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  • La terre sous les ailes blanches  Уладзімір Караткевіч

    La terre sous les ailes blanches

    Уладзімір Караткевіч

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 207с.
    Мінск 1981
    99.95 МБ
    Et s’il lui arrive de tuer, il ne le fait que rarement, par nécessité, pour mieux con­naître encore ce monde animal, afin de lui sauvegarder la vie dans l’avenir.
    Il y a dans la Pouchtcha des savants et des chercheurs de tous les domaines: des sylvi­culteurs et des botanistes, des ornithologues et des spécialistes étudiant la vie des insectes, et beaucoup d’autres..,. Et puis il y a beau­coup de garde-chasses, de garde-forestiers, leur tâche sacrée est de lire tous les jours le grand livre de la forêt, de noter scrupu­leusement tous les changements qui s’y produisent. La tâche des scientifiques est d’étudier ces notes, de les systématiser, de faire des conclusions, eux aussi ont pour but d’étudier la vie de la forêt, dans toute sa variété et sa magnificence.
    Mais la tâche essentielle de tout ce monde, à tous, est de protéger la forêt avec sa faune et sa flore.
    Dans la Pouchtcha les jeunes plantations et les coupes d’arbres séculaires, les nids
    et les terriers, les prés et les plans d’eau, tout ce qui forme le kaléidoscope bariolé de la forêt, tout est surveillé attentivement.
    Mais cela ne veut pas dire que l’homme ne se mêle à rien. Il a des licences pour chasser certaines espèces (surtout l’animal sauvage qu’il faut garder dans une certaine propor­tion, ou protéger, comme le lynx, par exem­ple, il n’en reste plus qu’une quinzaine dans la Pouchtcha). L’homme effectue des coupes sanitaires dans la forêt, parce qu’elle aussi peut avoir ses maladies, les arbres atteints sont abattus pour que les insectes vivant sous l’écorce ne puissent répandre le mal.
    Et puis la réserve possède près de 11 mille hectares de terres cultivables où pous­sent le seigle, la pomme de terre, l’avoine, les betteraves, ces cultures servent à nourrir tout le monde animal en hiver.
    ...Voilà qu’arrivent les premières gelées. La Pouchtcha entière est saisie par l’hiver, l’herbe roussit, les derniers champignons, après les premières gelées craquent lorsqu’on les cueille, puis tombe la neige. On voit alors passer des traîneaux lourdement chargés qui laissent ça et là des meules de foin, des pom­mes de terre sur des espaces où la neige est au préalable soigneusement damée, ces pom­mes de terre sont le régal des sangliers qui ne tardent pas à arriver, sortant par brigades des fourrés, alors on les entend clapper de plaisir,
    L’homme nourrit les animaux pendant la période difficile de l’hiver, il les soigne aussi, s’il le faut. Lorsque l’aurochs est malade, c’est toute une calamité.
    Il n’y a pas assez de sources et de rivières dans la Pouchtcha, c’est pourquoi on y a creusé un grand nombre de lacs artificiels très pittoresques qui servent d’abreuvoirs aux animaux et d’abris aux oiseaux nageurs.
    La Pouchtcha possède un des plus beaux musées d’histoire naturelle qu’il m’est ar­rivé de voir. Il me plaît par son ensemble architectural, ses expositions aménagées avec goût. On peut y voir toutes les curiosités de la nature, commençant par les régions
    subtropicales (avec des lianes et des chênes de montagne) et finissant par des sites du seuil arctique (avec des saules de Laponie, des bouleaux nains); on peut y voir la faune variée des forêts, animaux et oiseaux, mi­nuscules et grands, des expositions de pa­pillons et d’insectes, de reptiles et de pois­sons, des milliers d’expositions, les unes plus intéressantes que les autres.
    La Pouchtcha sert de refuge à un des oiseaux les plus rares en Europe, la cigogne noire. A la différence de sa soeur blanche, elle ne peut supporter la présence de l’hom­me. La blanche se rencontre partout, sur le toit des maisons, dans les prés humides occupée à chasser les grenouilles.
    Les oiseaux y sont très nombreux. Le corbeau couve ses oeufs très tôt avant que la neige disparaisse tout à fait, que les pre­mières fourmis sortent de leur nid. Et pour­quoi? Il y a une légende à ce sujet. Il y a bien longtemps, le corbeau et la fourmi avaient fait un pari, et du fait que ni l’un ni l’autre n’avait rien à engager, tous les deux sont toujours dans le besoin, voilà pourquoi leurs petits avaient fait l’enjeu du pari. Le corbeau a perdu le pari. C’est pourquoi depuis il est obligé de couver ses oeufs pendant que la fourmi dort encore dans son nid. Depuis, il en est quitte à endurer le froid, lui et ses petits. Il a été puni, pour la bonne raison qu’il ne faut jamais parier, lorsqu’on n’est pas sûr de gagner, gros bêta!
    Le printemps longtemps attendu se fait sentir par l’apparition des ravines, des touf­fes violettes des anémones-pulsatilles (l’herbe du vent ou fleur de Pâques) dans les clairiè­res, à l’aube on peut déjà entendre dans la profondeur ténébreuse des sapins le coq de bruyère, son chant annonce l’approche du printemps.
    L’été arrive, le chant des oiseaux se fait plus fort, le cri des animaux aussi. Les té­nèbres de la nuit sont déchirés par le cri et le rire des hiboux, des chouettes et des grands-ducs. L’engoulement avec passion pousse son “lioubliou” (j’aime), la huppe
