Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Quand il était encore jeune, il décida de se marier et il trouva une jeune fille Aliona, fille d’Amiallian, un garde-forestier type do loup-garou, méchant mais économe. Sa fille avait une taille fine et élancée, scs yeux ambrés regardaient avec impertinence, des yeux qui pouvaient tourner la tête à n’importe qui; il semblait qu’Aliona, elle-
môme, avait de la bienveillance à l’égard de Miron mais tout, à coup elle se mariaàun autre,Khviodar Chalaï, de Slaboda, lui aussi.
Et de nouveau, il semblait que Miron n’avait pas souffert, qu’Aliona avait préféré Khviodar, comme s’il n’eût pas couru après elle, ne l’eût pas embrassée; il dansa gaiement à cette noce et bientôt il se maria lui-même, il amena dans la maison de sa mère une jeune fille du village d’Oriékhovka, Ganna, longue, le dépassant d’une tête. Et maintenant, étant marié, il continuait à courir après Aliona. Partout il lui disait : «Tu as tort de me fuir... Je te retrouverai quelque part quand tu seras seule, et tu verras que tu as eu tort de me fuir...» Et ses yeux glauques riaient.
Une fois Miron acheta au marché une vache, une belle vache noire aux cornes taillées, avec une tache blanche sur le front. Il l’emmena chez lui la tenant par une corde courte, il s’en vanta, la montrant à tout le monde. Ensuite, il la conduisit dans le troupeau. Le soir même, le berger lui dit qu’il n’en verrait pas du lait, ni pour luimême, ni pour ses enfants: la vache suçait son lait.
«J’ai demandé à la femme qui m’avait vendu la vache, pourquoi a-t-elle une corde si courte, elle m’a répondu: «La corde était plus longue, elle s’est rompue». Et la femme m’a montré des bouts de corde». Miron resta pantois. «Quand je pense que cette vache est si belle et qu’elle se suce...»
Une autre histoire. C’était quand M iron n’était pas encore marié, il allait souvent chez Aliona, elle n’était pas mariée, non plus. On disait que ce qui s’était passé avait pressé Aliona de faire son choix.
Quatre kilomètres séparaient Slaboda où vivait Miron et la propriété d’Amiallian. Ces quatre kilo
mètres passaient par un chemin vicinal et par un sentier de forêt. Quatre kilomètres, ce n’est pas beaucoup, mais pour arriver jusqu’à la maison du garde-forestier il fallait passer par la propriété de Stiéphan Bouïla, un sourd. Et ce Stiéphan avait un grand chien-loup qu’il lâchait la nuit. On passait par la propriété pour ne pas faire un grand détour.
Une fois quand le jour commençait à poindre, Miron avait hâte de rentrer chez lui pour avoir le temps de fermer l’oeil avant que sa mère ne commence à le secouer pour le réveiller. Il avait passé déjà la cour de Stiéphan et se préparait à accélérer le pas quand il entendit du bruit derrière lui. Miron en eut le coeur serré.
Voilà ce qu’il raconta le lendemain à Aliona:
«Je me retourne et je m’arrête tout glacé. Le chien-loup court sur moi, on n’entend que le bruit du sable. Et la route est plate comme une table, pas une branche, pas une pierre. C’est tout, je pense, il va me déchirer comme un crapaud. Non... Il me dépasse, s’arrête tout à coup et me regarde. Je regarde, moi aussi, et je no vois que sa gueule ouverte, noire, pleine de poils, des dents blanches, et tordues, et encore des yeux vides, noirs d’un jaune... 11 ne bouge pas et puis il s’avance vers moi. Le voilà tout près, haut comme une table, il tourne autour de moi. Je ne bouge pas et je sens mon genou droit flageoler... Et je ne peux rien faire...
Il me flaire et puis, hop, il lève la patte de derrière... Et je sens mon caoutchouc devenir plus lourd... «Vas-y,-vas-y, mais laisse-moi partir vivant. Tu ne m’auras plus ici...» Il achève son affaire, frémit et rebrousse chemin. J’attends un peu, et je m’enfuis à toutes jambes...»
Tel était Miron, le Miron qui réapparut, huit ans après à Slaboda. 11 resta longtemps près de la
grande porte de l'enclos, hésitant toujours à entrer dans sa cour, puis il se retourna et continua son chemin, vers l’extrémité de la rue, terminée par deux maisons et où apparaissait vaguement un bois de bouleaux.
Tout était calme dans lebois. Unmélange d’odeur de neige fraîche et d’écorce mouillée se dégageait. Miron marchait en laissant des traces profondes, il s’arrêtait souvent pour voir de près un bouleau; ses levers remuaient. Puis il s’arrêta définitivement, près d’un bouleau haut et tordu et toucha son écorce chaude et glissante comme enduite de fécule; il secoua le bouleau et fut tout enneigé. Il ne bougea pas en prêtant l’oreille au bruissement des cristaux de neige tombants, tout à coup il se mit à rire d’un rire léger d’enfant. 11 se moucha, tapa légèrement sur le tronc comme s’il en avait pitié et prononça: «Ce n’est rien, rien...» et il reprit le chemin du village.
En s’approchant de sa cour il tendit l’oreille, puis il pressa le pas: il avait vu que le mur orbe de la salle d’entrée était trop noir comme attaqué par l’incendie.
— Oh, ça a brûlé, évidemment, pensa-t-il et se précipita dans le jardin.
