La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
Kosciuszko pour reconquérir l’indépendance de la Pologne (1794) se solde par un échec, malgré les victoires remportées au début. La noblesse polonaise est profondément déçue du démocratisme de Kosciuszko, surtout elle ne peut admettre son “Universal” dans lequel le grand homme promet aux paysans la liberté, la réduction maximale des journées de travail et la punition de tous ceux qui oppriment les paysans parce que ces oppresseurs sont des ennemis de la patrie et de l’insurrection. La noblesse se préoccupait plutôt du contenu de ses poches. Grièvement blessé dans la bataille de Motséyavitchy Kosciuszko est pris et enfermé dans la forteresse de Pétropavlovsk.
Tadeusz Kosciuszko est né près de Kossovo qui est situé tout près de Slonime. Sa maison n’existe plus, maintenant, mais on peut toujours voir s’élever au-dessus des champs de seigle de son pays natal un vieux peuplier, témoin du temps passé. Un peu partout, on peut trouver d’autres souvenirs de ce temps. Comme, par exemple, cette pierre à Zalessié, sur laquelle le compositeur M. Oginski a gravé ces mots: “Aux ombres de Kosciuszko”.
Quelles ont été les conséquences du partage pour le peuple biélorusse? Il faut dire que pour le simple paysan il n’a pas apporté grand’chose. Le servage en Russie se renforce, la situation économique du pays est loin d’être satisfaisante, les formes de la vie sociale sont également injustes (monarchie absolue). Naturellement, le sort de ceux qui pratiquent la religion orthodoxe s’adoucit, puisque c’est la religion officielle de l’Empire Russe. Par contre les catholiques sont persécutés. On utilise envers eux les mêmes méthodes qui, il n’y a pas longtemps, étaient utilisées contre les orthodoxes.
Mais les deux tsars qui régnent après Catherine II estiment que la Biélorussie est une contrée polonaise, ils font des concessions au catholicisme, et, en général, connaissent mal la Biélorussie. Pas seulement
les tsars, mais aussi les savants. L’académicien Séviarguine estime que les orthodoxes biélorusses ne sont que des “schismatiques”; assistant aux messes il s’étonne que les rites et les vêtements des popes “ressemblent beaucoup” à ceux des popes de Pétersbourg ou de Vladimir. De nouveau (et jusqu’à 1820) l’ordre des jésuites est rétabli.
Comme avant, la corvée, les redevances, les taille. Vient s’ajouter le recrutement, 25 années de service militaire (avant le partage de la Rzecz Pospolita les paysans étaient libres du service à l’armée; par contre s’ils servaient en qualité de volontaires, automatiquement, après légalisation par la diète, ils devenaient libres et adhéraient à la “noblesse en sabots”). j
Par contre, le Biélorusse s’unit au peuple russe frère, avec lequel il devra maintenant vivre et lutter, mais la vie des deux frères n’a rien d’enviable, l’un dans son ancienne, l’autre dans sa nouvelle prison. Des dizaines de milliers de paysans biélorusses sont partagés entre les favoris de la tsarine (par exemple, Roumiantsev reçoit de la part de Catherine II un cadeau de 11 000 paysans. Potiomkine reçoit des terres avec 14 274 serfs). Ceux qui protestent contre le servage,la-misère du peuple, finissent mal. LegrandRadichtchev, à la suite de la publication de son livre, se retrouve dans la prison de Ilime.
Il est vrai qu’on commence à observer une certaine activité économique. Les superficies occupées par les céréales augmentent, de nombreuses usines nouvelles apparaissent dans lesquelles on utilise le travail d’ouvriers libres. Le commerce avec les pays Baltes augmente et, par delà ces pays, avec l’Europe Occidentale (de nombreux commerçants russes et ukrainiens transportent alors leurs marchandises en passant sur le territoire de la Biélorussie). On trace des routes nouvelles, on reconstruit les villes. Vers l’année 1863 le nombre d’habitants des villes a augmenté de presque trois fois. Le volume des marchandises en circulation s’accroît également, et les affaires traitées à la foire
Tadeusz Kosciuszko
de Zelva, par exemple, atteignent la somme de 2 millions de roubles; certains commerçants arrivent même de l’Allemagne. Mais cette croissance du commerce enrichit seulement les propriétaires fonciers qui augmentaient les superficies ensemencées, les fabriquants et les commerçants. Voici ce qu’écrivait, en 1885, un haut fonctionnaire du tsar: “La pauvreté est affreuse, tandis qu’à côté c’est l’opulence des riches propriétaires, les forces vitales de la contrée sont complètement épuisées, aussi bien dans l’aspect moral que physique; l’affaiblissement a atteint ses limites extrêmes.”
