La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Dans un coin du coffre on range les nappes, toujours brodées. Et si des amis ou des marieurs viennent à arriver, en un instant la nappe est sur la table, des gâteaux et du miel font le régal de tout le monde.
A côté des nappes on a les tapis, tissés de fils de laine sur des fonds de lin.
Le noir dessin au vert se mélange, le blanc et le bleu imittent la rosée voilée par la brume, les couronnes et les cerfs semblent brodés au métier mécanique et non faits à la main. L’ensemble de laine sert à couvrir les traîneaux. Il est rouge comme la cerise, avec des franges pour faire beau.
Et puis on a les châles, aux couleurs foncées pour le deuil, claires pour les fêtes, le dimanche ou pour aller chez les amis.
Encore un châle, chaud, épais, la femme l’appelle le grand.
Il couvre très bien par temps froids, il est bon pour la route, pour les jeunes et les vieux.
Doux, large, plié par le milieu, il sert à tenir au chaud le petit sur le coeur serré.
Jeunes paysannes de la province de Grodno. XIXe siècle
L’enfant est encore loin d’être né, alors que dans le coffre tout est déjà prêt pour le mariage. Le mariage aussi est différent selon les régions. Il y a plus de cent façons de §e marier. Je vais vous parler d’un mariage auquel j’ai assisté moi-même, du début jusqu’à la fin.
Les jeunes gens s’étaient mis d’accord il y a longtemps, mais le village était de ces vieux villages où tout devait se passer exactement comme autrefois.
Le marieur, le père du prétendant et le jeune homme lui-même, tous les trois devaient se rendre chez les parents de la jeune fille habitant le village voisin, à quelques kilomètres de là. Le marieur est en général un ami du jeune homme, une personne imposante, respectée du village, une personne d’esprit, ayant la langue bien pendue. Arrivés le soir près de la maison, tous les trois se postent sous la fenêtre. Le marieur commence à crier:
— Bonnes gens, donnez-nous un coin pour passer la nuit!
— Que la santé vous garde, entrez.
Dans la maison, les hôtes posent sur la table des cadeaux parmi lesquels du pain et du vin. Et voilà que la causerie commence pleine de plaisanteries, d’expressions à double sens. Tantôt elle roule sur le commerce, soit disant qu’il y a une génisse à vendre — “bien sûr qu’elle est à vendre, si acheteur il y a.” Tantôt il est question de chasse et de martres ou de pêche et du poisson d’or. Enfin le marieur annonce directement pourquoi tous les trois sont venus. Le propriétaire amadoué fait encore des manières et dit quelque chose de ce genre:
— Bonnes gens, mais qu’est-ce que vous dites! Elle est encore toute petite! Elle dort encore dans un tamis.
Enfin tout le monde est d’accord. La, jeune fille offre aux hôtes de beaux rouchniks.
La suite se passe comme dans presque toutes les noces slaves. Pendant les préparatifs, la jeune en costume national passe dans le village en invitant le monde à sa;
noce. Ce qu’il y a de particulier encore, c’est ces quelques jours avant la noce qu’on appelle “zapoïny”, quand on composait le programme de la noce ou encore la maison de la future mariée était entièrement mise à sa disposition et à la disposition de ses amies. On se remet des cadeaux, on chante, on parle du passé et de l’avenir. Et personne du genre masculin n’a le droit d’y fourrer son nez, de dépasser les limites de la cour de la maison voisine.
L’habitude de faire asseoir la mariée sur le pétrin couvert d’un manteau de peau de mouton retourné existe encore un peu partout; la présentation de la miche aussi. Alors que voici quelque chose de particulier.
Le matin, le prétendant avec une vingtaine de ses amis, après avoir cassé une croûte à la maison, s’en vont en charrette chez a fiancée.
De son plus bel habit
Par sa mère paré
Ivan se met en route,
Eclatant comme la lune dorée
Frais comme l’aube matinale
Va mon bien aimé
Au-devant de ta destinée
Chemin faisant ils chantent des airs où il est question de fleurs qui s’épanouissent sous les sabots du cheval du fiancé, que “Dieu sera favorable à celui qui lui donnera sa fille en mariage”. Chez la fiancée la table est déjà couverte, mais l’entrée est interdite aux nouveaux venus. Arrivé devant la maison, on fait semblant de tirer des coups de feu, de se battre à mort. Puis en fin de compte, moyennant une rançon on laisse entrer tout le monde.
Après une brève collation, les futurs beaux-parents sur le seuil de la porte collent deux bougies qu’ils tenaient préalablement allumées.
Un habit traditionnel
Tu as une bougie, moi j’en ai une aussi, Tu as un enfant, moi j’en ai un aussi. Des deux bougies faisons en une seule, Pour que nos enfants aient maison commune, Et une seule mère au lieu de deux.
Et ce n’est qu’après ce rite que tout le monde est admis dans la maison et se met à table. Les jeunes mariés sont placés au meilleur endroit. On apporte la miche bien dorée, entourée de fleurs. La noce bat son plein, puis il est rituel de tresser la natte de la mariée. Le frère cadet de la mariée, un ciseau à brebis à la main fait semblant de couper la natte de sa soeur. 11 serre la tresse entre les lames en disant: “C’est là qu’elle a poussée, c’est là qu’elle doit rester.” Il est clair, le futur mari en est quitte pour une rançon.
