Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Tu as raison! Notre Nikandravitch va bientôt dormir dans son «gazik». Il arrive toujours en coup de vent, me tend sa bouteille thermos, en disant: «Pilipavna, du thé!» Il a toujours sa bouteille thermos dans une musette de toile qu’il porte en bandoulière... Il aime mon thé...
— Vous ne l’avez pas encore marié?
Je me souvins que Nikandrav était célibataire.
— Ça ferait un miracle de le marier! Il vit en vieux garçon... A des types comme ça, je leur collerai des procès verbaux. Les allocations qu’il paye, c’est pour rire...
La mère Bronia posa sur un tabouret une vaste cuvette pleine d’eau fraîche: Va, lave-toi, après la route... Gomme la première fois, j’étais un peu surpris: il fallait prendre l’eau à pleines mains et se la jeter au visage. Ensuite, la mère Bronia fit du thé et m’invita à table. Elle ne pouvait rester en place; elle s’asseyait, buvait une gorgée de thé, se levait, allait du réchaud à la table, tapant fort sur le plancher avec ses bottes, me versait du thé, ou s’en versait, à elle, me racontait les nouvelles du village: qui s’était marié
dans l’intervalle du temps, qui avait eu des enfants. Ça ne l’inquiétait pas si de tout le village je ne connaissais que le président du kolkhoze et trois ou quatre personnes.
J’écoutais la mère Bronia, en la dévisageant, sans qu’elle s’en aperçût, elle avait maigri et pâli. Les rides autour de la bouche s’étaient creusées davantage, ses cheveux, qu’on voyait de-dessous son foulard blanc avaient blanchi un peu plus. La mère Bronia vieillissait.
Et pendant ce temps, elle continuait:
— C’est fini, nos femmes n’accouchent plus... Il va y avoir la guerre, les gens ont peur... Oh! après guerre, là, ça allait... Les gens retrouvaient leur foyer... Des gosses, y en avait, des nichées...
Le visage de la mère Bronia parut rajeuni, comme réchauffé par une flamme venue de l’intérieur. Elle fixait son regard de mon côté mais sans me voir, sans rien voir. Ses yeux étaient beaux, d’un marron clair, passé, comme l’eau de pluie coulant du toit de chaume dans la cuve à lessive, l’eau dans laquelle se reflètent les rayons du soleil. Tout à coup son regard se voila, son visage se crispa. Elle le cacha dans ses mains, puis se leva de table, marcha vers son réchaud et longtemps, sans raison, s’occupa de sa bouilloire. Elle se retourna ensuite et je revis son visage, rude et sage à la fois. Elle paraissait calme.
Seulement, quand elle voulut allumer une cigarette, elle cassa deux allumettes.
— Viens, je vais te montrer ton lit...
Dehors il y avait des éclairs. A chaque lueur bleue il faisait tellement clair qu’on aurait pu ramasser des aiguilles dans la chambre de droite. La lumière bleue des éclairs envahissait aussi le corridor et faisait mal aux yeux. La mère Bronia poussa à droite une porte vitrée...
— Tiens, celui-là... Elle me montra un lit près de la porte. S’il fait chaud, laisse la porte ouverte.
Elle s’en alla, traînant ses bottes sur le plancher.
Lechemin que j’avais fait pour venir ici m’avait fatigué. La fatigue et les pensées ne permettaient pas de m’endormir. Et voilà que tout d’abord je pensais à la mère Bronia. Son brusque changement d’humeur avait été pour moi quelque chose de nouveau.
J’écoutais le bruit de la pluie tomber dehors. Il me semblait qu’on chargeait des pierres dans un camion. Le bruit qu’elles faisaient en tombant était d’abord sourd, puis il devenait plus fort, comme si les pierres venaient frapper le plancher... Voilà qu’on avait mis des tôles sous les pierres avant de les faire tomber. La dernière pierre, une énorme, sans doute, fit un tel bruit que les vitres faillirent éclater. Ce fut comme un signal, la pluie tomba drue, serrée, comme si on versait du sable. Les éclairs ne finissaient pas de jaillir.
Je restai couché sans dormir, réfléchissant, pour ne rien oublier, à ce que je devais dire au président le lendemain matin; parce qu’après, en faisant l’article, tu t’aperçois que tu n’as pas assez de faits, de détails. Et il est trop tard...
Je m’endormis au bruit régulier de la pluie.
Combien je dormis, je ne pouvais le dire. La pluie avait dû cesser depuis longtemps et j’avais dû m’habituer au calme de la nuit, parce que je fus réveillé par un nouveau bruit. Quelqu’un tapait dur à la porte d’entrée.
— Maman Bronia! Eh! maman Bronia! La voix bégayait un peu, ou de peur, ou d’émotion. Une voix de garçon.
— Eh, toi! Un peu moins fort! lui lança l’infirmière. Il y a des gens fatigués par la route qui
dorment... Elle devait être sur le perron et avait fermé la porte. Les paroles étaient devenues plus sourdes, mais distinctes encore.
— Ma femme est en train d’accoucher!
— Toutes les femmes, mon cher Fedzia, doivent accoucher.
— Mais Aliona Piatrovna n’est pas là! Il paraît qu'elle est partie chez le chef d’équipe à Padliptsy...
— Je le sais. Toi qui est chauffeur, tu sais ce que tu as à faire. Attelle ta voiture et file chercher Aliona Piatrovna... Elle peut s’en aller d’un moment à l’autre... Moi, je vais aller chercher ta Ghoura toute seule, c’est pas loin...