APRES 1812
La Biélorussie, occupée par l’ennemi, a été totalement incendiée. Les paysans se soulèvent pour la guerre de partisans. Ainsi les habitants du village de Jartsy battent un détachement de soldats français et prennent part à deux batailles pour la ville de Polotsk. C’est leur patrie, peut-être est-elle pauvre et opprimée, mais ces terres, ce sont les leurs... C’est aussi sur le territoire de la Biélorussie qu’ont lieu les premières défaites infligées à l’ennemi par l’armée russe (près de Kobrine, près des murs de la forteresse de Mir, près du village de Saltanovka). Ensuite, c’est sa majesté, le froid biélorusse, qui vient à l’aide de l’héroïque armée et des partisans qui, le 7 octobre, libèrent Polotsk. L’armée française, qui bat en retraite, fond à vue d’oeil. Ces malheureux, appelés sous les drapeaux par “le grand homme”, jetés dans un pays étranger pour y faire une guerre injuste, mangent des cadavres, et, fous de froid, se jettent dans les maisons qui brûlent “pour se réchauffer”. 20 000 hommes périssent au passage de la Bérézina près du petit village de Stoudionka.
J’ai visité cet endroit à la même saison que celle où les Français avaient effectué leur malencontreuse traversée a la mi-novembre. La neige, l’eau noire et morte qui donne le frisson rien qu’à la voir, les glaciers d’automne suivent le cours de l’eau. On a du mal à s’imaginer le feu de l’artillerie sur les ponts, la foule qui s’y précipite, les ponts qui cèdent et des milliers d’hommes qui se noient dans cet enfer de plomb. Naturellement, personne ne les avait appelés, notre cause était juste et sacrée; mais, quand même, qu’elles soient maudites les guerres, les invasions, la mort de milliers d’hommes, de force appelés sous les drapeaux par les maîtres des armes et des empires au nom “d’intérêts suprêmes”.
Et qu’est-ce qui a changé? Les colonies militaires, la réforme d’Araktchéev, la faim. 132
L’hobereau du village de Jartsy fouette lui-même les anciens partisans (pendant la guerre ils portaient des croix sur leurs chapeaux) en répétant à chaque coup: “C’est pour les Français, c’est pour la liberté, c’est pour ta croix”.
Les exploiteurs comprennent eux-mêmes toute la force de l’oppression. Ainsi le gouverneur de Minsk Dopelmaer écrit dans une curculaire (1842): “... les possesseurs transmettent leurs paysans à des administrateurs cruels, grossiers et cupides... qui leur font effectuer des travaux trop lourds, qui les martyrisent par des punitions inhumaines, sans tenir compte de leur âge, de leur sexe, de leur santé... Dans cette situation... nous remarquons que les propriétaires sont maintes fois assassinés par leurs paysans... que, dans les rapports, il est indiqué que les paysans meurent à la suite de punitions trop sévères pour des délits sans importance...”
Des troubles de paysans se répandent dans tous les gouvernements de l’empire. Avec le tocsin, des massues, avec l’intervention de l’armée, des exécutions, des condamnations à mort. Les meilleurs représentants de la noblesse comprennent, eux, toute l’intolérance de la situation. Beaucoup de décembristes vivent en Biélorussie, certains d’entre eux y sont nés. Ils ont ici leurs organisations. Par exemple, la société des “Amis militaires”. Ils ont empêché le corps d’armée lituanien de prêter serment à Nicolas I-er. Ils essayent de s’emparer de la forteresse de Bobrouisk avec la seule force du régiment de Poltava. Les meneurs KIguelstrome, A. Griniavitski, les nobles Vronski et Vyssotsky, les officiers Troussov et Troitski ont été condamnés à l’exil en Sibérie, beaucoup se sont vu infliger la peine des travaux forcés à perpétuité. La Biélorussie cache certains d’entre eux. Rukhelbéker, par exemple, qui plus longtemps que les autres évite son arrestation sur les routes biélorusses sans fin.
Encore avant les décembristes, à l’Université de Vilna est fondée l’amicale des
Thomasz Zane
Ignace Dotneyko
Adam Mickiewicz
J en Tchachote
philomats* (1817). Ses membres comptent le poète et folkloriste biélorusse-polonais Jan Tchatchote, Adam Mickiewicz, le futur voyageur renommé Ignace Domeyko, un des premiers poètes romanistes Thomasz Zane et beaucoup d’autres. Au début les philomats lisent seulement les oeuvres des lumières français du XVIIIe siècle, étudient le mode de vie des paysans et leur folklore. Les réunions secrètes ont lieu en plein air. Presque tous sont des poètes talentueux. Peu à peu les membres de la société comprennent que l’ennemi principal n’est pas l’ignorance et l’analphabétisme, mais le régime tsariste. Alors ils se mettent à préparer une guerre de libération nationale. 1821. La société des philomats est transformée en société des philorets. Les jeunes gens sont pleins de haine pour le tsarisme; le patriotisme de leurs vers et de leurs discours fleure le sublime. Mais, malgré une conspiration très sévère, la société est découverte. Tchatchote, Mickiewicz, Zane et leurs amis sont emprisonnés dans un ancien couvent catholique. L’instruction est menée, en utilisant des méthodes jésuites, par un scélérat des plus rares, le sénateur Novossiltsev, que Mickiewicz, un peu plus tard, clouera au pilori dans la troisième partie de son poème “Les grands pères”. Les jeunes prisonniers conservent leur honneur. Dans leurs cellules ils lisent des vers patriotiques. Une fois Tchatchote chante en biélorusse une chanson qu’il a composée lui-même:
Elles volent, elles volent, les oies sauvages