La miche de pain traditionnelle
Ensuite on passe dans un anneau une mèche de cheveux des jeunes mariés, après les avoir allumés, on coiffe la mariée. C’est là que commencent les pleurs, les lamentations, les sanglots de la future épouse. Il est évident que la jeune mariée se coiffera comme elle veut, qu’elle portera ce qu’elle veut, que cet ancien chapeau qu’on lui installe sur la tête sera bientôt enfermé dans le coffre. Mais dans les vieux villages traditionnels, ce rite est obligatoire et doit être respecté.
La cérémonie de la coiffure est accompagnée de chansons:
Je te fais une belle coiffure
Pour ton bonheur, ton heureuse destinée;
Sois donc belle comme la rose,
Sois donc saine comme l’eau claire,
Sois donc prospère comme la terre.
Et à partir de ce jour, côte à côte, avec les châles de la jeune épouse reposent sa coiffe de jeune fille, sa couronne recouverte de brocard plaqué d’or, sa “namiotka”, une longue bande d’étoffe que la jeune mariée enroule autour de la tête et du cou et laisse pendre dans le dos les deux extrémités (la namiotka de la jeune fille ne couvrait pas la nuque, elle descendait gracieusement sur la poitrine laissant voir les belles broderies).
La Caille. Une danse populaire
...Ensuite on se remet à table, on partage le “karavaï” (la brioche). Tout le monde offre des cadeaux à la jeune mariée, sa mère fait des présents aux parents du jeune époux.
Les cadeaux sont obligatoires pendant la noce, ils sont devenus traditionnels, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres coutumes.
Que ce soit à l’armée ou en voyage que parte le fils, Les cadeaux sont faits partout: lorsqu’on pend la crémaillère, à la naissance aussi, cadeaux de baptême, cadeaux de noce, on en donne aux musiciens et aux marieurs.
La noce bat son plein. Les amis trinquent non sans raison!
Les jeunes mariés reçoivent de tout coeur beaucoup de dons!
On boit de bon coeur chez les amis, on chante, on parle, On sort dehors, on danse, et on présente
des cadeaux-
Aujourd’hui les orchestres de campagne sont à peu prés partout les mêmes. Un ou deux violons, une contrebasse, un accordéon, un instrument à vent et un tambourin. On rencontre encore de temps en temps des cymbalums. Les gouslis (instrument à cordes pincées) ont presque disparu, la cornemuse, je crois, est complètement oubliée. Voilà à peu près 15 ans que je ne l’ai pas entendue. On n’en parle même plus.
Un des traits particuliers de la noce biélorusse sont les chansons, des chansons taquines visant le marieur, parfois le jeune marié. Le marieur souvent rend la pareille, ce qui fait beaucoup rire à table.
Les femmes reprennent en choeur: “Le marieur est un ivrogne, pour de l’eau de vie, il est capable de marier le diable avec un saule. Et puis sa jument a mangé son avoine et celle du cheval voisin et après
Elle a mangé les orties, les orties
Et les plants du jardin, du jardin.
Le marieur répond:
— Vous sonnez comme des bonbonnes vides, vous clabaudez comme le cabot qui essaye de se saisir la queue. Quant à toi, Khaouronia, tu peux même enseigner à brailler, tu couds, tu laves avec ta langue si bien pendue, et s’il t’arrive à faire des gâteaux, ta porte sera pleine de pâte.
Notre marieur a une cour bien propre, Ce cochon vient salir la nôtre.
— On dirait, commères, que vous venez de voir un chat si un chien vous sort de la gorge. Vous n’arrêtez pas d’aboyer, alors
qu’à la table voisine les gens sont beaucoup plus gentils que vous. Voyez (il leur montre un os), ils m’ont donné un os. Avec vous, on peut toujours attendre, même pour avoir un os... Et toi, Galatchka, t’en fais des manières? Tous les gens honnêtes ont leurs cheveux sur la tête, ton bonhomme, à toi, a le crâne nu. Je vous souhaite, bonnes femmes, de vous attraper le chignon, et moi d’en rire en me tenant le giron.
Il ajoute se touranant vers le jeune mari:
Dans le jardin les carottes fleurissent, Que la jeune Zocia un mari choisisse. Elle n’en a pas eu le choix, un ivrogne elle a. La noce a duré trois jours chez la mariée. Après le convoi s’est dirigé vers le village du marié. (Si les jeunes sont du même village, alors ça se passe parfois ainsi: le cortège quitte le village, fait quelques kilomètres et y revient du côté opposé. Il est vrai, ça ne se fait presque plus aujourd’hui, c’est du passé, comme d’ailleurs la bousculade du fiancé devant la maison des beauxparents, faisant semblant de pénétrer de force dans la maison pour ravir la fiancée. Autrefois, la future épouse devait être enlevée, et obligatoirement d’un autre pays).
Revenons à la noce à laquelle j’ai assisté. J’ai vu une coutume intéressante. Il me semble que si autrefois on enlevait la mariée, alors on tirait des coups de fusil pour de bon. Aujourd’hui ça ne se fait plus, mais il y a autre chose. A la sortie du village, on dresse sur la route une haute barricade de troncs d’arbres, de morceaux de bois, de neige. Derrière on pique des flambeaux, et des gens avec des maillets, des grimaces menaçantes, arrêtent le cortège et exigent une rançon.