• Часопісы
  • La terre sous les ailes blanches  Уладзімір Караткевіч

    La terre sous les ailes blanches

    Уладзімір Караткевіч

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 207с.
    Мінск 1981
    99.95 МБ
    La Pouchtcha a été assourdie par les coups de fusil. Les sangliers râlaient étouf­fés par le sang, les cerfs et les douces biches s’agitaient dans leurs dernières convulsions, les aurochs tombaient lourdement et mou­raient en silence (l’aurochs meurt toujours sans émettre un cri, comme pour ne pas s’humilier, gardant son orgueil jusqu’à la mort). C’est ainsi que la Pouchtcha s’est tue, gagnée par le silence avant de devenir muette à jamais.
    Il n’y a pas que les “maîtres des peuples” qui l’ont amenée à cette état, il y a aussi les marchands de fourrures de toutes espèces, les vrais et les contrebandiers. La zibeline (il est vrai, un peu avant, aux XVIe —XVIIe siècles) était marchandée à Minsk et à Novogroudok par paquets de quarante, l’hermine était ficelée par cent ou deux cent cinquante peaux. Des centaines quittaient le pays pour les fins-fonds et l’étranger. Pendant le siècle
    Une église qui servait aussi de forteresse. Synkovitchi. XV? —XVle siècles
    dernier encore, à chaque battue sur le ter­ritoire biélorusse, on arrivait à tuer quatre ours, chose assez courante. Au XXe siècle, il était déjà assez facile de compter les colo­nies de castors et malgré cela on continuait à les exterminer impitoyablement.
    Les Allemands pendant leur première occupation ont détruit le quart de la dernière forêt séculaire en Europe. Sous le régime de l’ancienne Pologne une firme anglaise (cel­le de qui est resté le ramblai de l’étroite voie de chemin de fer) a presque eu le temps d’ané­antir le reste. Pauvre forêt!
    La Tour de Kamenets a été le témoin muet de toute cette cochonnerie, de cet impar­donnable brigandage. Elle a servi à repous­ser les attaques des Vatsvagues et des croisés germaniques, elle a été le poste de garde du tsar pendant les révoltes de Kosciuzko et de Kalinovski. La Pouchtcha a toujours pro­tégé ses fils (les partisans pendant la Grande Guerre nationale y ont aussi trouvé refuge), ses fils épris de liberté. La Tour de son som­met a plus d’une fois assisté aux assauts du rempart de la liberté.
    En 1921, un certain Bartlomiéj Szpakowski a abattu le dernier aurochs. En 1923, à Paris, au Congrès International pour la protection de la Nature, on a appris qu’il ne restait plus que 52 aurochs sur terre, ces mêmes aurochs de la Pouchtcha biélorusse qui avaient été capturés et vendus à des Zoos et des parcs privés, à des aristocrates et de gros industriels. Certaines bêtes ont été rachetées en 1929 et ramenées dans la Pouch­tcha, d’où elles avaient été marchandées.
    On compte actuellement dans la partie biélorusse de la réserve (une partie de la Pouchtcha s’étend sur le territoire de la Ré­publique populaire de Pologne) soixante-dix (données de 1970) aurochs. D’autres, un assez grand nombre, ont été transportés dans les réserves du pays ou à l’étranger pour en développer l’élevage et avoir plusieurs en­droits d’acclimatisation de cet animal rare.
    Les aurochs de la forêt de Bieloviège nés en Pologne portent des noms commençant
    par la lettre “P”. Ceux qui sont nés sur le territoire biélorusse sont appelés par des noms dont la première lettre est la lettre “B” (Borouss, par exemple).