    ne lui cède en rien, le loriot s’en donne à coeur joie dans les épaisses touffes de ver­dure, et partout on peut entendre les con­certs du rossignol, dont les trilles sont les plus belles. Eh oui, des trilles superbes. Il arrive parfois qu’un de ces phénix compose son “école” à lui, et voilà que sa renommée court de région en région, comme la ré­putation du meilleur théâtre ou de l’équi­pe de football la plus forte. Aujourd’hui, c’est l’équipe “Spartak” qui l’emporte, demain c’est “Dynamo” ou une autre. Alors voilà, au XIXe siècle, les célèbres rossignols de Koursk ont cédé la première place aux ros­signols de l’Oural, ces derniers ont dû cé­der la leur à d’autres et ainsi de suite. Au­jourd’hui les ornithologues de tous les pays sont d’accord sur le fait (il y a un article à ce sujet dans la revue “Ogoniok”) que les rossignols les plus doués se trouvent en Biélorussie et les meilleurs parmi eux, sont ceux de la réserve de Biéloviège.
    L’épervier et tous autres rapaces, man­geurs de serpents et d’abeilles, le milan et l’aigle planent haut dans le ciel au-dessus des prés et des marais, le faisan passe en criaillant, dans la brume laiteuse du matin, à peine éclairée par l’aube; on peut voir la cigogne sauter dans les marais. Le coucou compte de longues années de vie à tous ceux qui sont là pour le bien (chaque “coucou” crié par l’oiseau correspond à une année de bon­heur).
    La calme de l’aube est de temps en temps troublé par le bruit des brochets à la gueule de crocodile, sautant hors du tapis des né­nuphars, comme pour humer le parfum eni­vrant des acores, de ces mêmes acores qu’on jette sur les planchers pendant la Pentocôte.
    Les prés aux tapis de fleurs multicolores, percés ça et là par le cône des genévriers font place aux bosquets qui, à leur tour, cèdent au rempart épais de sapins au contour den­telé, rappelant l’architecture gothique des cathédrales; de temps en temps surgissent de gros massifs de chênes et des charmes ma­
    jestueux âgés de pas moins de cinq cents ans.
    ...Me voilà assis au milieu des charmes séculaires. Leur tronc puissant semble tou­cher le ciel, certains ont sur leur corps des langues-de-boeuf de un mètre de diamètre. Les forêts biélorusses sont dépourvues de la monotonie austère des étendues boisées du Nord ou de la taïga. Elles sont dans la même mesure, sauvages, sombres, mais beaucoup plus variées. Un regard jeté à l’horizon ren­contre toujours des paysages nouveaux, tou­jours plus impressionnants.
    Voilà que tombe la première feuille, rous­se déjà, comme pour rappeler que l’automne existe malgré la présence de l’été, que bien­tôt la Pouchtcha s’enluminera de couleurs rouilles, rouges, pourpres, dorées, que les petites bulles gluantes du gui se transfor­meront en belles perles transparantes, que l’air au-dessus de la forêt vibrera, secoué par le cri des cigognes, des cygnes et des oies sauvages.
    Je lève instinctivement les yeux. Un cerf. Il s’est quand même fait surprendre. Il ne sent pas ma présence. Le voilà qui pèse de tout son poitrail sur le tronc d’un arbus­te, déjà puissant et élancé. Et il pousse, le pousse de toutes ses forces pour le plier et le faire passer entre ses pattes. Arrivé aux feuilles, il les saisit de ses chaudes babines molles et se régale. Après avoir mangé les feuilles, il lâche l’arbuste et traversant la clairière il s’éloigne majestueusement comme planant dans l’espace.
    Durant des siècles les éclairs foudroyants des fusils plus d’une fois l’ont arrêté net dans sa course pour lui la dernière. Et c’est grâce à un courage sublime, obstiné, farouche qu’il a réussi durant des siècles pénibles et cruels à sauvegarder sa vie, à conserver toute sa splendeur. C’est grâce à sa beauté majestu­euse, à sa douceur recherchée que le cerf a réussi à garder sur terre son monde paisible, stoïque et éternel. Il nous reste à espérer que la justice humaine le protégera jusqu’à la fin des siècles.
    Il s’approche de moi, d’un ami, doucement, comme le vent qui s’apaise.
    Il baisse la tête, il espère toucher mon coeur: „Vous ne me ferez aucun mal? Vous me protégerez?
    Prenez-moi en pitié!
    S’il vous plaît...
    Prenez-moi en pitié...
    Je te demande pardon, cerf rapide et lé­ger, à toi aussi, lecteur et ami, pour ces ci­tations subjectives. Mais nous ferons tout de même l’impossible pour te protéger, noble animal. Nous arriverons à épargner et l’au­rochs, et la bonté humaine, et les vieilles tours, et les ébats du castor, et la splendeur divine des clairières et le roucoulement des pigeons sauvages, et le calme profond et sacré de la Pouchtcha.
    Alors tout le monde, tout être vivant pour­ra vivre en paix. Il n’y aura plus de fusils cachés sous les pans de manteaux. Mais oui, ce temps viendra. Et alors, la terre partout où il y a encore des steppes pures, des mon­tagnes, des forêts intactes, te ressemblera, Pouchtcha majestueuse, parce que partout on aura appris à protéger la nature comme on le fait aujourd’hui ici. Alors elle nous rendra la pareille en nous offrant des chênes éternels, des rivières aux eaux claires où nagera la truite et où il fait si bon de tremper les pieds après une longue marche, nous offrira beau­coup de soleil et un ciel pur que ne troublera ni la poussière, ni la fumée.