Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Aïe, comme j’ai peur! Il faudrait demander à Fédia de nous accompagner.
Oh! Si elle avait su alors, quel baume elle me mit dans le coeur en prononçant ces paroles! Et oubliant déjà que je devais cacher mon amour, gagné par l’émotion, je m’écriai:
— Vous pouvez être tranquille! Je vous accompagne! Je regrettai, par la suite,d’avoir si vite consenti , car je venais de trahir Г intérêt que je portais à Anetka. Les jeunes filles plaisantaient chemin faisant. Quant à moi, j’étais tellement tourmenté par mes émotions que je me taisais la plupart du temps. Je plaçais une parole de temps à autre, et toujours mal à propos. Je me demandais, si réellement Anetka avait de l’intérêt pour moi. La quittant près du perron, jusqu'où j’étais allé l’accompagner, je courus, je volai en direction du comité, où nous habitions. Tout en moi chantait. Et il n’y avait alors dans toute la région de garçon plus heureux que moi.
Une fois, pendant ce même été, il m’avait semblé, que vraiment, Anetka avait fait attention à moi. Je me souvins surtout d’une promenade que nous avions faite emsemble. Du centre du district à moins d’un kilomètre, commançait une forêt de sapins qui s’étendait sur une quinzaine
de kilomètres. Il suffisait do marcher un peu le long de la lisière, pour rencontrer un magnifique petit lac, mais réellement magnifique! Sur les bords c’était un mélange de bleu et de vert dû aux sapins qui l’entouraient. L’eau était tellement claire qu’on en voyait le sable du fond. Nous étions donc partis nous promener, par un début de printemps, toute une bande de jeunes, cinq couples. Il arriva qu’Anetka se trouva tout le temps près de moi, à partir du moment même où nous étions partis en chantant. Avec quelle ardeur je chantais! Je voulais me faire remarquer et j’y mettais tout mon savoir pour rendre ma voix harmonieuse. Je fus ravi lorsqu’Anetka repprocha à un garçon de crier trop fort, si fort qu’elle en avait mal aux oreilles.
— Tu ferais mieux d’écouter Fédia. Ça prend au coeur quand il chante, dit-elle en se tournant de mon côté.
Un vague de chaleur m’envahit, comme la première fois, mais je ne me sauvai pas, au contraire, comme par hasard, je lui pris plusieurs fois le bras.
Près du lac, lorsque nous nous amusions à toutes sortes de jeux, plus d’une fois Anetka me choisit comme partenaire. Je lui rendis la pareille. Je tressai avec des fleurs une magnifique couronne, que je posai majestueusement sur la jolie tête blonde de la jeune fille. Le sourire aux lèvres, elle se promena fièrement au milieu de ses amies, elle était réellement belle. Je regrettai de ne pas avoir sur moi de glace, pour qu’Anetka puisse se regarder et voir combien elle était belle.
Lorsque nous rentrâmes, Anetka marcha près de moi. Les jeux continuaient. J’eus à courir avec elle un morceau de chemin et, lorsqu’elle me rattrapa, il me sembla qu’elle m’avait serré la main, et bien fort.
Lorsque je raccompagnais Anetka je voulus un instaïit lui faire savoir qu’elle me plaisait. Mais tout le temps il y avait des filles à coté et, arrivée à sa maison, elle quitta bien vite ses amies, gravit les quelques marches et disparut derrière la porte. Une minute après, elle nous regardait à travers la vitre de sa fenêtre. Son visage était éclairé d’un sourire, doux et malicieux à la fois.
Au comité, je me plongeai dans mes papiers, mais je ne pouvais pas travailler, j’étais poursuivi par le doux sourire. A partir de ce jour, mon amour me fit souffrir. Dès lors, je dormis mal, je pensais sans cesse à elle, j’élaborais une masse de plans pour gagner définitivement le coeur de la jeune fille, et encore plus, pour lui ouvrir le mien. 11 m’arrivait souvent de prendre la décision de tout avouer; décidé, j’allais la retrouver me disant que si elle allait être avec ses amies, je la prendrais à part pour lui communiquer toutes mes souffrances. Mais dès que je l’apercevais, je n’en avais plus le courage.
Je ne perdais plus Anetka de vue. J’étais au courant de ses moindres changements d’humeur. Il me semblait même, que j’étais capable de deviner ses pensées. A vrai dire, cela n’était pas bien difficile, car Anetka était vive et gaie, sa voix sonnait comme une clochette et on l’entendait de loin lorsqu’elle sortait sur le seuil de sa porte pour bavarder avec quelqu’un.
Soudain, Anetka changea complètement. Elle vint à une soirée, toute autre: triste, rêveuse, pâle, elle dansait avec peu d’envie. Je n’osais pas la questionner.
— Tu sais, Fédia, je ne me sens pas très bien aujourd’hui, me dit-elle
Oh! Si elle avait su alors, comme j’en avais gros sur le coeur! Je ne savais pas ce qui m’in
quiétait le plus, si ce quelle venait de me dire et qui devait être compris comme une insolence, ou bien l’idée confuse, que quelque chose s’était passé, quelque chose d’irréparable.
Je restai donc, ce soir là, en proie à mes inquiétudes et souffris d’avantage. Lorsque je me regardai dans la glace, je me rasais tous les jours pour paraître plus âgé, je vis que j’avais d’énormes cernes sous les yeux.
Le secret de ce changement fut bientôt découvert. 11 me fut, révélé par notre musicien, Matseille Javaranak, avec qui je m'étais lié d’amitié.
