La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Tout cela n’est que plaisanterie, car la vraie hospitalité restera hospitalité.
La présence d’esprit, la ruse dans une certaine mesure, sont propres au caractère du Biélorusse. En voici un exemple, le premier qui me vient à l’esprit. Pendant la révolte des années 1863—1864, une unité militaire punitive de 200 sabres poursuivait un détachement, 40 cavaliers environ, plein de blessés, affaiblis dans les combats, mourant de fatigue. Le détachement avait une heure d’avance. Le chef avait bien compris qu’ils n’arriveraient pas à lâcher les poursuivants. Les forces étaient inégales, il ne leur restait qu’à mourir dignement en combattant, les blessés seraient pendus. Le chef décide de réduire l’heure d’avance qu’ils avaient sur la troupe gouvernementale. Il arrête son détachement dans la forêt, pas loin d’une auberge, fait attacher les chevaux et donne l’ordre à un de ses hommes de les faire hennir de temps en temps. Tout le détachement se rend chez l’aubergiste, lui emprunter tous les seaux disponibles pour abreuver les chevaux, et voilà les hommes partis à faire la navette entre le puits et la forêt. En une demi-heure ils sont arrivés à transporter près de trois cents seaux d’eau qu’ils ont soigneusement versés sous les arbres après avoir donné à boire aux chevaux. Puis ils sont partis. Les hommes, fatigués, mécontents de leur chef, ronchonnaient. Le commandant connaissait ses hommes et savait ce qu’il faisait...
Quelque temps après, l’expédition punitive gouvernementale s’arrête près de l’auberge. L’officier demande à l’aubergiste s’il n’a pas vu passer de “révoltés”.— “Si seigneur, ils se sont arrêtés là pour faire boireleurs chevaux,— lui répond l’aubergiste.
Il y avait déjà là quelque chose de pas ordinaire: perdre un temps précieux à abreuver des chevaux quand on a 200 cavaliers sur les talons. Cela veut dire que les fuyards n’ont pas peur.
— Ils sont restés longtemps?
— Oui, assez. Ils ont emporté trois cents seaux d’eau dans la forêt.
Le calcul était simple. Un seau par cheval, pas plus car ils étaient quand même pressés. Il y a donc trois cents sabres, trois cents fusils ou tout simplement des faux. L’officier n’a pas continué la poursuite. Ils se trouvaient à ce moment-là à deux verstes des fuyards, parce que les chevaux de ces derniers tombaient morts de fatigue... Le détachement, uni à d’autres révoltés, longtemps encore s’est battu vaillamment.
Voici un autre exemple. Pendant lai Grande Guerre nationale dans certaines, régions occupées par l’ennemi les enfants de parents tués organisaient des espècesd’artels d’assaut. Les enfants, on leur avait donné le nom de “moineaux”, en grand nombre (une cinquantaine, pas moins) prenaient d’assaut les camions ennemis qui stationnaient près des casernes ou les états-majors (ils avaient de l’expérience et savaient d’avance dans quels véhicules se trouvaient provisions, cigarettes ou habits militaires),, saisissaient ce qui se trouvait à portée de la main et prenaient la fuite. La sentinelle,, parfois pas tout à fait dépourvue de bon sens,, tirait des coups de feu en l’air. Même s’il arrivait à l’un des gosses d’être tué, les autres avaient quand même de quoi vivre une semaine ou deux, trafiquant les choses dérobées contre du pain. Les “moineaux” étaient recueillis dans les maisons à la campagne, dans les détachements de partisans, mais il y en avait beaucoup trop
et pas tous arrivaient à avoir un abri. Entre autre, les enfants étaient fiers de leur “profession”; au fait, jamais ils ne volaient à la campagne ou les gens vivaient comme eux dans la misère. Voilà un jour, qu’un de mes amis de Rogatchev me raconte comment pendant la guerre il avait, lui, étant gamin, agi seul ayant repéré un hôpital allemend. Rogatchev n’avait pas à l’époque de grosses entreprises et n’était pas bombardé, c’est pourquoi, on y avait installé un hôpital réservé aux “as” de l’aviation allemande. Le gamin avait remarqué que l’hôpital se vidait complètement dès que l’heure du dîner approchait, tout le personnel: infirmiers et infirmières, docteurs et autre personnel se rendait à la cantine. La ponctualité est née avant l’Allemand. Alors le gosse, un jour, pendant l’heure du dîner, franchit tranquillement l’entrée de l’hôpital. Il ouvre une porte et se trouve dans une chambre à un lit en présence d’un “cricifié”, les membres soutenus par des cordes avec des contre-poids, c’était un officier (on a appris plus tard que l’officier avait été un commandant, un des meilleurs as de l’aviation allemande). Il avait dû se casser les os en tombant avec son avion, il était tombé sur un as plus fort que lui. “Bon, se dit le gamin, tu ne pourras pas me courir après”. Sur la table, devant l’Allemand, tout un trésor. Alors “le moineau” fourre sous sa chemise et place dans le panier, le même qui avait servi à apporter toutes ces choses, six boîtes de chocolat, quelques bouteilles de cognac, de liqueur et de vin, vingt paquets de cigarettes. En un mot, il était garanti d’avoir du pain pour un mois ou deux (il avait à sa charge un vieillard invalide). D’abord l’Allemand regardait faire sans rien comprendre, après il se met à bredouiller quelque chose. Alors le gamin lui tire la langue, roule des yeux comme une chèvre qui pousse son dernier soupir et extrait un de ces bê-bê-bê-ê-ê sous le nez de l’Allemand consterné.
