La terre sous les ailes blanches
Уладзімір Караткевіч
Выдавец: Юнацтва
Памер: 207с.
Мінск 1981
chaque conte est un diamant et qui donnent envie de rire et de pleurer à la fois, quand on les lit.
Il devient alors clair que la nation tâche de se mettre sur ses pieds. Maintenant nous savons que pour de nombreuses raisons la prise de conscience populaire, nationale ne s’est manifestée que dans des oeuvres folkloriques, enthnographiques et historiques, qu’elle n’a pas pu le faire dans le domaine delà littérature. Mais quelle est cette conscience nationale, quel est ce peuple, s’il n’a pas de littérature? Il fallait des écrivains. Des écrivains qui comprennent leur époque, leur peuple et ses besoins. Le pays a besoin d’un poète d’un type nouveau, et ce poète vient. C’est Frantichek Bogouchévitch (1840—1900). Il est né dans la famille d’un petit hobereau, à Svirane, dans la région de Vileïka. Il étudie au collège de Vilna, ensuite entre à l’Université de Pétersbourg, mais il en est chassé, ayant été classé “peu sûr” pour le régime.
L’AVOCAT
DES PAYSANS
En 1863 la Pologne, la Biélorussie, la Lituanie et certaines régions de l’Ukraine (le mouvement y est plus faible) s’insurgent. La réforme agraire, la “libération” n’est qu’une tromperie, un pillage sous le masque de la respectabilité. Les contraintes sociales et nationales sont insupportables. En plus, le gouvernement décide un recrutement général à l’armée qui a pour but d’éloigner les jeunes révolutionnaires de leur milieu habituel. La Pologne répond en se révoltant; elle est soutenue par ses voisins les plus proches, y compris la Biélorussie. Partout s’organisent des cercles clandestins, les hommes recherchent des armes, on forge des faux, on forme des détachements dans les forêts qui parfois sont de véritables armées d’insurgés. Le jeune instituteur du village de Datichki, F. Bogouchévitch, part aussi dans les bois.
Frantichek Bogouchévitch
L’aile démocratique de l’insurrection était dirigée par Kastouss Kalinovski — poète démocrate révolutionnaire, patriote ardent, publiciste, éditeur du journal biélorusse clandestin “La vérité paysanne” (1838, Mastavlany,— 10 mars 1864, Vilna).
Commencent les expéditions militaires, les batailles, les échauffourées. Les insurgés occupent la bourgade de Souroje, libèrent Proujany et Gorki. De nombreuses batailles ont lieu. Près de Siamiatitchy, Khatinitchy, Borissov, Milavidy. On se battait avec acharnement et jusqu’au bout. Celui qui prend l’ancienne route de Baranovitchi ne peut passer sans voir, près de Milavidy, la chapelle érigée sur la fosse commune des insurgés et, de l’autre côté de la route, la croix sur la tombe des soldats.
Mais les forces étaient inégales. On a pendu et on a fusillé beaucoup de monde, tandis que des milliers ont été envoyés en Sibérie et sur la ligne du Tourkestan; c’était une mort certaine. Le bourreau des insurgés est le compte Mouraviov qui aime répéter: “Je ne suis pas des Mouraviov que l’on pend, je suis de ceux qui pendent”. Il réussit à répandre une idée provocatrice selon laquelle les insurgés sont des hobereaux qui luttent pour le retour au servage. Aussi, dans de nombreux endroits les paysans refusent-ils de soutenir l’insurrection, se tiennent de côté et, parfois, aident même les soldats à fusiller les insurgés et à les ligoter. Dans la lutte contre l’insurrection le tsarisme ne refuse aucun moyen, même les plus lâches. Les tombes des insurgés fusillés sont recouvertes de fumier “pour qu’il soit physiquement impossible de respirer auprès d’elles”; parce que des manifestations silencieuses s’y déroulent. Ce n’est encore pas tout. Dans les habitations des personnes indésirables on déposait furtivement des armes, ensuite les hommes étaient pendus en présence des femmes. Le paysan trompé, qui croyait au tsar, se tient de côté. “Les enfants-démocrates,— comme l’a dit Herzen,—■ ont commencé un horrible ensemencement de pèresserfs”.
Un traître livre Kalinovski. Le quartier universitaire de Vilna a été encerclé par plusieurs compagnies de soldats et de policiers. Kastouss ne savait pas que les gendarmes connaissaient son nom de clandestinité. Il accueille les soldats en tenant une bougie et il est pris. Il ne dénonce personne: “La sincérité est une bonne qualité, tandis que la lâcheté déshonore l’homme, c’est ainsi qu’on m’a élevé”. Le 10 mars 1864 il est pendu à Vilna. Quand l’huissier du tribunal s’adresse à lui en lui rappelant son origine noble, il répond: ,,Il n’y a pas de nobles chez nous, tous sont égaux”. Son dernier vers, écrit pendant sa dernière nuit, avant son exécution, devient célèbre dans tout le pays.
Kastouss Kalinovski
Salut à toi, peuple de paysans. Salut à toi, soit heureux et libre. Souviens-toi parfois de Kastouss, ton enfant, Qui est mort pour que toi, tu puisses vivre. Et quand l’heure du combat sonnera, Lève-toi, pour que naisse la vérité, Lève-toi, parce qu’alors tu sauras Qu’elle ne dépend que de toi, la liberté!