Le feu n’avait pas atteint le bas du mur mais les poutres d’en haut étaient fendues, à côtés aigus insolites. Le bas du toit de chaume était, lui aussi, noir et arrondi.
«Peut-être, ça a pris feu d’une meule qui brûlait», pensa Miron, en passant sa main sur la poutre et en tâtant des doigts le charbon menu et sec. Naturellement, d’une meule. Si le feu était venu du dedans, tout aurait été fini avec la maison.Oui, s’il était venu du dedans tout aurait été fini,avec la maison et avec l’étable.
11 retourna dans la cour et poussa avec assurance
la porte d’entrée, il attrapa facilement dans l’obscurité le loquet de la porte et entra.
On étouffait dans la maison et on y sentait une odeur aigre. Miron regarda autour de lui: dans la pénombre, près du mur, il vit un lit, un autre, plus petit, à côté de celui-ci, un canapé.
— Qui est là? entendit-il la voix de son fils parvenant du lit et ensuite il vit un petit feu: son fils fumait dans le lit.
— C’est moi...
Un silence gênant régna un instant dans la maison, ensuite son fils tapa du pied sur le plancher, il mettait son pantalon. Son fils s’approcha du seuil, fit de la lumière.
— Ah! c’est toi, père... Passe donc, ôte ça, dit-il à Miron d’une voix douce et décontractée, le regardant toujours d’un oeil éveillé.
Miron comprit que voilà longtemps qu’on avait cessé de l’attendre.
— Mais je viens, dehors... la neige... je vais laisser de la neige sur le plancher, répondit-il tout en sortant ses moufles de la poche de sa pelisse et en secouant la neige de ses bottes.
— Il y a un balai, le fils indiqua un coin et se tourna du côté du lit: — Ania, lève-toi! Notre père est là.
Une femme montra son visage rond et agréable et s’assit enfin sur le lit en levant ses bras pour mettre de l’ordre dans scs cheveux ébouriffés.
— Bonjour, ma petite belle-fille, dit Miron avec une certaine gêne et lui tendit la main en s’approchant du lit. Il se détourna: il avait remarqué un sein blanc et fort par l’échancrure de sa chemise de nuit bleue.
Sa belle-fille le salua.
— Donne-moi mes vêtements, fit-elle à Piatrok.
Miron ôta sa pelisse, son bonnet, pendit le tout à un crochet, s’assit sur un banc. Piatrok s’était chaussé et s’assit; sa chemise de nuit à col ouvert. Les deux hommes fumèrent, en échangeant de répliques dépourvues de sens, habituelles dans des situations lorsque deux hommes se revoient après une longue période et que leur rencontre ne leur procure pas de grande joie. Miron se sentait coupable, étranger dans cette maison. Son fils ne pouvait trouver, lui non plus, 1’ équilibre d’esprit qui lui donnerait de l’assurance et de la sincérité.
Lorsqu’ils étaient restés seuls, sa mère et lui, et surtout après la mort de sa mère, Paitrok était furieux contre son père. Il aurait été capable de le chasser si celui-ci avait apparu un jour. Maintenant toute sa méchanceté avait passé, comme si le temps l’eût délavée et n’eût laissé qu’un dépôt trouble, désagréable. Piatrok n’avait pas compris la fuite de son père, il ne la comprenait pas jusqu’à maintenant.
«Un homme sage, avec des filles mariées, qui quitte sa femme et sa famille et qui s’en va on ne sait où? Le voilà maintenant qui rentre. Il avait couru le monde, n’avait rien trouvé, maintenant il rentre, pensait Piatrok, assis sur un banc. Autrefois son père n’avait rien voulu entendre. Il s’était mis quelque chose dans la tête, le sang lui avait pétillé dans les veines. Il avait voulu goûter à une jeune. Et maintenant, quoi?.. Rentre-t-il pour se montrer et repartir après quelques jours? Se sent-il coupable? Peut-être a-t-il peur d’être chassé?..
Ania, seule, se comportait comme si tout allait comme il faut. Tantôt elle se mêlait à la causerie des hommes, tantôt elle les écoutait en oubliant le travail qu’elle venait de faire, tantôt elle sortait dehors et les laissait seuls. Elle
montrait par tout, par son air et sa conduite que le retour de Miron qu’on croyait presque perdu, lui était agréable, lui donnait de la joie.
— Grypina est partie, ou non?... J’ai en vue Symonikha, précisa Miron. Je viens de passer par son village, j’ai vu son foyer. Il n’en est resté qu’ une étable aux arêtes dénudées...
— Elle est chez son fils. A Saligorsk.
— Et qui a construit ce palais tout près? Au toit de fer-blanc, au soubassement en pierre?
— Kostsik Tatarynav.
— En voilà un brave. Et Kaliadka, est reparti de nouveau?
— Oui, il est près de Minsk. Il y a acheté une maison, un jardin, un potager, il ne vagabonde plus.
— Tiens. Où a-t-il pris de l’argent?
— Il l’a bien gagné. Pendant tant d’années il a été chef d’équipe. 11 chipait un peu partout. Piatrok se leva et jeta son bout de cigarette dans le four. Le bois y brûlait déjà, et les mèches rouges et noires de feu léchaient la bouche du four. Il chipait, il économisait. Lui, il est de ceux qui ne mangent pas leur bien.
— Et oui, Kaliadka ne mangera pas son argent, fit Miron. Non, il ne le mangera pas. Dans la cour de Matrounka on bâtit quelque chose.
— C’est Micha Gavrylav. Matrounka est morte. Le même été que maman. Et sa fille a vendu la maison.