    ...L’aurochs est un animal très curieux. Un fait qui remonte aux XIXe siècle en est la preuve. Un certain szlachtitch (noble) polonais rentrait mort ivre à la maison par un chemin qui passait par la Pouchtcha, il dormait enfoui dans le foin de son traîneau. Tout à coup un aurochs s’approche du traî­neau, accroche le bonhomme avec ses cornes et le jette sans cérémonie dans la neige, il est dégrisé en un instant. Les chevaux n’ont pas peur de la bête. Ils continuent à marcher tranquillement. L’aurochs suit donc le traî­neau, tire le foin qu’il mâche en marchant. Le propriétaire se traîne derrière l’aurochs râlant:
    — Espèce de sale bestiole! Espèce de vache enragée! Laisse le foin, je te dis! Fiche-moi le camp! Je voudrais que tu te fasses culbuter comme moi...
    L’aurochs sans faire attention au bon­homme finit de manger le foin et s’en va paisiblement dans la forêt.
    Je vais vous raconter encore quelques aventures dont j’ai été témoin.
    Les aurochs sont gardés dans la Pouchtcha de différentes manières. Près du bâtiment principal (où se trouvent aussi un hôtel, un restaurant et un musée) il y a une espèce de zoo pas très grand, un enclos à l’intérieur duquel les animaux vivent dans des condi­tions qui les rapprochent le plus de leur mode de vie (lorsqu’il ne reste plus d’herbe et que l’endroit est piétiné, l’enclos est reefait ailleurs, jusqu’ à ce que l’herbe repous­se). A l’intérieur de l’enclos on peut' voir quelques aurochs, des sangliers, des cerfs, des daims et d’autres animaux de la Pouch­tcha. Ceci est fait pour que les gens puissent s’approcher et voir les bêtes sans trop s’en­foncer dans la réserve, pour laisser la forêt intacte, la préserver des voitures qui feraient fuir les animaux.
    Il y a une autre manière de garder les
    aurochs, à l’intérieur d’enclos, sur des ter­ritoires beaucoup plus vastes. C’est ainsi qu’on garde les femelles avec leur petit qui vous regarde étonné lorsqu’on les approche.
    Enfin, un grand nombre d’aurochs vit en liberté. En passant par la forêt on peu apercevoir de loin leurs masses brunes se détacher des clairières vertes. Ils ont près de trois mètres, sont très hauts et pèsent près d’une tonne. Ce qui impressionne, c’est la pesanteur et la puissance qui émanent de cette énorme masse bossue, de cette lourde tête au large front pourvu de cornes, une tête constamment occupée à brouter l’herbe.
    ...Pendant un de mes premiers passages par la Pouchtcha j’ai voulu voir un aurochs en liberté. J’étais avec des amis, un insti­tuteur et un écrivain de Brest. Eux aussi par­tageaient mon envie. “Où est-ce que vous voulez qu’on vous le trouve? Il est quelque part.— Voilà ce qu’on nous a dit.— Il va où il veut. Cherchez-le. Avec de la chance vous arriverez à le voir. Vous feriez mieux d’al­ler là-bas. Il y a des tarpans!”
    Il n’y avait rien à faire, nous voilà partis dans la forêt pour voir les tarpans, petits chevaux gris-souris, vivant en liberté. Nous marchons le long d’un immense enclos. Un énorme sapin déraciné nous barre le che­min, ses racines pleines de terre ressemblent à une crêpe, haute de deux étages, qu’on aurait posée sur son rebord. Les tarpans s’appro­chent, une étroite barrière nous sépare. En riant et appelant les animaux nous marchons vers la barrière, nous dépassons le sapin. Voilà qu’instinctivement je me retourne, une sueur froide me coule le long du dos. Derrière nous, à une distance de quatre mètres environ, les racines du sapin nous cachaient une gentille petite famille d’au­rochs: le père, énorme, la mère, un peu plus petite, et leur petit. Que faire? S’il n’y avait eu qu’un seul animal, on aurait pu courir autour d’un arbre. Mais ils étaient deux sans compter le petit, ils pouvaient nous avoir facilement, un de chaque côté. Courir vers les tarpans? Nous ne savions pas quel serait
    leur comportement. Et puis cette barrière de perches pour une masse pareille, c’était rien du tout ... Par bonheur les bêtes n’ont pas fait attention à nous. Alors là, je prends mon courage à deux mains et je sors de der­rière le sapin, et mon ami me photographie avec les aurochs en arrière plan. Ces derniers n’ont fait que tourner leur museau barbu et sont partis avec indifférence à l’intérieur du bois.
