Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Siargueï ne vint même pas pour lui dire adieu; on disait que c’était l’autre qui l’avait conduit à la gare et qui avait pleuré...
— Ganna Antonavna, la toucha à la main le militaire, trinquez avec nous, le dernier verre.
Automatiquement, elle prit son verre et but avec avidité.
— Dites, Ganna Antonavna, qui est ce petit sur la photo? le militaire montra le cadre avec les photos accroché au-dessus de la fenêtre.
— C’est mon fils. 11 est mort quand nous étions bloqués. Il avait cinq ans. Le typhus...
— Excusez-moi, je n’ai pas voulu... J’ai oublié que votre fils aussi... Les miens, à vrai dire, sont saufs, quant à Vassil, il cherche toujours les siens après la guerre et il n’en a même pas la trace.
Elle regarda le compagnon silencieux du militaire et ce n’est que maintenant qu’elle remarqua scs yeux, des yeux purs, des yeux bleus; on aurait dit qu’ils regardaient à travers la fumée; on y lisait quelque chose de caché, la douleur, la bonté.
Le militaire jeta encore une fois un coup d’oeil sur la photo:
— 11 aurait été un héros, comme son père. Bon, nous vous quittons, Ganna Antonavna. Demain nous travaillons et vous aussi. Nous avons pris tout votre temps avec Vassil... Le militaire se leva de table.
Elle les conduisit jusqu’à la porte de la palissade.
Elle ne put s’endormir. Peut être à cause du frôlement monotone des feuilles rugueuses du lilas près de la fenêtre; comme s’il eût demandé la permission d’entrer dans la maison pour se réchauffer. Peut être à cause de l’oeil froid de la lune qui regardait dans la chambre. On sentait encore la fumée des cigarettes, l’odeur de la vodka, ces odeurs d’homme oubliées depuis longtemps. Elle ne savait pas pourquoi, elle voyait toujours les yeux creusés, bleus de tristesse, du compagnon silencieux du militaire.
Elle se leva, s’approcha de la fenêtre, l’ouvrit: le vent avait chassé les nuages et la nuit d’automne lavée par la lumière triste et froide de la lune, régnait sur la terre. Au milieu du vallon qui com
mençait près de sa maison, à l’extrémité du village, un étang brillait calmement; de vieux saules cassés se penchaient au-dessus, en étendant leurs bras osseux vers la lune, immobile et lointaine. Audelà de l’étang les pieds noirs des érables du vieux parc semblaient escalader la colline; de temps en temps des feuilles solitaires et tremblantes se détachaient des arbres et s’envolaient vers l’étang; en frétillant au vent, elles ressemblaient à des lettres pleines de désespoir et de chagrin inexprimé, à des lettres qui n’arriveront nulle part et que personne ne lira jamais.
1969
Arkadzi Martsinovitsh
ooo
LE SENTIER COURT
Il y a longtemps de cela. De quoi? D’une connaissance éphémère. Mais deux décennies se sont écoulées et cette connaissance continue une vie troublante dans ma mémoire. Je m’en souviens toujours et, je ne sais pas pourquoi elle ne s’oublie pas, pourquoi il me faut en parler à quelqu’un, de cette connaissance lointaine et momentanée.
Notre division qui venait d’être formée effectuait une marche vers l’Ouest. Elle n’était pas encore au complet en ce qui concerne le matériel, on avait besoin île temps pour se préparer aux combats. C’est pourquoi le mouvement de la division était original: elle marchait vingt ou trente kilomètres, et puis, elle s’arrêtait pour trois, quatre, ou même huit jours dans quelque bourg et des villages avoisinants. En attendant que le matériel de guerre nous rejoigne par le chemin de fer, on organisait des exercices.Ensuite, on se remettait en marche.
C’était la même chose cette fois-ci.
Le bataillon où je servais s’est arrêté dans le petit village d’Ivanav Rog situé près d’une rivière. Je nous revois entrer là quand le soleil s’était
déjà caché derrière la forêt, mais il ne faisait pas encore nuit. Nous nous sommes installés comme toujours: un groupe dans chaque maison. Notre groupe a été cantonné dans une maison à l’extrémité du village, derrière laquelle il y avait un petit pré qu’il fallait traverser pour aller à la rivière. La maison était vieille, basse, il semblait que le poids de ses années l’avait enfoncée dans le sol. Près de la maison nous nous sommes arrêtés, désespérés. Le chef de groupe est allé, par politesse, demander la permission aux maîtres d’y passer la nuit. 11 était clair que personne ne pouvait nous le refuser et que si quelqu’un l’avait fait, nous aurions tout simplement occupé la maison. Mécontents, nous attendions, en regardant autour de nous et en discutant la question qu’il aurait mieux fallu nous installer dans une grange. Mais on n’a pas vu de grange et puis, le commandant est sorti de la maison et nous a crié:
— Vite, vite! Lavez-vous! Préparez-vous au souper! La cuisine vous attend depuis longtemps...
La voix du commandant et surtout le rappel de la cuisine ont fait leur effet. Nous nous sommes introduits dans la cour par une petite porte dans une palissade basse, nous avons disposés nos fusils en faisceaux, nous nous sommes débarrassés de nos havresacs et do nos capotes roulées.
