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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Elle soupira et tira avec avidité à une cigarette qu’elleavait allumé à mon mégot.Et moi, je pensai à ce temps divin où l’homme mesure ses capacités en kilos et même en grammes.
    ...A l’aube, quand le ciel du gris passa au bleu, quand on entendit la volaille se réveiller dans le poulailler voisin, Fedzia ramena la femme du chef d’équipe avec un fils. Aliona Piatrovna les accompagnait.
    Même après, le sommeil ne vint pas. Du village voisin, on amena encore sur une charrette une femme qui devait accoucher. Et comme me fil part la mère Bronia: la fille n’avait pas poussé un cri, ou un gémissement. Elle se mordait seule­ment les lèvres, si blanches, si blanches... com­me si elle n’était pas contente d’avoir un enfant...
    La mère Bronia alla cueillir des pensées qu’elle porta dans la chambre. Elle revint vers moi.
    — Je lui ai donné les fleurs, en disant: c’était un garçon qui les avait apportées en vélo. La pauvre sursaute, les yeux brillants... Puis les
    jette sur la table de nuit et se tourne du côté du mur...
    Elle se tut un instant, puis prolongea:
    — Oh là, là! Et pourquoi se faire tant de peine? C’est un péché que de tuer un homme, mais en mettre un au monde...
    Je ne disais rien. Je ne faisais que d’écouter.
    — Deux filles et un garçon aujourd’hui... dit la mère Bronia, pensive. On dit que les filles, c’est pour la paix...
    Elle soupira de nouveau. Je n’oubliai pas que je devais guetter le président du kolkhoze. Voilà pourquoi je m’empressai de remercier la mère Bronia pour l’abri; je lui fis mes adieux.
    Elle me répondit, en souriant:
    — On a eu tous les deux une nuit orageuse.
    Fedzia me rejoignit près de la porte, noir comme un ramoneur: il y avait quelque chose qui ne marchait pas dans son moteur.
    — Vous partez déjà! Attendez une minute. Je vous emmène jusqu’à la direction.
    11 tira un chiffon de dessous le siège de sa cabine et s’essuya les mains. Il me dit tout à coup:
    — Je ne savais pas du tout que vous étiez du journal... Il faudrait que vous écriviez quelque chose sur maman Bronia!... Si seulement vous sa­viez qui c’est... Et il commença à bégayer, ne sachant que dire et s’aidant «l’un geste de la main, il ajouta: les Allemands ont brûlé ses enfants... avec leur grand-père... Elle était partie chez des amis quand c’est arrivé, c’est pourquoi elle est restée vivante. C’est dans le village d’à côté...
    Je me retournai et je revis la mère Bronia... Les mains, posées sur ses genoux, le visage, exposé au soleil, elle était assise sur le banc sous la fenêtre.
    Elle s’était peut être assoupie.
    Ali es s Jouk
    ooo
    LA FEMME U’UN HEROS
    Elle avait fait son ménage et maintenant elle somnolait sur le saillant chaud du four. La mai­son était plongée dans une demi-obscurité; la pluie qui s’abattait sourdement sur le toit cou­vert de bardeaux, et le givre qu’on pouvait voir dehors par les fenêtres pleurantes, tout ceci lui donnait un sentiment de solitude. La femme n’at­tendait personne par ce soir de dimanche parce qu’elle savait que même sa voisine Volka serait trop paresseuse pour traverser la rue et venir chez elle sous cette pluie; c’est pourquoi elle s’effraya un peu et perdit contenance quand elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir, ensuite un piétinement de bottes sur le plancher et le tâ­tonnement d’une main qui cherchait le loquet de la porte de la chambre. La femme sauta à bas du four où elle était couchée, mit précipitamment ses bottes de caoutchouc placées tout près, sous un banc, courut vers la porte et l’ouvrit.
    Deux hommes entrèrent dans la chambre et s’arrêtèrent près du seuil. Tous les deux, ils étai­ent couverts de toiles de tente noircies et raidies par la pluie, des gouttes s’écoulaient sur le plan­cher.
    — Oh! quelle pluie! Ne restez pas là! dit-elle. Accrochez ça ici. Ça ne fait rien, laissez goutter! 11 y a un clou sur le chambranle. Donnez-moi vos cabans, je vais les accrocher sur l’armoire. Avec cette pluie dehors...
    — Ça ne fait rien, s’il vous plaît, ne vous dé­rangez pas.
    — Passez ici, à table, je vais allumer, il fait déjà sombre.
    La femme tourna l’interrupteur et tira les rideaux de la fenêtre.
    — Eh bien, bonsoir. Un homme trapu, à visage rond, lui tendait la main. Bonsoir, Maria... Il se tut en attendant qu’elle l’aide.
    — Ganna... Ganna Antonavna, fit-elle, con­fondue.
    — Excusez-moi, j’ai oublié, il y a tant d’an­nées... ma mémoire,., se troubla le militaire.
    Son ami, un homme maigre, aux cheveux noirs peignés à la renverse où l’on voyait déjà apparaître dos poils gris, était vêtu d’un costume brun foncé qui n’allait point à ses grosses bottes couvertes de boue, il fit un signe de tête amical et serra la main de la femme.
    — Vassil Ignatavitch. Ou tout simplement, Vassil. Ce sera mieux.
    — Ganna Antonavna, nous, nous avons fait la guerre ensemble, avec Siargueï. Nous avons décidé de venir vous voir, car petit à petit tout s’efface avec le temps. Lorsque nous étions avec Siargueï à l’hôpital, ou s’est raconté des tas de choses, reprit le militaire. Voyez-vous, j’ai même oublié votre prénom.
