La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Où il y a four, il y a ce qui se fait dans le four.
LE PAIN.ET
AVEC LE* PAIN
Le Biélorusse aime bien manger. Voilà comment on décrit un repas dans un des fragments d’un poème du XIXe siècle (l’auteur est inconnu) “l’Enéide à l’envers”. En ce qui concerne les auteurs anonymes, j’en parlerai un peu plus bas.
Tous comme en conseil à table étaient assis Autour de bons gâteaux.
Dédona servait tout le monde,
Mettant de bons morceaux de viande
dans les écuelles, Versait du lait à volonté;
Vidait des plats pleins de gruau, D’omelette, toutes sortes de fritures; Qui demandait du foie avec de l’ail. Il y avait aussi des friandises: Des pains d’épice, des noix, Des raisins secs pleins des tamis.
Ce tableau, d’une gourmandise exceptionnelle, ne peut être que l’oeuvre d’une personne qui sait et aime bien manger, et qui, disons, n’en a pas souvent profité.
A Noël il y avait sur la table douze, dixhuit, parfois même vingt-quatre mets. Et il fallait goûter à tout. Je vais en décrire quelques uns. Cela ne veut pas dire que tout cela est sur la table à chaque fois qu’il y a des amis, non, mais ce sont là des plats nationaux.
Parlons, avant tout, d’un aliment international, qui figure à tous les repas, le pain. Le pain de blé, comme dans le midi, ici est assez rare. Le Biélorusse aime le pain noir et le regrette là où il n’y en pas. Le pain est doux fait de seigle, il est savoureux. Il est cuit au four sur des feuilles de choux ou de frêne; à la sortie du four il est légèrement aspergé d’eau et mis à refroidir sous une serviette, la pièce est alors remplie de son arôme. Il n’y a rien de meilleur qu’un bon morceau de pain encore chaud saupoudré de sel.
Au fait, le pain peut aussi guérir. Des temps les plus éloignés, le Biélorusse avait remarqué que la moisissure qui se formait en été dans le pétrin, lorsqu’on ne faisait pas de pain assez longtemps, était capable de guérir les plaies, proches de la gangrène. Combien il a fallu de temps pour que l’homme en arrive à la pénicilline!
En été, lorsque chaque minute était chère, on mangeait des galettes et des tsatsnys. Autrefois on avait pas trop confiance pour le pain blanc, on disait dans le peuple que “le besoin faisait manger du pain blanc” (dès qu’une personne n’arrivait plus à joindre les deux bouts en travaillant la terre, elle partait à la ville à la recherche du travail, ce qui était une bien mauvaise affaire. Là, on était obligé de manger du pain blanc). Les gâteaux, on les a toujours aimés. Tartes aux pommes et aux légumes, aux myrtilles, gâteaux secs roulés dans de la graine de pavot. Lorsqu’on faisait des gâteaux, les restes de pâte étaient distribués aux enfants pour que chacun puisse faire au moins un gâteau, son gâteau à lui. Et comme partout chez les Slaves, il y avait “le pain des lièvres”, c’est-à-dire les restes de pain que le père rapportait revenant de la forêt ou d’ailleurs.
Le pain s’est toujours obtenu avec beaucoup de peine. Voilà pourquoi jeter du pain était considéré comme un péché mortel. Si par hasard un morceau tombait, il fallait le ramasser, lui donner un baiser en disant: “O Dieu, je te demande pardon”. Le pain était sacré.
La pomme de terre est un aliment aussi important que le pain. On connait en Biélorussie près de mille plats de pommes de terre, commençant par le plus simple, la pomme de terre cuite dans la braise d’un feu de bivouac. Qu’il est bon de la faire rouler des cendres chaudes, de la gratter, de la casser en deux, de la saler et de la manger gloutonnement toute fumante... Et finissant par les “klotskis” (grosses boulettes de pommes de terre râpées et farcies de viande)
et la purée farcie de champignons secs e recuite au four. Il est impossible de décrire tous les plats. Mais la pomme de terre à l’eau, un peu roussie et versée sur la table, à même la nappe, est déjà un miracle! Elle est à prendre et à manger avec du lard, des concombres salés, bien frais, sentant le fenouil, ou un hareng salé (autrefois on mangeait la pomme de terre qu’on trempait au préalable dans de la saumure de harengs). La pomme de terre cuite à l’eau se mange aussi trempée dans l’huile de chanvre couleur vert clair ou l’huile dorée de tournesol, avec du beurre ou une jatte de lait caillé bien froid qu’on salait un peu dans ma région. La vie était bien difficile avant que la pomme de terre se soit répandue. On mangeait alors des navets ou des rutabagas à l’eau.
Les Biélorusses portent le sobriquet de “Boulba” (pomme de terre), c’est un vain mot pour nous, car nous possédons et des pommes de terre et ce qu’il faut pour manger avec. Je ne veux pas parler ici des plats qu’on trouvait parfois sur la table des magnats biélorusses, des mets comme “des lèvres de cerfs à la sauce vinaigre sucrée”, “des queues de castors” et autres choses pareilles. D’ailleurs le livre du XIXe siècle “La maîtresse lituanienne” (la Biélorussie à cette époque souvent s’appelait Lituanie), un manuel pour les cours complémentaires, contenait mille recettes de très bons plats.
Bien, continuons. Qu’est-ce qu’on a comme premier plat?