On entendit des pas sur le perron, puis ce fut le silence.
Je me retournai dans mon lit. Il n’était plus question de sommeil. Je m’habillai, marchai un peu dans la chambre. Je passai ensuite dans la cuisine, je branchai le réchaud électrique, la bouilloire était encore chaude. Je sortis dans la cour...
Le ciel s’était déjà un peu débarrassé des nuages, des étoiles se montraient par-ci, par-là. L’air était frais et humide. Une forte odeur de giroflées, se répandait dans l’air. Les feuilles des arbres effarouchées tremblaient de temps en temps, secouées par des coups de vent. Les vieux tilleuls dans le jardin d’à côté soupiraient un peu plus fort... Les chiens, réveillés par l’orage, aboyaient...
Mon émotion ne faisait que grandir. Peut-être, étais-je inquiet pour Choura que je ne connaissais pas? Où était Fedzia? Est-ce qu’il était parti à Padliptsy? Et des idées saugrenues envahirent ma tête: et si Fedzia n’arrivait pas à mettre son camion en marche?
Du côté de la rue on entendit, marcher rapidement. Des gémissements se mêlaient au bruit des pas. Je courus dans la rue.
— Mais va donc te coucher! me dit l'infirmière, me repoussant du coude. Ses bottes résonnèrent sur les blocs de ciment du sentier. Choura marchait soutenue, presque portée par l’infirmière.
— Et moi qui croyais, mon petit, qu’il n’était pas encore temps... Et puis, dieu merci... Fiokla, la femme d’Aless Niékrache, c’est la même chose... deux semaines avant, terme. Et quel gars vigoureux, elle a ou!
Enfin le camion arriva, faisant jaillir l’eau des flaques. L’une des portières s’ouvrit, Fedzia dégringola et marcha de mon côté, en boitant. Aliona Piatrovna sauta lestement de la cabine du camion. Je la reconnus tout de suite. J’avais fait sa connaissance lors de ma première mission au kolkhoze. Ses pas menus résonnèrent sur le perron. Elle tenait la tête un peu penchée sur l’épaule, cela lui donnait une certaine grâce féminine, très délicate.
Fedzia m’adressa la parole, surpris, je sursautai. Le jeune homme, je ne savais pas pourquoi, ne portait qu’un pantalon et un maillot de corps, au pied, il n’avait qu’une seule botte, il tenait l’autre à la main.
Je souris. Je lui montrai le banc sous la fenêtre .
— On pourrait s’asseoir.
Fedzia se dirigea vers le banc. Assis, il s’empressa d’allumer une cigarette. Je lui demandai une cigarette quoique je ne fume pas.
— Tu as des cors? lui dis-je, en regardant son pied nu.
— Quoi? répliqua le garçon sans comprendre. — Et la botte? Pourquoi tu la tiens à la main? — Laquelle? Ah! celle-là... Tonnerre... J’ai
complètement oublié! Tu comprends, quand ça a commencé, avec ma femme, moi, j’enfile mes bottes. J’en mets une. L’autre, rien à faire. Je tâte avec la main, un marteau y est coincé. C’est peut être mon petit frère qui a fait le coup. J’essaye de le retirer, rien à faire, alors, je suis parti avec une botte dans la main...
Fedzia fourra la main dans la botte et... facilement, en retira le marteau.
— Ah, ça alors! Tonnerre...! Il glissa le marteau sous sa ceinture et se chaussa.
Nous fumions comme des locomotives: les moustiques, réveillés, commençaient à nous attaquer.
— Vous ne croyez pas qu’elle va mourir? me demanda Fedzia, me regardant dans les yeux.
— Mais qu’est-ce que tu dis! Aujourd’hui on en meurt pas, lui dis-je avec autorité.
— Oh! elle est tellement timide... Et puis, c’est la première fois!
De la maison on entendit une voix aiguë. Fedzia me regarda, les yeux écarquillés; en coup de vent, il sauta du banc. Il bondit sur le perron, s’élança dans le corridor. Mais tout à coup la voix tonnante de la mère Bronia se fit entendre. Fedzia eut tout juste le temps de dégringoler les marches du perron.
Je le fis asseoir de nouveau. De ma veste je couvris les épaules maigres du garçon. Je ne savais pourquoi, j’avais envie de rire, j’étais complètement tranquille. Je me taisais. Stupéfait, Fedzia se taisait aussi.
Enfin, Aliona Piatrovna sortit, son manteau jeté sur les épaules. Ses talons résonnèrent gaîment sur les marches du perron. Elle lança en direction du chauffeur:
— Mes félicitations, une fille... Allez, en route! Fedzia était père... Vous vous rendez compte, il
y a une minute j’avais à côté de moi Fedzia, un jeune garçon très jeune encore, aux cheveux blonds, et, tout à coup, le voila père, c’était comme s’il avait gagné plusieurs rangs.
Je crois que tous les pères perdent la raison les premières minutes. C’est pourquoi Fedzia me jeta mon veston sur la tête, en criant:
— Une fille! une fille!
De la cabine de son camion Fedzia me cria:
— On retourne à Padliptsy! On va chercher la femme du chef d’équipe...
Me voilà de nouveau seul. La mère Bronia, affairée, faisait la navette entre la maternité et sa cuisine. Dehors, elle tira de l’eau fraîche du puits, remplit la bouilloire qu’elle posa sur le réchaud. Et ce n’est qu’après qu’elle m’accorda une minute.
— Il a une belle fille, trois kilos trois cents.