La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Entre les lacs apparaissent des collines couvertes de forêts composées en majeure partie de conifères. Au pied de ces collines s’étendent des champs de luzerne semés de petites boules violettes, de lin piqués de mille yeux bleus, de blé embellis de bleuets.
Sur les collines se dessinent des petites villes aux toits pointus et aux rues tortueuses, des touffes de vieux tilleuls. Un voyageur américain qui a fait la moitié des pays du monde écrivait au début de notre siècle qu’il n’avait jamais rien vu de pareil aux paysages biélorusses dans toute l’Europe.
Parfois au sommet d’une colline ont peut voir ju^squ’à une dizaine de lacs. Ils sont magnifiques, surtout pendant les nuits claires d’été, lorsque dans leurs eaux se reflète la silhouette renversée des cimes dentelées des forêts. La nuit semble absente.
Passons encore plus à l’Est. Là aussi ce ne sont que lacs et collines, avec sur leurs pentes des pins droits comme des mâts couleur de
cuivre, un peu plus loin encore, comme après avoir passé une frontière, les flèches des pins font place aux vieux clochers de Polotsk transparents et clairs comme faits de Jùmière.
...Le Centre, très varié aussi. Au Nord, ce sont des plateaux et des collines, ça et là couverts de bois. Parmi ces éminences il y a aussi des “montagnes” dont certains monts se détachent à peine du relief général. Ce sont les monts Lyssaïa (Chauve) et Mayak (Phare).
Tout à côté s’étend la plaine où coule la Bérésina, c’est comme si c’était une autre terre avec des kilomètres et des kilomètres de forêts séculaires et sombres, le sol est comme imbibé d’eau. Partout des rivières, des étangs, des bras morts; et sur les hauts bords se dressent des sapins très vieux, des pins, des bouleaux, des chênes, des merisiers, toute une végétation variée. La mousse sur les arbres pend comme de la barbe, les amaV nites tendent leur tête rouge sur les bords des marécages tourbeux où l’on trempe le lin, et dans ces pénombres vient à passer l’ours à la démarche dodelinante, propriétaire de ces lieux.
Si vous vous dirigez vers le Sud, vous verrez que les plateaux petit à petit s’affais-r sent et là commence la plaine de Sloutsk: une mer immense de champs de blé et de seigle, clairsemée de bosquets avec des poiriers sauvages, forts comme des chênes; là où autrefois passaient les lisières,1 ça et là des moulins tendent leurs longs bras en croix. C’est le grenier biélorusse. Pour ainsi dire l’Ukraine biélorusse. (
Le bassin du Niémen, évidemment, tire son nom du fleuve qui le traverse, le Niémen, qui comme le dit le proverbe biélorusse “commence par un tout petit ruisseau”. Les terres du bassin sont douces et moelleuses, aux collines comblées, avec sur leur sommet des chênes et des tilleuls puissants, de petits villages; là se trouve aussi l’immense et la sombre Nalibokskaïa pouchtcha (forêt). Les chênes sur les rives du Niémen,
et beaucoup de puissants ressemblent à des nuages verts, la plupart des chênes sont séculaires.
Et ce qui donne au paysage un caractère romantique, ce sont les châteaux, la plupart en ruines. On en voit partout: sur les collines, sur les bords des rivières, sur des । ilôts. Elles diffèrent les unes des autres, ces constructions anciennes. Tantôt elles ressemblent tout simplement à des enclos de pierre pour le bétail: un carré de murs très hauts et épais de trpis mètres, comme à Lida par exemple. Tantôt les ruines ressemblent à des dents énormes émergeant de terre, des dents grosses comme des maisons, c’est comme si un monstre avait été enterré là. C’est le cas de Novogroudok et de Kréva. Parfois ce sont de majestueuses tours couleur blanc-rouge, reliées entre elles par des murs épais couverts de tuiles, abritant de splendides palais qui, avec un peu de travail, pourraient être transformés en confortables maisons de repos, comme à Mir par exemple.
...L’Est est un ensemble de moraines frontales, de plaines, les espaces entre les cours d’eau sont des marécages couverts de mousses, des tourbières où poussent le lêdon qui vous tourne la tête et la canneberge qu’on ramasse “à la pelle” en automne. C’est là qu’on rencontre les futaies de conifères, il se peut, les meilleures en Biélorussie. Les sapins s’élancent haut dans le ciel, brillants, imprégnés de résine. Des champignons, il y en a à “couper à la faux”." Le chêne majestueux et froid se rencontre un peu plus souvent au Sud. La région est riche en vieux parcs. En particulier le parc de l’Académie de l’agriculture de Gorki est le plus ancien jardin botanique de la république.
Et partout des ravins, des alluvionnements, des prés aux fleures multicolores, 4 bariolées, des vergers.
।—"...Le Sud ou la Polésie passe pour une plaine entièrement marécageuse. Mais c’est faux. Certains marécages s’étendent sur des dizaines de kilomètres avec des ilôts qui
émergent ça et là couverts de forêts primitives. Autrefois on ne pouvait passer sur les ilôts que par temps de grands gels ou de sécheresses extrêmes. Et si le dégel arrivait au dépourvu ou s’il se mettait à pleuvoir à torrent, les gens restaient bloqués sur les ilôts pendant un an ou même deux. Au début du XIXe siècle il y a eu une saison de sécheresse. Plusieurs chasseurs se sont arrêtés sur un de ces ilôts et ont trouvé des restes de maisons, des abris, une grosse cloche, pendue à la branche d’un chêne. La couronne de la cloche s’était incrustée dans le tronc de l’arbre. Comme nous avons appris par la suite les habitants du village voisin s’étaient cachés ici pendant l’invasion suédoise. Après il s’était mis à pleuvoir à seau, les gens avec du mal avaient regagné leur village, leurs biens étaient restés sur l’ilôt. La Cloche était restée pendue au chêne pendant plus de cent ans.