“Qu’il est dur de quitter pour toujours . a terre natale et de te quitter, ô toi, mon peuple. Je sens ma poitrine se serrer, je sens mon coeur s’arrêter, mais je ne regrette pas de mourir pour toi... Mon peuple, armetoi comme tu le peux! Prenez des faux, des haches, n’importe quoi, et, tous ensemble, allez au combat, pour le droit d’être des hommes, pour le droit de croire, pour votre terre. Je te le dis debout sous la potence, ô mon peuple, ce n’est qu’après ce combat que tu pourras être heureux...
Ton serviteur fidèle Yasska, de près de Vilna”.
...Bogouchévitch a été blessé à la jambe pendant la bataille de Souvalki; il se soigne un certain temps chez des sympathisants, puis se cache en Ukraine chez des amis. Il étudie le droit dans un lycée de Niéjinsk et travaille en qualité de juge d’instruction à Kralavtsy, Borzna, Kanatope. En 1884 il arrive à Vilna où il travaille au barreau; le souvenir de l’insurrection commence à s’effacer (le détachement auquel avait adhéré Bogouchévitch s’était battu loin de son pays natal et dans la région de Vilna on pouvait ne rien savoir de la participation de Frantichek à l’insurrection). Il défend inlassablement le peuple, on l’appelle “l’avocat des paysans”. On l’aime et on désire toujours l’avoir pour défenseur. Le paysan M. Volski écrit au supérieur du tribunal la lettre suivante: “L’avocat M. Bogouchévitch est originaire de la contrée; il ne me connaît pas, mais il est connu pour la patience et la compréhension avec lesquelles il écoute ses clients en langue biélorusse... je serais très
heureux si le choix de mon défenseur s’arrêtait sur lui”.
Puisque la langue biélorusse est interdite, le poète publie ses livres à l’étranger. “Le chalumeau biélorusse” à Cracovie en 1891, “L’archet biélorusse” quelque part à l’étranger (Poznane a été indiquée pour la censure seulement) en 1894. Deux recueils, “Nouvelles biélorusses” et “Le violon biélorusse” n’ont pas été publiés: le premier a été interdit par la censure, le second a été perdu après la mort de Bogouchévitch.
Voici un extrait de sa préface au “Chalumeau biélorusse”: “Mes chers frères, enfants de notre mère Terre! En vous présentant mon travail, je veux vous parler un peu... de notre langue maternelle”. Ensuite il écrit que lui-même, avant, croyait que notre langue est “une langue de paysans”, mais, ayant vu le monde, il a changé d’avis et il sait maintenant “que notre langue est celle des riches et des pauvres comme le français ou l’allemand... Les Croates, les Tchèques, les Ukrainiens et les autres peuples slaves frères... possèdent des livres écrits dans leur langue ... et leurs enfants apprennent à lire comme ils parlent ... Pour nous notre langue est sacrée, parce que c’est Dieu qui nous l’a donnée... Il y a eu beaucoup de peuples qui ont d’abord perdu leur langue, comme les hommes qui cessent de parler avant de mourir, et qui ensuite ont totalement disparu. Pour ne pas mourir, n’oubliez pas notre langue maternelle, la langue biélorusse.”
Je regrette de ne pouvoir longtemps parler, sur ces pages, de ce grand bienfaiteur du peuple, qui durant toute sa vie a servi son peuple, a lutté pour que la justice s’installe dans les maisons des paysans, cette justice “que les gens ont cachée, sur laquelle ils ont placé une énorme pierre, qu’ils ont enterrée pour ne rien entendre d’elle, et dont ils disent aujourd’hui: “La justice est aux cieux!” Il a été celui qui a toute sa vie haï l’oppression, le silence forcé, la société au sein de laquelle son peuple est privé des
droits dont doivent jouir tous les peuples de la Terre. Il est privé même du droit d’avoir son livre en langue maternelle.
Il savait que ce peuple était digne de tous ces droits:
Il parle, questionne, tout en riant, Embrasse son épouse, caresse ses enfants. “A quoi penses-tu, que vas-tu faire?” “Je pense que même si cent tortionnaires Me brûlaient le corps, m’écrasaient les doigts, Jamais je ne renierai ma foi!”
C’est tout le peuple, ignorant, oppressé, mais fier et grand, qui nous apparaît dans ses vers. Le peuple en prison, le peuple qui même en enfer conserve son “moi”, qui adresse à Dieu une seule prière: ne jamais faire de lui un hobereau, ce peuple qui sait très bien ce que représente le nouvel ordre, parce que, si pendant le servage
Le garde champêtre et le gouverneur,
Le bailli, l’intendant et le seigneur, Chacun portait son propre bâton, Mais tous en usaient de la même façon.
Maintenant non plus, “on n’est pas très libre dans la nouvelle liberté”.
La police, le clerc et le juge,
Le staroste, le pope et le doyen, Tous les droits ils se les adjugent. Leur nombre fait peur rien qu’à y penser! Les dix doigts ne suffisent pour les compter, Ces dix doigts qui pour eux doivent travailler.
Quand il est mort les paysans portaient derrière son cercueil des couronnes dont les rubans étaient remplacés par des serviettes brodées de leur propre fabrication. Sur l’une des serviettes il y avait l’inscription suivante: “Elles se sont tues les chansons du joueur de chalumeau”. Des vers ont été consacrés à la mémoire de “Mathée Bouratchok” (pseudonyme du poète). L’auteur, il me semble, était un paysan.