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  • La terre sous les ailes blanches  Уладзімір Караткевіч

    La terre sous les ailes blanches

    Уладзімір Караткевіч

    Выдавец: Юнацтва
    Памер: 207с.
    Мінск 1981
    99.95 МБ
    Voyons une autre ville, Nesvige. Elle pourrait être appelée ville-musée. Les rues
    ombragées sont bordées de maisons construi­tes dans le style baroque; on peut y voir la maison habitée par Simon Boudny, le célè­bre civilisateur qui a publié en 1562 son “Catéchisme”. Au centre de la ville, tout comme autrefois, on y trouve la mairie et des petites boutiques, formant un carré commer­cial tout en gardant leur caractère ancien. La ville a été jadis la résidence, assez long­temps d’ailleurs, de la famille biélorussolituanienne des Radziwill, une vieille famille illustre qui s’est convertie au catholicisme
    Nesvige. Cheminée du château
    et qui a adopté les coutumes polonaises.* Les Radziwill ont apporté une grande cont­ribution à la construction de la ville, à l’acquisition de livres, de tableaux et beau­coup de choses encore qui possèdent aujourd’­hui une grande valeur historique. Les prin­ces Radziwill ont été bien differents les uns des autres. Il y a eu des tyrans et des despotes qui, pour un oui ou pour un non, envoyaient leurs serviteurs à la potence. Il y en a eu d’autres, des simples comme celui qui a eu l’idée folle de se promener en traîneau en plein été. Il a fait répandre du sel en grande quantité sur la route et y est passé dessus, assis dans un traîneau tiré par des ours. On cite cet exemple pour souligner l’oisiveté extrême de la vie que menaient les princes. Il est vrai, qu’après cet acte extravagant, les paysans des alentours ont pu se faire des provisions de sel pour bien des années. Aut­refois il n’y avait pas de sel en Biélorussie, il était importé de Pologne et il coûtait cher. Ceux qui travaillaient dans les salines avaient droit à deux livres et demie de sel par mois.
    Il y a eu d’autres princes encore, d’une cruauté digne du Mo yen-Age, pour qui la prison et la potence étaient des choses ha­bituelles, mais ces princes pouvaient en même temps se montrer généreux en con­struisant des imprimeries, des écoles, des collèges. Le prince Mikola Sirotka, par exem­ple, a donné gratuitement aux bourgeois de la ville sa propriété, ses celliers, ses brasseries et tout le reste, à condition que ces mêmes bourgeois tous les ans payent une certaine somme pour l’entretien de l’hôpital et les écoles de la ville (1586).
    Je parle de cela pour montrer certaines formes du féodalisme en Biélorussie, un féo­dalisme despotique, qui possédait un pou­voir ne connaissant pas de limites légales ou tout du moins humaines.
    * Les villageois biélorusses qui se sont conver­tis au catholisicisme ont gardé leur langue, leurs traditions malgré la grande influence de l’église ca­tholique.
    Novogroudok. Vestiges du château. XIIIe siècle
    Mir. Le château. X Ve siècle
    Pinsk. Gravure du XIXe siècle
    Le château de Nesvige possédait une belle collection de tableaux, des collections d’ar­mes et d’armures de toutes les époques. 11 y avait aussi des statues d’apôtres tout en argent, des lingots d’or, des pierres précieu­ses uniques qui ne connaissaient pas de va­leur, il y avait une bibliothèque contenant 20 mille volumes, des livres en toutes langues (en biélorusse aussi), une galerie de tableaux et d’icônes, des archives avec une grande quantité de documents relatifs à l’histoire de la Biélorussie et de la Pologne. Et tout cela ou presque a été emporté pendant le partage de la Pologne et les autres périodes difficiles de l’histoire, pendant les guerres et l’occupation.
    Le château des Radziwill, entouré de lacs, est situé un peu en dehors de la ville. On y accède par une digue fermée par une église construite au XVI siècle(un chef-d’oeuvre de l’architecte Bernardoni) avec de mag­nifiques peintures à l’intérieur. Le château aussi, avec sa cour intérieure, sa grille, sa façade, ses tours et son vaste parc est un des plus beaux complexes qu’on puisse voir en Biélorussie.
    Me voilà parti! Et je n’ai pas eu le temps de parler des autres villes. Bon, laquelle choisir? Comment la présenter? Tenez, Pinsk, avec son célèbre Collège du Mo yen-Age; son histoire remarquable: c’est dans cette ville que se sont unis vilains et villageois et se sont battus avec les Polonais. Conduits par Niababa, un émissaire de Bogdann Khmelnitski, les habitants de Pinsk ont opposé aux Polonais une résistance farouche: cinq mille maisons ont été incendiées, 14 mille hommes sont restés sur le champ de bataille. Pinsk, c’est ses quais verdoyants, ses chefs-d’oeure accomplis dans le style baroque, ses vieux murs avec des vestiges de maçonnerie du XIIe siècle, on se demande d’où elle pro­vient, qui sait?
    Il y a encore Mozyr ou le “mini Kiev” comme on l’appelle. Il y a Orcha avec ses légendes, ses rapides sur le Dniepr, son com­binat de lin qui produit des tissus, les plus beaux et les plus fins dans le monde. C’est à Orcha que se trouve un monument aux lé
    Pinsk. La vieille partie de la ville
    Orcha. Monument aux Katiouchas