Evidemment, actuellement il ne reste presque plus d’ilôts inaccessibles.
Près du village de Gorodnoe se trouve une île où pendant les guerres se réfugiaient il y a près de mille cinq cents ans, les habitants des villages voisins; aujourd’hui on peut s’y rendre facilement par une digue.
Et que d’espace sur ces ilôts! Des conifères, des bouleaux, des buissons de framboisiers, l’air vibre du chant des oiseaux, à chaque pas des trous où se terrent les blai» reaux et les renards.
Et autour, bien sûr, ce ne sont que marécages, dangereux parfois, couverts de myo* sotis, et d’autres mille fleurs les unes plus belles que les autres. Au printemps, sur les endroits les plus fermes on voit les cigognes danser en sautillant.
Les lieux secs sont couverts de pins aux pieds desquels poussent des lichens, le sol en est gris. Et puis il y a des forêts de chênes, des chênes puissants qui ont parfois cinq, six cents et même mille ans. Ils ont presque le même âge que Polotsk ou Vitebsk. Ce qu’ils pourraient nous raconter s’ils pouvaient parler! Dans ces forêts régnent toujours
des pénombres tachées de soleil; la terre У' fume comme un encensoir, à travers les éma~ fnations on peut voir le tronc presque blanc des géants qui se dressent dans le ciel comme des colonnes. On y rencontre le cerf, le chevreuil, le sanglier, le castor. Tout à. l’Ouest, dans la pouchtcha de Biéloviège vit l’aurochs.
On peut voir ici des déserts, pas très grands. La forêt a été abattue, les travaux d’assèchement ont fait baisser le niveau des eaux souterraines, ce qui a permis aux sables de se libérer, et les voilà partis à marcher, à former des dunes, à avancer sur les champs, parfois à couvrir des marais entiers (ce qui èst encore plus dangereux que le marécage, parce que l’homme peut avoir confiance au sable, avancer et disparaître dedans, sans que personne ne sache ce qui est arrivé). Voilà, précisément pourquoi il faut être très délicat avec la coupe des forêts et le drainage des marécages.
Actuellement on y pense plus souvent,, c’est pourquoi on sème de l’herbe sur le sable des surfaces asséchées ensuite on y plante des arbres. Eh, oui, à quoi avait-on. pensé il y a une dizaine d’années? Le marais ne nous est pas ennemi, il accumule l’humidité, c’est un réservoir d’eau pour la formation, des nuages, c’est là que naissent les sources, les ruisseaux, les rivières.
Il y a aussi des prés et des collines aux pentes abruptes, des collines avec des forêts d’arbres secs et sveltes.
Aujourd’hui encore, pendant les périodes d’inondations, beaucoup de villages se trouvent isolés sur des ilôts ou bien envahis par les eaux, alors, des canots à moteur circulent dans les “rues”, transportant les enfants à l’école, les habitants au travail. Et puis il n’y a pas longtemps (ça fait bien longtemps que je ne suis pas allé en Polésie pendant les inondations et je ne sais pas si des choses pareilles se passent encore aujourdhui), on pouvait voir sur cette vaste étendue d’eau calme, large de plusieurs dizaines de kilomètres et ayant cent kilo
mètres en longueur, toute une foire sur l’eau. Une trentaine de grosses barques fixées les unes aux autres par des ponts de planches et une centaine de plus petites autour, le tout nageant d’un village à l’autre, pour se diriger ensuite vers la ville afin de vendre et d’acheter. Les chevaux effrayés regardaient de travers: “Allez au diable, on va encore se noyer avec vous!”, meuglaient les vaches, criaient les coqs, glapissaient les porcs, S’il arrivait à quelqu’un de passer non loin de la barque qui nageait dans un tel tin-r tamarre, qui savait qu’autour il n’y avait que des kilomètres d’eau, à entendre dans la brume cette symphonie, croyait avoir un accès de folie.
Et puis après tout, voilà ce que j’ai vu en 1969 sur le Pripiat: deux espèces de ra’ fiots sur l’eau avec un camion dessus. Les roues de droite dans la première barque, celles de gauche dans la deuxième et un bonhomme occupé à vider les embarcations qui prenaient l’eau, rejetant cette même eau du Pripiat, brune et limpide à la fois.
On avait sans doute grand besoin du camion. Il y avait deux endroits habités et aucune route entre eux.
__ Comme je l’ai déjà dit, du bassin du Dniepr, j’en aurais fait une région à part. Les géographies ne font pas cette distinction, je vais essayer quand même de parler des terres voisinant avec le Dniepr, comme d’un pays ayant ses particularités. Parce que toute cette région a été formée par le Dniepr et ses affluents. Cette région en a gardé beaucoup d’empreintes: et les inondations semblables à des mers; et les prés, océans de fleurs (un homme avec une ligne peut même parfois s’y cacher) avec leurs marguerites, leurs oeillets sauvages et mille autres fleurs, leurs herbes multicolores pareilles à des arcsen-ciel. Et des vestiges de l’habitat de nos ancêtres, la présence à ces endroits de vieux chênes noueux est la seule trace des époques lointaines. Et les villes et les villages qui sont nés sur ces vestiges. Et les bras morts aux eaux bleues laissés par l’ancienne rivière