• Часопісы
  • La terre sous les ailes blanches  Уладзімір Караткевіч

    La terre sous les ailes blanches

    Уладзімір Караткевіч

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 207с.
    Мінск 1981
    99.95 МБ
    Les écrevisses ne se mangent pas partout. Il n’y a pas longtemps, lorsque j’étais à la pêche avec des gens de Térébéjov, un village pas loin de Stoline, j’ai vu sur la rive beau­coup d’écrevisses, des vivantes et puis des sèches. J’ai appris que lorsqu’on attrapait des écrevisses, elles étaient alors jetées, pour ne pas empester la rivière.
    — Qu’est-ce que vous faites? Un régal pareil!
    — C’est de la saleté.
    Mais après, lorsque j’en ai fait cuire (parce que c’est à moi qu’on les remettait) et que j’ai montré comment il fallait les manger, tout a été nettoyé... C’est pareil dans certaines régions, on ne mange pas les écrevisses.
    Bon, quoi-encore... Ah, oui, le lait. On le boit frais, caillé, on en fait de la crème et du
    fromage frais. Comme a écrit Yakoub Kolass dans son poème “La Nouvelle Terre”:
    Elle apporta avec beaucoup d’égard
    Du fromage frais couvert de crème.
    Et puis il y a les kissels (gelée de fruits épaissie par de la fécule), les compotes, les pommes fraîchement cueillies ou marinées, ou tout simplement trempées, avec des assaisonnements, ça fait que l’hiver elles sont comme fraîches ou comme si elles ve­naient d’être retirées de leur propre jus. Ensuite viennent les tomates et les concombres (qu’on mange salés en hiver). Dans le Sud, dans la région du Dnieper, on a même du rai­sin, des espèces biélorusses. Et celui qui possède une vingtaine ou une trentaine de pieds de vigne a du raisin jusqu’au printemps; pour le garder il faut piquer chaque grappe dans une poire tardive, des poires qui restent dures comme du bois jusqu’à Noël; ou bien il faut faire tremper l’extrémité de la grappe dans une bouteille pleine d’eau avec de la cendre diluée dedans... On mange aussi le miel, évidemment, ceux qui en possè­dent.
    Il est clair, il y a encore les fraises des bois et les myrtilles. Les myrtilles se man­gent au lait, qu’on verse dans une écuelle pleine de baies. La bouche alors se teinte en noir, comme la gueule d’un chien méchant, mais c’est bien bon.
    Voyons les boissons nationales biélo­russes, c’est avant tout le kvass, tout de suite après le jus de bouleau. Le jus de bou­leau se boit frais ainsi que légèrement aigre après lui avoir laissé le temps de fermenter. On en ramasse de pleins fûts qu’on garde jusqu’à la moisson, on en prend aux champs comme boisson, il est alors d’une saveur aigre, un peu sucrée (parfois on y ajoute du jus de groseille ou de pomme); piquée, cette boisson désaltère bien pendant les chaleurs d’été. On fait aussi du “vin” de pommes à partir du jus fermenté, qu’on obtient en pressant les pommes. On aime beaucoup les vins forts fabriqués à la maison. Au Nord-Est
    de la République on fait de la braga qui est une sorte de bière forte préparée à la maison. On fait aussi des liqueurs: une des boissons les plus populaires est le kroupnik, une bois­son cuite à base de miel, assaisonnée de fines herbes.
    Une autre boisson pas moins connue, ,“la trois fois neuf”, une liqueur, un remède plutôt, infusée de vingt-sept herbes; citons encore les liqueurs à base de sorbes ou de cumin. Inutile de parler des liqueurs emplo­yées comme remèdes, il y a en des centai­nes.
    Voilà comment est décrit le festin des dieux dans “Tarass sur le Parnasse”:
    D’abord elle nous servit des choux,
    Et du koulech assaisonné de lard frit,
    Et puis une soupe au lait épaisse
    Qu’on pouvait prendre à volonté.
    De la gelée bien fraiche,
    De la kacha de graisse luisante.
    Des morceaux d’oie bien roux
    Servaient de régal aux dieux.
    Quand elle servit des saucissons,
    Posa un plein tamis de crêpes.
    Le pauvre Tarass bava d’envie. Son ventre sonna la faim.
    Les dieux passèrent à l’eau de vie,
    Les verres étaient remplis sans cesse, Pompettes tous braillèrent d’aise.
    Pourquoi toutes ces descriptions? Parce que les mets et les repas chez les peuples, comme les vêtements et l’habitat et l’ameu­blement sont aujourd’hui de plus en plus standardisés.
    Et à Moscou, et à Kiev, et à Minsk, que ça soit à la maison ou au restaurant, pres­que partout vous mangez les mêmes cro­quettes, les mêmes biftecks, vous portez les mêmes vêtements taillés dans le même tissu, et, petit à petit, vous oubliez la vie de votre pays natal, une vie différente et uni­que en son genre. Et c’est ce qu’il ne faut pas oublier, il faut en garder un certain souvenir.
    UN COFFRE
    PLEIN DE VIE
    ...Passons maintenant au coffre. Au­jourd’hui il a presque partout fait place à l’armoire et, évidemment, en parlant du coffre, j’ai en vue un passé assez proche, car il y a encore actuellement des régions où le coffre ou la malle trône dans la maison. D’ailleurs on en fabrique encore par-ci par-là. Les coffres, les meilleurs, sont ceux qui sont fabriqués dans la Polésie, dans le district d’Ivanovo.
    Le coffre biélorusse est à peu près le même qu’en Russie et en Ukraine, quoiqu’un peu plus grand. Parfois il est cerclé comme les malles de la région de Poltava en Ukraine. Ce qui le différencie, ce sont les couleurs. Les couleurs des coffres biélorusses sont plutôt sombres: le violet est associé au rouge foncé, le marron voisine avec le bleu ou le rouge. A part des fleurs et des bouquets, on peut encore voir sur les coffres des pein­tures stylisées de personnages et de chevaux.