    gendaires „Katiouchas”, premiers lancefusées multiples qui y ont tiré leurs premières salves pendant la Seconde Guerre mondiale.
    Passons à Rogatchev, une fusion de verdure et d’antiquité, de ravins profonds au-dessus du Dniepr, de sapins qui y poussent la cime en bas, des sapins tordus par les ans; des kourganes un peu partout avec des massifs d’églantiers dessus; des grilles de terricoles sur les rives du Dniepr.
    J’aurai voulu parler encore de Galchany, pas loin de Achmiany, de son château du XVe siècle et de son église construite en 1618. Pendant une de mes visites j’y ai découvert un conduit souterrain, très étroit, j’ai été obligé de retirer mes vêtements pour y passer. Le passage menait à un cachot ayant la forme d’un oeuf. Nous avons dé­blayé l’entrée, maintenant on peut y péné­trer facilement.
    Il y a aussi Varniany, un curieux villa­ge; c’est le premier village construit au XVIIIe siècle d’après un plan stricte con­çu à l’avance. Un très beau village avec une remarquable tour construite sur une
    petite île, une tour avec un nid de cigognes dessus.
    Mir, une toute petite ville, si petite que le château, avec ses murs rouges et blancs, ses tours hautes comme des rochers, semble beaucoup plus grand que la ville même, sur­tout lorsqu’on regarde sa silhouette se ref­léter dans l’eau. C’est un des plus beaux châteaux qu’il m’est arrivé de voir. C’est à Mir, qu’autrefois, le roi des Tziganes était couronné, il y vivait d’ailleurs. Et ce n’est que beaucoup plus tard que les rois tziganes ont préféré vivre à l’Ouest de la Biélorussie. Aujourd’hui, je crois, le roi des Tziganes vit en Hongrie (tout du moins, il l’était avant la guerre). Mais leur juge suprême (pour rég­ler les conflits entre Tziganes) se trouve en Biélorussie. En juin 1969, j’ai eu la chance d’avoir été témoin d’un événement remar­quable, un événement qu’aucun de mes col­lègues écrivains n’aura l’occasion de voir. Ma randonnée cette fois-ci m’avait amené à David-Gorodok, une ville pas très grande sur la Garygne, en pleine Polésie. L’occupa­tion principale de ses habitants, c’est la
    culture des fleurs. Le moindre morceau de terre en est couvert; il y a des roses, des pivoi­nes, des dahlias, des pois de senteur, des giroflées, enfin des milliers de fleurs, toutes différentes.Les habitants en font le commerce: des semences et des tubercules sont expé­diées jusqu’en Sibérie. Chaque maison semb­le émerger d’un océan de couleurs. L’allé­gresse des maisons due aux fleurs est devenue tradition, une allégresse que les habitants soulignent par le soleil sculpté dans dubois qu’on peut voir à la façade des maisons.
    Eh bien, c’est ici que j’ai assisté à un repas funéraire annuel, un repas de deuil en l’honneur d’un juge suprême de Tziganes qui était mort ici il y a exactement un an. Il s’était rendu dans cette petite ville tranquille pour rendre une sentence arbitrale entre Tziganes. Et voilà qu’il se jette dans l’eau pour sauver une fillette qui se noyait et il s’est noyé lui-même. Des Tziganes se sont rassemblés de tous les coins de la Bié­lorussie, il y avait là des savants, des spé­cialistes, des nomades, un monde varié. Le repas avait été préparé à l’avance, au cimetière, tout près de la tombe où Ton pouvait lire: “Bazylevitch Guérassim Igna-
    tovitch — 1928—1968”. (Ici les Tziganes portent des noms biélorusses).
    La foule était impressionnante. C’étaient des vagues de jupes ondoyantes, une mer de couleurs vives, des braises ardentes à peine couvertes de cendre. Partout du jaune d’or, du rouge, du bleu. Et au-dessus de tout cela, un soleil éclatant. Impossible de croire que toute cette splendeur pouvait avoir une fin, disparaissait avec la mort. Un Tzigane me­nait par la bride un cheval bai, au poil bien fait, d’un entretien idéal. J’entends dire:
    — Prends une photo, mais avec le cheval! C’est son cheval, à lui. S’il te plait, avec le cheval.
    Le défunt avait été conduit au cimetière sous une tente improvisée. C’est une coutume chez les Tziganes. Après avoir habité de son vivant une maison ou un logement confor­table, le mort sera conduit “Au Pays des Tziganes” sous une tente.
    Sur ce fait je vais terminer mon récit, sans avoir eu le temps de raconter la millème partie de ce que j’ai vu de magnifiqiue parcourant les routes biélorusses, visitant les villes.
    IMAGES DES SIÈCLES PASSÉS
    REGARDS EN ARRIÈRE SUR
    LA RUSSIE DE KIEV
    Dans la Grèce Antique on croyait que d’abord il y avait eu le siècle d’or, tout alors allait bien et on parlait même d’immortalité; ensuite c’était le siècle d’argent qui était venu — la vie y était un peu moins belle; puis on avait vu le siècle d’airain, c’était pire qu’au siècle d’argent; enfin on atten­dait l’arrivée du siècle de fer, quand tout devait très mal tourner.
    Je ne sais pas pourquoi, mais en Biélo­russie ce n’est pas comme ça que ça s’est passé; tout a commencé par le paléolithique (ancienne époque de l’âge de la pierre taillée), puis ce fut le néolithique (âge de la pierre polie), remplacé par l’âge de bronze qui a cédé sa place à l’âge de fer. Il me semble qu’il en a été de même sur toute la terre, naturel­lement, si on ne veut pas croire à l’Atlantide.