Bientôt une jeune fille est sortie de la maison, elle portait deux seaux. Douze paires d’yeux l’ont accueillie. Elle nous a souri, et, naturellement, personne ne regrettait plus de s’être insallé dans cette maison pauvre.
— Lavez-vous, les gars! et elle a posé un seau sur l’herbe. L’autre seau, vide, elle le tenait à la main.
Nous avons immédiatement oublié que nous devions nous laver, nous l’avons entourée et chacun lui disait ce qui lui était cher: on plaisantait,
on disait des choses sérieuses, on lui parlait avec tendresse; parmi nous, douze hommes, il y avait ceux qui étaient capables de beaucoup de choses. Nous étions tous, sauf notre commandant de groupe, jeunes, du même âge.
Il était évident que la jeune fille était aussi contente de nous parler et elle se tournait vers chacun pour répondre à chaque réplique. 11 semblait qu’elle ne pouvait pas retenir son sourire au milieu des hommes. On voyait de petits feux brillants qui s’allumaient dans ses grands yeux gris chaque fois qu’ils croisaient d’autres yeux; ses lèvres fortes et ses petites dents blanches étaient humides; il semblait qu’elle venait de rire. Quelqu’un a demandé son nom et elle a répondu qu’elle s’appelait Tania. Nous avions oublié que nous étions fatigués, barbouillés, couverts de sueur; elle semblait ne pas l’apercevoir non plus et nous lui en étions reconnaissants.
Evidemment, seul le commandant n’oubliait pas, dans un moment pareil, nos devoirs de soldats et notre cuisine roulante.
A contre-coeur, l’un après l’autre, nous l’avons quittée, et elle s’est enfuie; près de la porte de la palissade elle nous a crié:
— Ne ménagez pas l’eau, je vais en chercher encore!
Je me suis glissé rapidement derrière la maison et, par un champ de pommes de terre, j’ai pris ma course pour couper le chemin à Tania qui suivait le sentier à travers le pré vers la rivière.
Je vais vous aider à porter le seau, ai-je dit, en l’atteignant.
— J’y suis habituée, ce n’est pas lourd, a-t-elle répondu.
— Ça ne se voit pas que tu y sois habituée. D’après tes mains on voit que tu es de la ville.
— Vraiment, mes mains? elle s’est étonnée fran-
chôment, a regardé ses mains, puis a dirigé son regard de mon côté pour avouer avec un sourire: Oui, je fais mes études à l’école pédagogique... j’y ai fait mes études...
L’herbe envahissait la rivière près du bord et une petite jetée de grandes pierres conduisait vers l’eau pure. Alors que je cherchais à m’y retrouver, Tania sautait déjà sur les pierres. Je me tenais sur le bord et je la voyais se pencher agilement, puiser de l’eau avec adresse, et, penchée du côté de sa charge, venir à ma rencontre. J’ai tendu le bras pour prendre le seau et nos mains se sont croisées sur l’anse. Cela n’a duré que quelques secondes, mais il m’a semblé que Tania ne voulait pas ôter sa main, qu’elle était aussi émue que moi par ce contact qui lui avait dit, sans paroles, quelque chose de secret et d’important... C’était sans doute vrai, parce que nous n’avons pas repris la conversation tout de suite et notre silence nous gardait le contact de nos mains.
Je ne savais pas porter le seau en douceur et il s’agitait toujours, en répandant de l’eau sur mon pantalon et mes bottes. Tania se moquait do moi et ses moqueries m’étaient agréables. Ensuite elle m’a demandé d’où j’étais et comment je m’appelais. J’ai répondu, en pensant avec regret que le sentier qui conduisait de la maison à la rivière était bien trop court. Je m’attrapais encore sur une pensée quelque peu déplacée: je m’étonnais qu’une fille aussi belle puisse vivre dans cette pauvre petite maison...
Ensuite Tania m’a versé de l’eau avec une puisette sur mes bras, sur mon cou et je me suis lavé avec délice. Mes camarades se moquaient de moi parce que j’avais suivi Tania avec précipitation, mais leurs moqueries me réjouissaient...
Le sentier qui menait de la maison à la rivière était court, mais le temps libre d’un soldat est
plus court encore, et bientôt, le chef de groupe a commandé d’une voix retentissante:
— A vos rangs! et il nous a menés à l’autre bout du village vers notre cuisine roulante.
Il y a encore eu la nuit.
Nous nous sommes couchés en tas sur le plancher où on avait étendu des couvre-lits et des couvertures. Tania nous a donné deux oreillers: au chef de groupe et à moi, il n’y en avait plus dans la maison. Cela me réjouissait et m’étonnait qu’elle ait osé, devant tout le monde, me donner un oreiller. «Parce qu’il m’a aidé à porter de l’eau», a-telle dit, en souriant d’une façon simple et naturelle. Faut-il dire que je n’ai pas dormi toute la nuit? Je pensais à Tania. Elle était si proche, elle dormait avec sa mère dans une chambrette séparée de la nôtre par une cloison en bois. Je prêtais l’oreille, j’attrapais son souffle. J’appuyais ma joue contre l’oreiller et je pensais avec délice que c’était peut être l’oreiller de Tania où elle avait dormi hier et tous les jours avant. Je rêvais du lendemain, des jours suivants que je passerais à Ivanav Rog...