    Soulevons le couvercle d’un coffre. Et pardonnez-moi de répéter la même idée, cette idée si bien exprimée par Larissa Guéniuch, une poétesse biélorusse de la vieille génération, dans son poème ‘‘Le Coffre”. Je ne reprends que la suite de son idée. Le coffre est la vie même de l’homme.
    Un coffre large, haut, cerclé de fer,
    De la peinture autour, un bon crochet d’acier, D’un tel coffre, le riche propriétaire en serait fier. Le coffre ne se fermait pas, il n’y avait nul voleur.
    Et c’est vrai. Aujourd’hui encore, dans le vieux village, lorsque le propriétaire s’en va, il pousse la porte et appuie un bâton dessus pour faire voir qu’il n’y a per­sonne à la maison, pour empêcher les chiens ou les porcs d’entrer.
    Il y avait de tout, rangé dans le coffre parfumé, tout ce que grand-mère avec ses mains avait gagné.
    Toutes les effluves des champs semblaient ici recueillies: l’odeur des prés, du thym et de la menthe.
    Voici au fond du coffre le lange du pre­mier enfant. Dans certains endroits, si la mère meurt, on le place dans le cercueil, pour lui “rappeler” le temps de sa jeunesse, le troisième jour après les couches, quand les voisines lui avaient apporté toutes sortes de bonnes choses, pour lui “rappeler” aussi la “Babka” (la sage-femme; même si la mère avait accouché encore à la maternité) qu’­on plaçait dans un traîneau ou une charette et qu’on promenait accompagnée de chansons dans la campagne. La „Babka” recevait des femmes du village toutes sortes de cadeux pour la jeune mère qui venait d’accoucher et leur distribuait à la volée des “coups” de ba­guette en guise de remerciement.
    Pour lui “rappeler” les coups de fusils tirés en l’air par les hommes dans la rue devant la porte pour le bonheur du nouveau né (il est vrai, c’est une tradition qui n’exis­tait pas partout).
    Pour “rappeler” à la défunte les chan­sons sans fin, dans lesquelles, pas pour sans raison, la grand-mère, les commères et les compères du village en étaient le sujet.
    Dans le coffre, on range aussi les piles blanches de tissu de lin qui rappellent que la jeune fille a travaillé le lin, a filé, tissé et que le mois de mai débordait de la blan­cheur éclatante des cerisiers et des pommiers en fleurs, les longues bandes de toile éten­dues dans les prés à la lumière vive du soleil.
    Aujourd’hui on tisse peu à la maison, les anciennes toiles de lin sont soigneusement gardées. Les tissus “à soi” et les vêtements taillés dans la toile sont estimés comme les plus sains pendant les chaleurs d’été.
    Viennent ensuite les rouchniks aux broderies variées. Il y a des bleuets avec des couronnes de coquelicots autour, des pi­geons et des coqs, des soucis, des marguerittes, des dahlias, on y ajoute de la den­
    telle, aux extrémités, fine comme de la toile d’araignée.
    Chaque région possédait sa broderie à elle, une broderie différente de couleur, de cara­ctère, de celle des campagnes voisines. Mais malgré son caractère local, on reconnaît assez facilement ces broderies pour dire: “Ça, c’est un rouchnik polonais, celui-là est ukrainien, alors que celui-ci est biélo­russe”.
    On pend des rouchniks un peu partout, aux murs, aux lavabos.
    Le rouchnik est aussi un cadeau... On en prépare spécialement pour le marieur, pour que la noce soit plus gaie et amusante.
    Après on a les chemises bien blanches, brodées à l’encolure, aux poignets, sur le devant, parfois tout le plastron est couvert de broderies; on se sert du rouge et du noir pour les dessins abstraits, du vert nature pour les tresses de feuilles, du vert mélangé à du marron aussi, les bleuets sont toujours d’un bleu d’azur.
    A côté des chemises reposent les gilets. On les portait par-dessus les chemises. Ils s’appelaient autrefois de différentes maniè­res: “lacet”, “chaufferette”, “brassière”, “corset”. Ils sont rouges, verts, bleus et à lacets.
    D’habitude le gilet était pris à la taille par une ceinture dont les extrémités étaient attachées à l’arrière en forme de boucle qui pendait jusqu’à la jupe. Certains gilets étaient embellis d’étroits rubans de soie, de galons d’or ou d’argent.
    Les “anedaraks”, ou jupes de gros drap, étaient placés dans le coffre, près des gi­lets. Le bleu foncé, le vert, le rouge vif pré­dominaient. Les éléments tissés représen­taient des lozanges et des carrés. Les bandes les plus larges étaient disposées en bas, plus elles se rapprochaient de la taille, plus elles devenaient étroites et l’ornement simple.
    Parfois un “anedarak” tissé et brodé est toute une oeuvre d’art.
    On avait enfin les tabliers, que tout le monde portait. Ils sont parfois faits de toile
    écrue avec des éléments horizontaux ou ver­ticaux, formant des bandes de fleurs, d’étoiles ou tout simplement de croix.
    Le tablier cache les yeux pleins de bonheur, Et les joues écarlates aussi.
    Le tablier cache les larmes Si le bonheur a quitté les pénates. Le tablier— tissu enchanteur— Donne à la taille un air piquant et moqueur. On y pose une branche de blanc merisier, Laissé là comme par hasard.