Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Mais il les achète pour les revendre après. Si vous aviez vu l’argent fou qu’il gagne!
Et personne ne se doutait que le malheureux dépensait toute sa pension pour payer les oiseaux. Plus d’une fois il était resté sans pain, alors la vieille Dakoulikha lui donnait le sien. Et puis voilà qu’après, les oiseaux on les apportaient à la maison. Alors la Dakoulikha s’est mise en colère. Elle leur faisait honte, et puis après, elle a pris un bout de bois et les mis à la porte, tous ces vendeurs. Ils ne sont plus revenus. Mais le vieux ne s’est pas arrêté...
A partir de ce soir, je sortais dans la rue à chaque fois que j’entendais les gosses crier Dzèmidzionak.
Souvent les enfants suivaient le vieillard jusqu’au marché. Après j’appris qu’ils étaient devenus les premiers fournisseurs d’oiseaux.
Dzèmidzionak marchait toujours au milieu de
la rue. Je remarquai qu’il portail la même chemise, je pouvais dire exactement le nombre de pièces qu’il avait à son pantalon. Le dimanche, il passait deux lois devant notre maison, la première lorsqu’il se rendait au marché, la deuxième lorsqu’il en revenait . Et jamais il n’avait tourné la tête, il regardait droit devant lui. Alors qu’une fois il faillit à son habitude si cela avait été une habitude. En passant il me jeta un regard et soudain il retira son chapeau et me salua. Peut-être, parce que pour lui j’étais nouveau. Il n’y avait pas longtemps que j’habitais cette rue tranquille. A partir de ce jour, il ne passait jamais sans porter la main à son chapeau. Il le faisait d’un geste rapide, presqu’à la dérobée, comme s’il ne voulait pas perdre son temps pour une action vaine.
Par la suite, je ne pus me passer de penser à cet homme réellement bizarre. Je fus entièrement saisi par la curiosité qui n’aurait pu être satisfaite et je n’aurais jamais connu ce petit vieux si un jour...
Je ne voulais pas croire en voyant ce simplet que ce n’était qu’un petit vieux tombé en enfance sur ses vieux jours. Je n’arrivais pas à croire qu’il se faisait du souci comme ça, pour rien, une occupation qui suscitait des sourires compatissants. Peut-être que la simplicité de son esprit le poussait à cette action qui délimitait nettement le bien du mal, acheter des oiseaux et leur rendre la liberté était devenu alors le but précis de sa vie de vieillard.
J'étais tellement attiré par le vieil homme que j’étais prêt à courir avec les gamins de la rue pour le suivre jusqu’au marché sans tenir compte de ce que j’allais entreprendre était mal.
Par la suite voilà ce qui m’arriva...
Un jour que Dzèmidzionak n’avait pas trouvé d’oiseaux à acheter sur le marché, il en revenait triste, un peu plus voûté que d’habitude. Près de
notre maison, il s'arrêta un instant, en face du banc où j’étais assis, il fit demi tour et suivit la rue Kolkhosienne. C’est à ce moment que je pris la décision de le suivre. Tout en lui emboîtant le pas, j’avais la sensation que je faisais quelque chose d’affreux, mais la curiosité avait pris le dessus. Dzèmidzionak ne faisait pas attention à moi, sans doute qu’il ne m’entendait pas marcher.
Les maisons de briques, construites ces dernières aimées, venaient de se terminer, faisant place aux maisonnettes de bois, comme celles de la rue des Potiers. La rue Kolkhosienne avait entièrement été détruite pendant la guerre. Aujourd’hui, ses maisons étaient neuves, reconstruites par ses habitants.
Soudain, Dzèmidzionak disparut derrière une palissade, je restai seul dans la rue.
Le temps traînait, vide, d’autant plus que je me trouvais dans une situation ridicule ne sachant que faire. Le pire, c’était de me retrouver nez à nez avec le vieux, jusqu’alors il ne m’avait pas vu, du moins, j’en avais l’impression, cela arrangeait les choses. Et j’eus l’intention de m’enfuir, pour ne pas me faire voir, mais une force invisible, celle qui m’avait poussé jusqu’ici, me clouait sur place, là, près de cette palissade derrière laquelle avait dusparu Dzèmidzionak. Entre temps, le petit vieux sortit dans la rue et il était trop tard d’entreprendre quoi que ce soit.
Dzèmidzionak passa devant moi sans dire un mot. Durant ces quelques secondes, je restai planté comme sous l’effet d’une douche glacée.
A ce moment même une femme dégringola de l’entrée et cria à quelqu’un dans la cour:
— Qu’est-ce qu’il t’a donné?
Une voix d’enfant lui répondit de la maison d’en face.
— Oh, mon dieu! T’as été volé! hurla la femme. Quelqu’un d’autre essaya de lui répliquer: — Mais les moineaux ne valent rien!
— Rien! Rien! Ferme-là!.. Tu te soucies de l’argent des antres, imbécile! Si ça lui plait, qu’il le laisse partir au vent, son argent... s’il en a tant! Et la femme partit d’un rire éclatant, cruel. A partir de cette minute, j’eus profondément pitié du vieillard.
Sa cage avec les moineaux, car cette fois-ci c’étaient bien des moineaux qu’il avait dedans, il la serrait contre sa poitrine comme de peur de se la faire enlever...