— Tu ne vois rien du tout, toi, me dit-il un jour. Le comptable, Vossip Vossipavitch, tourne autour d’Anetka. Il est plus vieux que vous, tous les deux! Il a même le double...
Je fus secoué. Inutile de dire, que tout ce que je ressentais se lisait sur mon visage.
— D’où est-ce que tu sais ça? Le questionnai-je, croyant à une plaisanterie.
Là, Matseille m’asséna le coup de grâce.
— Tu es bien trop souvent près de son escalier, mais pas au bon moment. Moi, j’ai vu quand Vossip Vossipavitch, le soir, est allé la voir, directement chez eux. Si t’avais vu comme il était habillé. Il avait la moustache retroussée, comme des pinceaux...
— Que tu es cruel, mon vieux! C’est tout ce que je pus dire. Je partis en courant. Je voulus aller directement voir Anetka, lui demander des explications, ce n’était peut-être pas vrai. Mais au lieu de courir vers sa maison, je gagnai la forêt, où dans ma solitude, je ne pus communiquer ma douleur qu’aux arbres...
Je décidai de vérifier ce que m’avait raconté mon ami. A la tombée de la nuit, je marchai vers la maison d’Anetka. J’en avais tellement gros sur le coeur que je glissai mon pistolet dans la
poche do mon pantalon. Je me disais que, si l’occasion allait se présenter, je n’hésiterai pas à tirer un bon coup de pistolet dans la moustache de ce vieux Vossip Vossipavitch, à ce qu’il ne puisse plus jamais se la tortiller...
La maison d’Anetka avait deux fenêtres qui donnaient sur le verger. Me cachant dans les branches des lilas qui poussaient en face, j’avais un bon poste d’observation. Je venais à peine de m’installer que la lumière se fit dans la chambre de la jeune fille. Je ne sus que faire. Mon coeur se mit à battre, je n’eus pas la force de m’approcher de la fenêtre éclairée.
Comme par malheur, la pluie commença à tomber, en un clin d’oeil ma vareuse fut trempée... •l’essayai plusieurs fois se regarder par la fenêtre à l’intérieur de la chambre et chaque fois, pris de remord, je reculai devant ma décision, me disant: «Mais qu’est-ce que je fais donc? Qu’elle se marie! Qu’est-ce que ça peut faire? Je n’y renoncerai jamais. J’irai en ville, j’y ferai mes études pour revenir et avoir le poste de commissaire... Je me voyais déjà en uniforme, avec un révolver au bout d’une longue cordelette. On verra alors qui aura le dessus. Je l’enleverai à ce Vossip Vossipavitch... Et lui... je déciderai après ce qu’il faudra en faire...»
La curiosité et la jalousie prirent le dessus. Décidé, je fis quelques pas vers la fenêtre. Je bondis comme ébouillanté. Matseille avait dit la vérité: assis sur un petit canapé près du mur, Vossip Vissopavitch tenait Anetka dans ses bras.
Une minute après, reprenant mes esprits, je décidai, avant tout, de régler le compte à la canaille moustachue. Mais j’eus peur, je pouvais manquer mon coup et toucher Anetka, ils étaient si près l’un de l’autre. «Il vaudrait mieux faire irruption dans la chambre», me disai-je.
La pluie ne s’arrêtait pas de tomber. J’étais trempé jusqu’aux os. La seule chose que la pluie n’arrivait pas à faire, c’était d’éteindre l’incendie qui dévorait ma poitrine... Je me levai et jetai un dernier regard par la fenêtre. Anetka avait docilement posé sa tête sur la poitrine de Vossip Vossipavitch qui tripotait ses mèches blondes. Je n’avais plus pitié d’elle. Ma décision de la tirer des mains de ce type obscène s’éteignit. Je fis un bond en arrière, en même temps je tirai deux coups de feu en l’air. Je filai à travers les buissons, sautant la palissade, je courus dans le parc qui conduisait jusqu’à la place centrale.
Couché dans mon lit, je gémis, je pleurai de douleur et d’outrage jusqu’au matin.
«Qu’est-ce qu’on allait penser de moi dans la région?»
Mais personne n’avait jamais rien dit. On tirait des coups de feu partout bien souvent à cette heure.
J’appris, quelques jours après, que Vossip Vossipavitch allait se marier avec mon premier amour...
— Malheureuse Anetka!..
1972
Ivan Miélège ooo
LE DERNIER RENDEZ-VOUS
Elle ne venait toujours pas.
Cela se voyait, même sans montre, à l’air préoccupé qu’avait l’homme qui attendait à la lisière du bois. 11 jeta quand même un coup d’oeil à sa montre.
Plus d’une fois il avait répété ce geste et ne comprenait pas pourquoi elle n’était pas encore là, ce qui lui était arrivée. D’habitude elle était exacte. Exacte, n’est pas le mot, elle attendait l’heure de leur rendez-vous avec impatience. Il était arrivé plus d’une fois que lui. se rendait à l’endroit convenu beaucoup à l’avance, fuyant sa demeure. Elle arrivait presque en même temps. 11 fallait la voir accourir, vive et gaie, rayonnante de bonheur. Qu’elle était heureuse lorsqu’il la soulevait dans ses bras, légère, sans une ombre de souci sur le visage!
— Tiens, toi aussi, tu as cédé à la tentation, disait-elle, en riant avec malice. Tu es arrivé en courant, comme un gamin! Toi, si sérieux, si imposant. Oui, oui, comme un gamin?.. Disant cela, elle mettait de l’ordre dans ses cheveux, défroissait sa robe et ajoutait, en faisant une mi-