    — Ça ne fait rien. On oublie tant de choses, le rassura-t-elle.
    Le mystère de la visite disparu, Ganna savait ce qu’elle devait faire et dire. Elle sortit de l’ar­moire une nappe de lin à franges, en couvrit la
    table, puis elle s’affaira près du four, fit un saut jusqu’au garde-manger et bientôt on vit sur la ta­ble une bouteille de vodka à peine embuée, des concombres salés, du lard coupé soigneusement en petits morceaux durs, des assiettes avec de la choucroute. Ganna savait faire la cuisine et elle aimait à le faire voir.
    — C’est assez, c’est assez, Ganna Antonavna. Asseyez-vous. Cela nous embarrasse de vous dé­ranger, l’arrêta le militaire et la fit asseoir sur une chaise.
    — Et comment alors! Vous êtes fatigués... Et si je n’avais rien à vous offrir...
    Le militaire leva son verre.
    — Eh bien, à tout le meilleur! A la mémoire de Siargueï, à la maîtresse de cette maison, à cette maison.
    Durant cette dernière année, Ganna s’était habituée à ces visiteurs. Ce fut pour eux qu’elle avait accroché au mur les photos de Siargueï et ses diplômes qu’elle avait gardé pendant la guer­re et après la guerre au fond d’un vieux coffre; ce coffre, il lui était resté après sa belle-mère et main­tenant il se trouvait dans la salle d’entrée.
    — Vassil et moi, cet été, lorsque nous avons lu dans le journal où vous habitiez, nous avons pensé vous voir, pour vous aider peut être. Si ce n’était pas Siargueï, en quarante-et-un, c’en était fait de nous. Des chars allemands se sont frayé un pas­sage dans nos arrières. La nuit était noire, il ge­lait à pierre fendre... Il nous a trouvés et nous cachés dans une grange, il nous a apportés à man­ger on ne sait d’où, il nous a soignés. Ensuite nos troupes ont frappé sur ce coin du diable... Il n’a pas pu se retenir, a sauté dehors quand il a enten­du la fusillade. Il a été blessé près de la grange. On nous a transportés à l’hôpital, termina tout bas le militaire et ajouta:— Un bon gars, c’est vrai.
    — Remplissez vos verres! Réchauffez-vous au moins, leur dit-elle.
    Elle avait déjà entendu beaucoup parler de l’héroïsme de Siargueï par ses camarades de ré­giment qui avaient commencé à venir chez elle après qu’un article eut paru, décrivant le der­nier fait d’armes de son mari. 11 lui semblait qu’on parlait d’un homme tout à fait inconnu. Certains la considéraient avec estime, d’ailleurs, elle ne savait pas pourquoi, d’autres avec envie.
    Les hommes burent encore. Elle refusa. Elle attendait qu’ils lui posent des questions sur Siar­gueï. Elle était prête à leur raconter que Siargueï et son frère, à lui, avaient été les plus forts dans le pays, que Siargueï avait été le meilleur con­ducteur de tracteur à la M. T. S.1 Elle racontait toujours la même chose; elle s’efforçait de régaler ses hôtes au lieu de parler, et peut être qu’un jour ils se souviendraient de son hospitalité.
    Mais les hommes ne lui posaient pas de ques­tions, ils fumèrent et s’adonnèrent aux souvenirs, ils évoquèrent des noms et des villes qu’elle ne connaissait pas.
    D’autres souvenirs revinrent à la mémoire de Ganna.
    ...Leur noce, tout le village en avait parlé pen­dant huit jours en oubliant tous les autres évé­nements. Les villageois ne pouvaient aucunément croire que Siargueï qui aurait pu faire le bonheur de n’importe quelle belle du pays prendrait la petite Gannatchka Sidarava qui ne payait pas de mine mais qui était adroite au travail. Les femmes disaient qu’il s’était laissé tenter par ses mains ha­biles parce que sa mère était morte et il fallait avoir l’oeil au ménage...
    1 Station de machines et de tracteurs. (N. d T.)
    On bavarda encore beaucoup, mais est-ce que cela la regardait! L’hiver n’existait plus pour elle, elle était la plus heureuse au monde. Ses ami­es l’enviaient, elle remarquait les coups d’oeil qu’elles leur jetaient quand ils dansaient.
    Le printemps vint. Siargueï était parti pour un kolkhoze lointain, leur M. T. S. desservait deux districts, et il ne rentra qu’un mois après. Il re­vint éméché, maussade. Elle pleura toute la nuit, et lui, il ne se tourna même pas vers elle, comme si elle n’avait pas été sa femme et comme si elle n’était pas femme... Le lendemain il refusa de déjeuner et, toujours maussade, étranger, il re­partit. Cette fois il n’avait pas apporté son linge à laver et ne l’apporta jamais plus.
    Dans le village on se mit à jaser qu’il avait trou­vé une autre femme beaucoup mieux que Ganna. D’abord on en parlait avec méchanceté, ensuite avec compassion, surtout après la naissance d’un garçon. Elle avait espéré que Siargueï changerait, qu’il reviendrait, si ce n’était pas pour elle, du moins pour son fils.
    Mais il ne changea pas.
    Du meilleur conducteur de tracteur qu’il était resté, on en parlait dans les journaux, on lui re­mettait des diplômes.
    Quand à elle, chaque jour elle laissait son petit à sa mère et allait travailler.
    Elle n’avait pas conduit Siargueï à la gare, com­me avaient fait les autres femmes, accompagnant leurs maris, en pleurant.