec beaucoup de sa­gesse, parcimonieusement, à être économe partout pour que “rien ne se perde”, le moin­dre doit être utile: un clou trouvé par hasard, la branche ou le tronc apporté par le courant de la rivière, et celui qui prend tout cela pour de l’avarice, se trompe rudement.
    Ce qui différencie le Biélorusse, c’est justement sa générosité. Il est toujours prêt à aider celui qui se trouve dans une passe difficile. Autrefois, si par malheur un incen­die venait à détruire sa maison, le village entier allait dans la forêt du riche proprié­taire voisin, lorsque les villageois n’en possé­daient pas, abattre des arbres et deux jours après, une nouvelle maison était construite à la place incendiée; on partageait aussi le seigle: chacun apportait sa part dans la mesure du possible, pour que le sinistré puis­se subsister jusqu’au printemps et ait assez de grain pour les semailles. Puis chaque foyer apportait des affaires: qui un oreiller, qui un paletot, un autre des pots. On aidait le sinistré à refaire tout ce que le campagnard avait l’habitude de faire lui-même: les chaussures, les cuillères de bois, les baquets etc... Et tout cela, non seulement parce que tout le monde était bon et généreux, non, parce qu’il fallait survivre. Cette idée a bien été exprimée par un des poètes biélo­russes, l’illustre Maxime Bogdanovitch:
    Il me faut de nouveau mélanger la farine à l’écorce pilée,
    Car les blés du voisin sont gelés.
    Autrefois, pendant les périodes de fami­ne, les gens des régions plus riches venaient en Biélorussie pour subsister (en Biélorussie, il arrive que le seigle soit perdu par les pluies, par contre, les terres sablonneuses ponnent de bonnes récoltes de pommes de terre et d’avoine, si la pomme de terre arrive à manquer, il y a alors les champignons, le poisson, en fin de compte, il y a encore lâchasse; il n’y a jamais eu de vraie famine en Biélorussie sans compter les périodes de pillage pendant les guerres ou les razzias des propriétaires cruels et des fonctionnaires du tsar. Et malgré cela, les gens arrivaient quandmême à sortir des mauvaises passes en cachant, en combinant, c’est là que se fai­sait voir la parcimonie biélorusse. Et je vous dirais, que moi, jamais je n’ai entendu dire qu’un nécessiteux soit sorti d’une mai­son les mains vides pendant une période de disette.
    Il est ainsi pendant les dures périodes. Pendant les favorables aussi, car tous ceux qui viennent chez nous soulignent un trait de caractère singulier aux Biélorusses, c’est l’hospitalité, parfois assez lourde à supporter de la part de l’hôte. “Hôte dans la maison pareil à Dieu dans la maison” et honte à celui qui ne fera pas tout son possible, l’im­possible même, pour satisfaire le venu dans la maison. “Le Biélorusse se distingue par son hospitalité, son penchant pour la gaîté, sa confiance qu’on ne gagne pas toujours à premier abord. L’absence de toute rancune se fait nettement sentir chez le Biélorusse, le disent tous ceux qui ont eu affaire à lui. En général il est d’une nature douce”.*
    Et c’est sur cet “être bonace” que l’en­nemi plus d’une fois avait espéré compter, les ennemis plutôt, car durant l’histoire, il y en a eu assez. Un des membres du gouver­nement nazi avait écrit sans détour que les Biélorusses forment un peuple inerte et mou,
    * La Russie. Description géographique complète de notre patrie. St. Pétersbourg, 1905, tome IX p. 156.
    bon, complaisant et dépourvu de volonté et doit être exterminé ou évacué avant tout autre peuple, que l’action sera assez faci­le à accomplir parce que ce peuple n’est pas capable d’opposer la moindre résistance or­ganisée ou permanente. Là le nazi s’est trom­pé un tout petit peu, il n’a pas tout à fait su apprécier cet homme docile qui, pendant les années d’occupation, a su se défendre en tuant tout un monde actif, entreprenant, ferme, cruel, volontaire et prêt à tout, un monde portant l’habit militaire, l’uniforme des SS, de la feldgendarmerie, un monde muni d’armes les meilleures. Parmi “ce monde qui s’affirmait passer partout” il y a eu 47 généraux, beaucoup d’officiers su­périeurs du domaine administratif, le gauleiter de la Biélorussie y a même laissé ses os. J’en parlerai un peu plus bas, ici j’ajouterai seulement que ce peuple, “inerte et dépourvu de volonté”, a fait sauter 11128 trains en­nemis. La bienveillance du Biélorusse a aussi ses limites. Les limites passées, l’en­nemi a alors devant soi un homme terrible, d’autant plus terrible qu’à sa colère s’a­joute un raisonnement associé de sangfroid.
    Evidemment, lorsqu’il est question des circonstances quand “la griffe ne laboure pas le coeur”, alors l’auteur de “La Russie” a vu juste, raisonnant à propos de la personalité biélorusse.
    Mais revenons au caractère biélorusse. Son trait principal, c’est l’hospitalité qu’on offre à ceux qui la méritent.
    Beaucoup d’anciennes coutumes, basées sur l’hospitalité, petit à petit ont tendance à disparaître. L’homme de la ville aujourd'­hui peut parfois ne pas connaître les gens du palier voisin. Mais à la campagne, bien rares sont les maisons qui ne dépenseraient jus­qu’au dernier rouble pour accueillir un ami. Parfois cela devient même assez amu­sant, le Biélorusse lui-même parle avec une pointe de méchanceté de son hospitalité parfois trop exagérée: “L’hôte est comme le prisonnier, il se soumet à tout, à coucher
    même dans un lit mollet, sous un édredon de duvet”, “J’ai été bien accueilli, mais pas assez forcé” (on ne m’a pas assez obligé à manger et à boire, quant à moi, je n’ai pas trop osé). “A l’invité la meilleure place est réservée, mais le propriétaire s’assied où bon lui semble”, “L’hôte de marque per­met au propriétaire d’en profiter aussi”, “Que la nuit est claire! Si j’avais été chez des amis, il y a longtemps que je serais ren­tré”, “La première semaine l’hôte est d’or; la deuxième, d’argent; la troisième, d’étain, prêt à prendre le train...”