Ensuite le gosse sort tranquillement de
l’hôpital comme il était entré. L’alarme est déclenchée une demi-heure plus tard, à la fin du repas. Comme vous voyez, l’humour ne quitte pas le Biélorusse, même dans des situations les plus tragiques. Et c’est juste. Autrement, il y a des moments dans la vie où il ne resterait plus qu’à se passer la corde au cou.
Le Biélorusse est toujours prêt à railler quelqu’un et, plus encore, à faire rire les autres à ses dépens. Il est observateur et c’est pourquoi il saisit vite les traits singuliers du caractère des autres.
Tenez, un bonhomme vient d’arriver à Vilnius. En passant sur un pont il voit deux adolescents en train de se tirer les cheveux.
— Dites donc, qu’est-ce que vous avez à vous taper dessus? Qu’est-ce qui vous manque?
— On se bat, c’est vrai, mais c’est à cause de toi. Ce crétin prétend que tu as six doigts de pied. Moi, je dis que tu en as cinq.
— Allez, mes enfants, arrêtez-vous de vous battre, parce que, c’est vrai, j’ai cinq doigts de pied.
— Mais non, mon petit père, on ne te croira pas comme ça. Retire tes bottes et fais voir.
— Bon, ça va, mes petits. Calmez-vous. Regardez.
— Cinq! Bon! Mais pourquoi tu nous a montré que le pied droit? Au gauche tu dois sûrement en avoir six?
— Que vous êtes embêtants!
Le bonhomme retire la botte gauche et, évidemment, il n’y avait plus personne pour compter les doigts du pied gauche et il n’y avait plus de bottes non plus. Le bonhomme n’avait plus rien à se mettre aux pieds. La morale est la suivante: “Le Biélorusse est malin comme le diable, mais il est aussi bête que le corbeau de la fable.”
Des observations générales montrent que le Biélorusse de nature a toujours eu du respect pour les autres peuples et sait faire preuve de bienveillance là où l’interlocuteur
exprime des idées contraires aux siennes. Il y a, bien sûr, des exceptions assez tristes, mais ce ne sont que des exceptions.
...Voyons la famille. Là je ne dirai rien, reportons-nous à “La Russie” (p. 193): “...il y a peu d’exemples illustrant... la mauvaise conduite du mari envers sa femme dans la famille biélorusse. En cas de discorde le tribunal du peuple (c’est à dire le tribunal représenté par les gens sages du village) prend souvent le parti de la femme et blâme le mari. D’ailleurs, dans les chansons populaires, il est souvent question des peines endurées par la femme à cause d’un mari ivrogne; par contre, il est difficile de trouver dans ces chansons des motifs transmettant la douleur de l’épouse due à sa situation de femme soumise.”
Et cela est vrai, dans ce sens, que la situation de la femme d’aujourd’hui ne dépend plus de la bonté ou du caractère docile biélorusse, la femme est émancipée, elle ne dépend plus de l’autorité du mari, elle en est l’égale. Et puis la loi soviétique soutient son parti et trouvera toujours le moyen de la défendre dans le cas où le mari montrera les dents.
Mais en général, les relations conjugales sont idéalisées par le caractère conciliant du mari, sa bonne humeur épinglée d’un brin d’ironie bienveillante. Voici quelques bons dictons sur la vie conjugale. A propos d’un vieux garçon: “Yousik se mariera quand le boeuf pelé mettra un veau au monde...” Mais voilà que Yousik tombe amoureux. Voici que dit à ce sujet Yanka Koupala:
A une jeune fille biélorusse,
Il faut le dire en toute franchise, Jamais de pierre personne a lancé, Et n’osera jamais le faire.
Là encore l’affaire sérieuse qu’est l’amour se cache derrière un paravent d’ironie mêlée d’affection: “Il l’aime comme le diable aime le poirier sec”, “L’amour possède des bancs couverts du glu” (c’est à dire que
si les amoureux y viennent s’asseoir, ils y restent collés jusqu’au matin). La mère est aussi le sujet des paroles amusantes: “La mère de sa fille ne dit que du bien, jusqu’au jour où le mariage vient”. A propos du fiancé: “Allez, marie-toi, ça fera un mendiant de plus”, ou bien “Dis donc, ta Ganka, quoi, elle va accoucher des piverts” (en faisant allusion à son nez un peu trop long). La fiancée doit y passer aussi “Tu te maries pour avoir du bois” (c’est à dire, pour un profit minimum).
“Jeune fille dans la rue tu dansais, femme, ta danse commence près du four.” La jeune génération rend la pareille: “Le radis est amer, mais on le mange. Le mariage, c’est la cage, mais on y entre quand même”. On dira à une jeune mariée: “Mais ton mari, il est pas plus grand qu’une savate”, à elle de répondre: “Que le propriétaire soit petit, mais qu’il m’évite les soucis”.
Bon, les voilà mariés, les jeunes. Voici ce qu’on dit après, il est vrai, pas trop sérieusement en la présence d’étrangers: “Ni cuillères ni pots, mais déjà trois berceaux”, “Eh bien, mon vieux, avant mariage faisait mon lavage, marié, ma lessive m’est restée!” (le linge n’est pas toujours propre). Parfois on recourt même à la littérature, en citant des vers de Bogdanovitch: