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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    — Non je ne sais pas, mon petit fiston, je ne sais pas, lui répondit-il et la joie l’envahit: il avait reconnu son grand-père, reconnu tout de suite.
    — Naturellement, d’où est-ce que tu le saurais. J’ai un camion. Jénik plongea sous son lit et en sortit un camion avec une benne bleue de contre­plaqué et une cabine rouge.
    — Oh! Ça, c’est un camion! On peut aller n’im­porte où avec ça, apprécia-t-il et reprit sur le même ton de secret de Jénik.
    — Et toi, sais-tu, ce que je t’ai apporté?
    — Non, je ne sais pas.
    Le grand-père sortit de la poche de sa pelisse un petit écureuil argenté, il le défroissa. On aurait dit qu’il était vivant, cet écureuil: de petites oreilles écartées, terminées par des pinceaux noirs tendus, des yeux en grains noirs brillants, une petite queue touffue formant une courbe. Jé-
    nik serra l’écureuil contre sa poitrine et courut vers sa mère.
    — Maman, maman, regarde ce que j’ai...
    Peu de temps après, Jénik remuait déjà sur les genoux de son grand-père et le tiraillait par la barbe:
    — Grand-père, me recoudras-tu mes bottes? La neige y entre par les trous, et je n’arrive pas à lier mes patins aux bottes de feutre.
    — Mais bien sûr, que je les recoudrai. Attends, on prendra le déjeuner d’abord.
    Et ce fut agréable pour Miron de penser que Jénik savait que son grand-père faisait des bottes... On en avait parlé, on s’en sou­venait...
    Piatrok rentra et apporta une bouteille embuée. Ils se mirent à table. Des crêpes de pommes de terre râpées, du lard, une écuolle de miel. «Tiens, tu n’as pas oublié que j’aimais les crêpes de pommes de terre au miel», pensa Miron à son fils et on lisait un sourire dans ses yeux glauques. Quand la bouteille était presque vide, et Miron sentit la chaleur pénétrer son corps, il cligna de l’oeil à Piatrok et fit un signe du côté de Jénik, montrant ses oreilles. Miron faisait allusion à ce que le petit-fils avait les oreilles aussi grandes que celles du grand-père.
    Piatrok se mit à rire.
    — Et alors. On reconnaît la souche des Bouloïtchyk: deux oreilles comme des radars. Que le petit apprenne à porter son bonnet, au moins. Quand il met le bonnet sur sa tête, il rabat les oreilles. Elles vont pendre comme celles d’un chien.
    — Je ne suis pas un chien, riposta Jénik. Le grand-père me fera mes bottes aujourd’hui et j’y lierai mes patins.
    — Rien ne t’arriveras si tu mets tes bottes de
    foutre. Ton grand-père vient d’entrer et tu lui donnes déjà du travail.
    — C’est toi qui les a achetées et maintenant «rien ne t’arrivera»... Il ne fallait pas les acheter, s’interposa Ania.
    — Ah, mais qu’est-ce que vous dites, fit Miron. Voilà, je sors de table et je vais voir ce qu’elles ont, tes bottes. Il y est resté quelque chose, de mes outils?
    — Et comment! Tout est gardé. En haut, dans le coffre. Et la machine est dans l’entrée, sous la couverture. Le fils se tut, et, regardant gaiement son père:— Raconte-nous, père, qu’est-ce que tu as fait toutes ces années, as-tu trouvé ce que tu étais allé chercher, en quittant Slaboda?
    — J’avais tout, mon fils. J’avais faim et j’étais rassasié. Ses yeux clairs devinrent ternes. J’ai voulu être libre. J’ai cru qu’une fois la maison quittée, j’oublieraistout.Tu sais,nous vivions avec ta mère, ces dernières années, comme chien et chat. Une vie sèche, sans douceur. Et je suis parti. D’abord, c’était comme je le voulais, libre, tran­quille, personne ne se moque de toi, personne no te scie le dos. On est maître de soi. Et après... Après... Tu sais, un homme est libre, s’il n’a rien sur la conscience. Et si tu te ronges le coeur, quel­le est cette liberté? Là, où j’étais, la forêt, les prés, tout était comme chez nous, comme ici, c’est ça, notre Biélorussie, mais le printemps arrive, et tu erres comme une âme en peine. Tu sors à l’aube dans la forêt et tu vois que ce bois de bouleaux est le nôtre. Et je me souviens: toi, tu dormais encore, alors que le coucou chantait déjà. On entendait son chant, et il n’était plus convenable de garder le lit, on avait grande envie de se lever. Sorti dehors, tu entends le rossignol, la grive, l’étourneau. Des champignons plein le bois. Tu fais le tour d’un buisson, et voilà, ta corbeille
    est à demi-pleine. J’ai vécu, j’ai regardé tout ça, et j’ai eu l’idée de revenir. Le lièvre revient tou­jours à son gîte...
    Après le déjeuner, Piatrok mit le tracteur en marche et partit: on l’avait prié d’amener une remorque de bois de la forêt. Miron trouva ses outils et les rangea: des tranchets usés, un pied, un marteau, une râpe, des formes grandes et peti­tes. Il en trouva des petites, pour les bottes de Jénik. Il travailla presque jusqu’au dîner, se courbant sur un petit escabeau, silencieux, calme, s’adonnant à ses réflexions profondes. Et il les refit, les bottes de Jénik. Après le dîner, il mit sa pelisse et sortit.
    Il dégelait, le ciel gris de schiste pesait bas. Le sentier, au milieu de la rue, devint plus large et Miron le prit pour aller au village, là, où il avait passé le matin. Ses pas se perdaient parmi d’au­tres.
    Tout Slaboda savait déjà que Miron était rentré, mais il ne rencontra personne dans la rue, et il en fut content. Il entra dans la cour d’Aliona et fut long à nettoyer ses bottes de feutre avant de franchir le seuil de la maison.
    Aliona était assise près de la fenêtre, elle tri­cotait un chandail. Elle oublia d’abaisser ses aiguilles et regarda longtemps et sans comprendre, comme si elle le reconnaissait, sans le reconnaître. Dans son regard, Miron y lisait de l’étonnement, de la joie et encore quelque chose de cher qui tenait au temps de jadis. 11 lui semblait qu’il était depuis longtemps l’hôte de cette maison et qu’il venait de sortir, pour y apporter du bois, ou de l’eau, et qu’il venait de rentrer.
    — Je t’ai bien dit que tu avais eu tort de t’en­fuir, dit Miron ce qu’il avait dit autrefois et tâ­cha de rire. Le rire ne sortit pas de sa bouche, les paroles furent prononcées trop bas.
    — Rien ne te changera, Mironka, je crois, ré­pondit Aliona, et son visage s’enflamma, rougit. Et qu’est-ce que tu fais là, près du seuil? N’y a-t-il pas sur quoi t’asseoir?
    ... Quelque temps après, une petite fumée grise se dégagea de la cheminée de la maison d’Aliona. On sentait que c’était du bois sec qui brillait.
    La nuit il neigea, la neige, couvrit légèrement la route et la nivela. Et il semblait de nouveau que tout Slaboda était inondé de bleu et aucune trace n’avait troublé cette neige vierge.
    Et ce n’est que le matin, quand il fit jour, que l’on pouvait voir une lonque traînée de pas, sem­blable à un sapin: talons joints, pointes séparées, conduisant de la maison d’Aliona vers le puits et revenant vers la maison.
    Il n’y avait qu’un seul homme à Slaboda qui marchait de cette manière.
    1969.
    Pavel
    M issko
    ooo
    LA MERE BRONIA
    Le camion qui m’avait emmené disparut derrière les aUées bordées d’arbres, laissant un nuage de poussière. Je retirai mon imperméable, secouai la poussière, le jetai sur mon bras et me dirigeai vers une maison, blanchie à la chaux, à l’extré­mité du village. Je pensai y passer la nuit.
    La nuit commençait à tomber. Au loin, à l’Ouest il tonnait; des éclairs jaillissaient de derrière de gros nuages.
    Tout en marchant, je pensai à cette maison, blan­chie à la chaux, une acquisition toute nouvelle du kolhoze, je pensai à la mère Bronia qui y était infirmière et économe à la fois. Elle pouvait être à cette heure dans sa petite cuisine, collée à la maison, occupée à chauffer sur un réchaud élec­trique une grande bouilloire émaillée, au cas où on en aurait besoin. Elle en était sans doute à sa dixième tasse de thé et elle fumait, bien sûr. Et tout en fumant, elle ne cessait de penser: on va, peut-être, enfin, m’amener quelqu’un? Et plus d’une fois elle s’était dit avec amertume:
    — Vous vous rendez compte! Un bâtiment pa­reil, vide! Oh! Si j’étais un peu plus jeune!
    Nous nous connaissions depuis longtemps, la mère Bronia et moi. Plus d’une fois j’y passai la nuit, dans cette maternité. Pas dans la maternité même, évidemment, mais dans une petite construc­tion à côté, réservée aux personnes de passage. La première fois j’y fus emmené par le président du kolhkoze, Nikandrav, un petit gros aux joues rouges,qui ne pouvait pas s’arrêter de rire, me voy­ant embarrassé et confus.
    Et c’est vrai, on peut tout voir lorsqu’on part en mission, on doit s’attendre à n’importe quel incident.
    La mère Bronia, lors de ma première arrivée, était en train de laver le perron, en blouse blanche, un tablier noir par-dessus. Elle me montra du coude un banc sous la fenêtre et me cria:
    — Assieds-toi un peu!
    Quand elle eut terminé son travail, elle me dit tout court:
    — Entre. Tu fumes?
    Je fis non de la tête. Du haut du perron elle me mesura du regard, comme si elle voulait se rendre compte si c’était bien un homme qu’elle avait devant elle.
    Ensuite elle me fit boire du thé, tout en me ra­contant les potins du village. Sa voix était rauque, une voix d’homme. Elle avait de grosses mains, des mains d’homme. Pour fouiller dans ses poches de-dessous le tablier noir où il y avait des allumettes et des cigarettes, elle le rabattait sur le côté, comme ferait un soldat avec le pan da sa capote.
    Et aujourd’hui aussi, m’approchant, je regar­dai dans la cour de la maternité, je constatai avec plaisir qu’il y avait eu des changements. L’étroit sentier, jusqu’au perron, était recouvert de blocs en ciment qu’on avait posés sur du sable jaune. De chaque côté, il y avait une palissade,
    très basse, si basse qu’une poule aurait pu sauter facilement; de derrière la palissade on voyait des pensées bleues, violettes, jaunes. On y avait plan­té aussi de jeunes peupliers qu’on avait attachés à des pieux pour les soutenir avec des liens de paille.
    La mère Bronia, me voyant arriver, ne s’éton­na du tout. On aurait pu penser qu’il y avait une heure que je l’avais quittée. Elle m’ouvrit tout simplement la porte et, du perron, elle me deman­da:
    — Te voilà de nouveau? A la tombée de la nuit...
    — Une mission urgente de la rédaction. Il faut que je retrouve le président demain matin debonne heure avant qu’il ne s’en aille aux champs.