Dzèmidzionak sortit du bourg. Il ouvrait sa cage à trois kilomètres, là où commençaient les prés.
Le soleil était splendide, l’eau chantonnait dans la petite rivière. Par ce jour d’été on sentait la magnifiscence de cette belle saison: l’herbe intacte encore se balançait doucement au souffle léger du vent, de temps en temps on entendait dans les buissons le chant des oiseaux semblable aux timbres argentins de mille clochettes claires.
Plongé dans la contemplation de cette divine nature, je n’avais pas remarqué quand s’était transformé le vieux Dzèmidzionak. Le vieillard semblait rajeuni, il s’était redressé. Rien n’était resté du vieux de la rue des Potiers, qu’on avait l’habitude de voir passer dans la rue. IL faisait sortir les oiseaux de sa cage et les regardait prendre leur vol et se perdre dans le ciel. On lisait sur son visage, toute son attitude traduisait le sentiment d’un enfant transporté par la joie. Il rayonnait de bonheur.
Oui, j’avais devant moi un homme qui jouissait pleinement de son bonheur...
Il n’y eut entre nous aucune conversation, mais malgré cela nous retournâmes au bourg comme
deux bons amis.A partir de ce jour, je pouvais aller chez la mère Dakoulikha sans me sentir gêné.
C’est ainsi que j’appris l’histoire de cetétrange vieillard qui passait pour un simplet.
...Avant la guerre, Dzèmidzionak avait vécu près de Vitougne, un village pas très grand. 11 avait été garde forestier. Il vivait seul. Sa fille, qui avait vers les trente ans, était mariée, vivait à la ville, elle avait une enfant, petite encore. Ses préoccupations de mère de famille ne lui permettaient pas d’aller voir son père.
Entre temps commença la guerre. Au début, personne n’avait touché aux petites maisons do campagne qui se trouvaient en bordure de la forêt où vivait le garde. Les flammes de la guerre les avaient épargnées, mais plus tard, avides de détruire, elles vinrent ravager Vitougne. La nuit, on voyait bien l’immense brasier qui brûlait de l'autre côté du Dniepr. Tout tonnait et se soulevait autour.
Le chemin qui bordait la forêt était couvert d’une foule mouvante qui fuyait les horreurs de la guerre. Parfois (41e était si dense que l’on aurait pu croire que la moitié du monde s’était mis en marche. Les gens passaient, fatigués, noirs de poussière, sans s’arrêter. Il y avait de tout: des femmes, des enfants, des vieillards, des soldats blessés. Le bord du chemin était semé de vaisselle et de pots brisés, mêlés à des bandes pleines de sang qui avait eu le temps de sécher au soleil.
La maisonnette du garde forestier était de ces jours pleine de blessés.
Dzèmidzionak, du matin au soir, était sur le bord du chemin dans l’espoir de reconnaître dans la foule un visage familier.
Il eut de la chance, son attente ne fut pas vaine, sa fille arriva, sa petite sur les bras, elle n’avait que trois ans. La petite fille n’avait jamais vu
son grand père, elle en avait seulement entendu parler. Elle savait qu’elle avait un grand père qui vivait quelque part au bord d’un lac dans la forêt. Dans son imagination d’enfant elle voyait un vieillard comme on en voit dans les contes de fées, alors qu’en réalité elle vit un petit vieux tout comme les autres, comme elle en avait tant rencontré dans la rue où elle sortait se promener avec sa mère. La petite regarda longtemps son grand père jusqu’à ce qu’il la prenne dans ses bras où elle s’endormit tout de suite. La pauvre petite était sale, maigre, harassée par la route qui avait été longue. Lorsqu’elle se réveilla le lendemain, sa mère n’était plus là. La fille do Dzèmidzionak était partie avec tout le monde, elle avait laissé sa petite avec son père. La fillette pleura malgré la forêt mystérieuse et le lac qui l’avait enchantée qu’on appelait, on ne sait pourquoi, le lac Mort. Alors pour la calmer le grand père la prenait dans ses bras et allait sur le bord du chemin où comme avant coulait la rivière humaine, poussée par la guerre. La petite se calmait.
La guerre s’approchait.
Les exilés devenaient rares, bientôt on n’en vit plus du tout. Seuls des soldats passaient suivant les sentiers de la forêt. Après on ne vit plus personne. On entendit longtemps le bruit sec des mitraillettes. Enfin arriva le jour où tout fut calme et silencieux. Dzémidzionak était seul avec sa petite fille dans cet endroit de la forêt que la guerre n’avait pas encore touché directement.
Le vieux garde forestier n’avait plus rien à faire, il traînait dans la forêt sans but précis, écoutait murmurer les arbres qui de jour en jour changeaient de ton, l’automne était proche. De nouveau des gens sont arrivés, des partisans. Ils s’arrêtaient d’abord dans la maisonnette du gar-
do et après, à l’approche de l'hiver, avec les pre* mières neiges, ils s’installèrent quelque part, de l’autre côté du lac Mort.
L’hiver avait été rude, avec beaucoup de neige. Le froid semblait pénétrer dans la maisonnette par les moindres trous aussi le garde était obligé de soutenir le feu jour et nuit. Le grand père et la petite attendaient les beaux jours avec impatience.