    Un peu plus tard, lorsque j’avais souvent à me rendre dans la Pouchtcha j’emportais toujours quelques journaux. Il m’est arrivé d’en rencontrer un en pleine clairière sur mon chemin, et il n’était pas décidé de céder, se sentant maître des lieux, sachant très bien que des deux, le plus imposant, c’est lui. Il ne me restait plus que d’allumer un journal et d’aller droit sur lui. Alors, à contrecoeur il cède le chemin en ayant l’air de dire: “Oh, pas la peine de compliquer les choses, à cause d’un vermiceau pareil.”
    A la vue d’une voiture l’aurochs prend une attitude bienveillante, alors que les motos lui tapent sur les nerfs, il ne peut pas les supporter. Il est arrivé plusieurs fois à ces animaux de poursuivre furieusement des motos et ce n’est qu’avec justesse qu’elles se sont échappées.
    Les aurochs aiment beaucoup l’eau pure. Une fois, une étudiante stagiaire se lavant près du puits d’où l’on tirait l’eau pour abreu­ver les aurochs, par malchance avait fait tomber dans le puits son savon posé sur la margelle. Il avait été tout de suite repêché, le puits vidé à sec plusieurs fois. Rien à faire, les bêtes n’ont pas voulu boire l’eau du puits pendant plusieurs semaines.
    Les enceintes à l’intérieur desquelles se trouvent les aurochs sont purement sym­boliques. L’animai casse facilement une barrière formée de perches de 5 à 20 centi­mètres de diamètre. Un garde-chasse me dit: “S’il se lance sur la barrière, ne vous sauvez pas, c’est pas la peine. Vous n’arri­verez pas à vous enfuir.”
    Voilà ce qui nous est arrivé une autre
    fois, lorsque nous tournions un film sur la Pouchtcha. Je ne sais pas si c’est le bruit de la caméra qui a mis l’animal en fureur, ou le monde qui grouillait sur les lieux et qui l’ennuyait. Je ne sais pas, mais tranquilité de­vient furie et voilà la bête qui passe à l’at­taque. Nous, il est clair, on s’éparpille de tous côtés. Nous avons eu de la chance. De la part de l’animal, ce n’avait été qu’un simulacre, il avait voulu nous faire peur, sans avoir l’intention de nous poursuivre. Le résultat avait été magnifique, nous n’ar­rivions pas à en revenir de stupéfaction.
    Moi, j’ai eu tout juste le temps de sauter par-dessus la barrière, l’aide-opérateur, s’enfuyant est tombé sur une grosse branche et s’est cassé une dent de devant. Quant à l’opérateur, pendant longtemps, on n’arri­vait pas à le retrouver, et ce n’est qu’après une voix s’est fait entendre, venant du ciel. Voilà ce qui s’était passé.
    Le pied de notre caméra pèse quelque chose dans les huit kilos, l’appareil aussi quelques kilos, ajoutons au tout les bat­teries. Il n’est pas recommandé de fuir laissant sur place un appareil qui ne vous appartient pas, mais duquel vous êtes responsable. Et puis il coûte cher, essayez voir de le payer après. Eh bien, voilà notre opérateur avec toute cette charge qui, en un clin d’oeil, se trouve sur le sommet d’une meule de foin haute de plusieurs mètres. Comme on sait, une meule a la forme d’un oeuf posé à terre, le côté étroit pointant en l’air. Et cha­cun sait qu’il est extrêmement difficile de monter sur une meule à cause de l’angle aïgu qui part directement du dessous. Y met­tant toute sa bonne volonté, il est impossible de grimper dessus et d’atteindre son sommet. Comment l’opérateur y est arrivé avec son appareil, lui-même n’a pu nous l’expli­quer.