Le borchtch, on le faisait assez peu autrefois. On faisait la soupe aux choux, tout simplement ou une soupe à la choucroute. On avait ensuite la “polivka”, une soupe très grasse, épaissie à la farine, qu’on servait chaude; “le panetzak”, une soupe à l’orge perlée et aux champignons. Le “bouillon”, ce nom vient je ne sais d’où, c’est une simple soupe aux pommes de terre, assaisonnée de lard grillé qui n’a rien à voir avec le bouillon français. On a ensuite la soupe aux nouilles et aux tripes de poules; des soupes de saisons: la soupe à l’oseille et la soupe aux
jeunes orties assaisonnée d’oeufs. Et puis on a le fameux kholodnik, fait de viande froide et de concombres hachés fin. Parmi les soupes au lait citons, évidemment, le plat de gruau de blé très épais étendu de lait très chaud. Et puis il y a la soupe au kvass qui est une sorte de borchtch à la betterave potagère. On mettait dans l’eau de cuisson, limpide et rouge, la viande, les champignons... En un mot, comme écrivait Yakoub Kolass:
Le kvass était assaisonné de cèpes,
D’oignons, de poivre et de laurier—
Comment ne pas se gaver?
Le Biélorusse a toujours parlé de son appétit avec une pointe d’ironie (il sait user de l’ironie non seulement en parlant des autres, mais de soi-même aussi, c’est là un de ses traits de caractère purement national). Jugez-en:
“J’ai vendu mon porc au marché et puis je suis parti casser une croûte. J’ai mangé trois écuelles de soupe aux choux avec une miche de pain, une livre de lard salé. Et puis j’ai acheté trois portions de saucisson frit et je l’ai englouti. Après j’ai bouffé trois écuelles de pommes de terre et encore une jatte de borchtch avec une brioche. Puis quand j’ai pensé que mon frère était soldat, plus rien a passé”.
Amusant, le bonhomme, n’est-ce pas? Voyez, il ne peut pas manger parce que son frère a la vie dure faisant son service militaire.
Des premiers plats, on en a assez, je crois. Passons aux deuxièmes plats. Je ne sais même pas par quoi commencer. Il y en a trop. Oh, mais bien sûr, par les kachas, elles sont très variées. On les mange de la manière suivante: au milieu de l’écuelle avec la kacha on fait un petit “puits”, on y verse dedans une sauce garnie de viande et on commence à rogner le “puits” qui, évidemment, s’élargit,alors on y ajoute de la sauce, jusqu’au
moment où l’on n’a que de la viande. Elle est alors attaquée à la cuillère, après... on en demande encore.
Je vais vous nommer encore quelques plats, comme ça, sans système. Disons, “les koldouny” qui sont un genre de ,,pelménis” (oreillettes farcies de viande) mais en beaucoup plus gros. Et puis, l’omelette, la plus simple, la “glasounia” et l’omelette à la viande et au lard, cuite au four dans un pot, on l’appelle la “verachtchaka”.
La “matchanka” avec les “bliny” (les crêpes). C’est une sauce originale de viande, de côtes de porc et de lard, épaissie à la farine, dans laquelle on “trempe” les bliny. Dans le Sud et dans la région du Dniepr les “kiyachy” sont très populaires, ce sont des jeunes épis de maïs cuits à l’eau que l’on mange en mettant un morceau de beurre dessus, qu’on sale et qu’on avale sans laisser le temps au beurre de fondre.
Passons à la viande. La viande de porc, pour sûr, occupe la première place sur la table. Autrefois, le lard formait l’essentiel des repas et il était très chic de manger le lard à pleine bouche avec un tout petit morceau de pain, rien que pour le goût. Aujourd’hui le lard est de plus en plus rempplacé par le saucisson d’été et d’hiver, le filet de porc. Le jambon fumé dans les fumoirs individuels, se mange comme ça ou en hors d’oeuvre, ou tout juste avant les repas, quand on a grande envie de manger, pour calmer l’estomac... On mange, évidemment, de la viande de boeuf et du mouton. La volaille aussi a sa place sur la table. Dans les régions marécageuses et là où il y a des lacs, quand on a un fusil de chasse et on a pas trop le temps d’aller au marché, on mange un peu de tout, jusqu’aux canards sauvages, qu’on mange à la chasse cuits sur les braises, assaisonnés et enveloppés de terre glaise. J’ai rarement eu la chance de manger quelque chose de meilleur. Le canard est aussi fameux avec de la confiture de canneberge, de la betterave potagère et des pommes hachées fin.
Et, bien sûr, il y a aussi le poisson. Il y a une quantité de recettes, qu’il est impossible de les énumérer toutes. Je ne dirais que quelques mots sur le savoureux bouillon de poissons, clair et ambré. Cette couleur lui est dû à la graisse et surtout à l’oignon qui y est mis en entier avec sa pelure rousse, il n’y a que la pellicule sèche qui est enlevée. On ajoute au bouillon des épices et toute sorte de condiments. Le bouillon se fait parfois en “deux ou trois couches”. Cela veut dire qu’on fait d’abord cuire les perches ou les gremilles qu’on retire ensuite du bouillon auquel on ajoute le “vrai poisson”, la brème ou le sterlet s’il y en a.
Presque tous les poissons sont comestibles, leurs oeufs aussi (certaines gens les salent). Il n’y a que les oeufs d’un poisson appelé “mirone” que l’on ne mange pas, ils peuvent être empoisonnés. Dans le Sud on mange encore la loche qu’on attrappe l’hiver de la façon suivante: on pose un panier sans fond bourré de foin dans un trou fait dans la glace. Un peu plus au Nord à table, la loche est remplacée par l’anguille. On en fait de la soupe, bien souvent on la mange fumée. N’est pas mauvaise non plus la “sialava” qu’on fait frire dans son propre graisse.