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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    — Regarde, fiston, l’héritage qu’on vient de faire! En échange de notre Grisou j’ai reçu cette Grisette, dit mon père sans attendre ma ques­tion.
    — Comment? Quel échange? Je n’arrivais pas à comprendre.
    — Des soldats sont passés il n’y a pas long­temps. Ils m’ont demandé si j’avais un cheval. J’ai dit que j’en avais un, mais qu’il avait peur des voitures. Ils se sont mis à rire en disant qu’il prendrait l’haditude... Alors j’ai sorti Grisou. 11 y a un qui l’a regardé. Il a retiré la selle de cette bique et a tout de suite ensellé le nôtre. Il a remercié et puis il est parti. Je me suis dit: «Tu vas en avoir, du fil à retordre, avec ce cheval, comme moi pen­dant quinze ans».
    La jument grise était chétive, maigre à faire peur. La selle lui avait laissé des plaies sur le dos, des plaies qui commençaient à suppurer. A part cela , elle était blessée à l’épaule gauche. On sentait quelque chose de d ur, un éclat, peut-être, ou une balle. Elle avait des numéros gravés sur ses sa­bots.
    Elle avait dû en recevoir un rude coup sur le crâne: inutile d’essayer de la faire marcher, elle ne comprenait ni hue, ni dia, comme si elle ne voyait rien et n’avait peur de personne. C’était peut-être vrai, qu’elle ne comprenait pas notre langue?
    — Regarde, comme elle a les dents courtes. Et des gencives énormes. Elle a trois ans... pas plus, essayait de m’expliquer mon père, avec une note d’ironie dans la voix.
    Je n’y voyais rien de risible. Du cheval, il n’en restait que la peau et les os, à peine une poignée d’os.
    — Tu parles d’un cheval! Un squelette.
    — Tu es drôle, toi. Tu ne t’y connais pas dans les chevaux. Le principal, c’est d’avoir un bon squelette. La viande, elle poussera dessus. Tu verras, dans deux mois, tu ne la reconnaîtras plus. Regarde-moi ce ventre. L’autre, le Grisou, l’avait de collé au dos. Et toi, tu dis...
    Une semaine après, les plaies du dos de la ju­ment se fermèrent, il ne restait que de grosses croûtes, juste sur l’échine.
    Mon père la sortit dans la cour, l’attacha à un piquet près du puits. Ensuite, il prit un rasoir et commença à tâter l’épaule de l’animal, là, où il y avait la blessure. Il fit une entaille. La jument ne bougea même pas, malgré le sang qui se mit à goutter de la blessure. Mon père pressa un bon coup de chaque côté de l’entaille, quelque chose jaillit et tomba par terre.
    Maintenant, c’était moi, qui donnait des ex­plications:
    — C’est une balle de mitraillette allemande. Les nôtres sont d’un calibre plus petit, la balle est plus courte. Regardez, elle a dû frapper quel­que chose en fer. Elle a touché la jument, en fai­sant un ricochet.
    — Tiens, c’est comme si tu avais tout vu? s’étonna mon père.
    Bientôt la plaie se ferma. Les croûtes du dos disparurent. La jument grossit, elle sembla avoir retrouvé sa bonne humeur, ses yeux, autrefois tris­tes et immobiles, se mirent à briller.
    Un mois après le départ de Grisou, mon père partit aussi. J’avais un problème difficile à ré­soudre, il fallait apprendre la jument à tirer la charrue. Le licou de Grisou lui alla très bien. Et puis, elle était de la même taille, peut être, un peu plus courte, mais rondelette, plus large de croupe, aussi vive que lui. Même le poil était pres­que pareil, un peu plus clair par endroits. Et c’était vrai, comme le disait mon père, le vieux Grisou avait été remplacé par une jeune Grisette. C’était, d’ailleurs, le nom qu’elle avait reçu et qu’elle connaissait. Mais comment allait-elle mar­cher dans le sillon?
    Et là, j’eus du fil à retordre! L’animal était buté. 11 ne me restait parfois qu’à al pousser des mains. Elle ne comprenait, peut-être pas ce qu’on voulait d’elle.
    J’étais en train de butter les pommes de terre. Le buttoir était plus facile à tirer que la charrue, mais la jument ne voulait rien savoir et elle tournait souvent la tête pour voir qu’est-ce qui la retenait. Elle s’arrêtait et rien à faire pour la remettre en marche. Et puis, elle ne pouvait pas s’habituer à suivre la ligne du sillon, d’un bout à l’autre. Quand il fallait tourner, je devais la
    tirer de toutes mes forces. Elle s’emmêlait sou­vent dans les harnais et les rênes. Mais ce qui était bien, c’est qu’elle ne ruait pas, ne mordait pas, les enfants pouvaient même tourner autour.
    Fatigué, je priais souvent ma soeur de m’aider un peu. Alors elle prenait la jument par la bride et la faisait marcher dans le sillon.
    Les premières leçons avaient été difficiles, mais après la jument s’habitua et travailla com­me un vieux cheval.
    Nous gardâmes la jument assez longtemps, jus­qu’à notre entrée au kolkhoze. Mon père ne s’ar­rêtait pas de lui faire des compliments, d’autant plus qu’elle n’avait pas peur des voitures. C’était un animal d’une nouvelle ère, d’une nouvelle gé­nération. Grisou, par rapport à la jument, était un sauvage.
    Au kolkhoze, Grisette eut un poulain qui pous­sa, trait pour trait pareil à sa mère. La lignée des Grisou continuait!
    1974
    Ivan Tchygrynav
    ooo
    LE SIMPLET
    DE LA RUE DES POTIERS
    A Zaloujjé on me dit: «Mais Dzèmidzionak est parti. Il a quitté le bourg».
    Où donc était parti Dzèmidzionak?..
    J’étais, peut-être, le seul à bien connaître cet homme.
    Il arriva au bourg quelque chose comme trois ans après la guerre. Il logea chez la vieille Dakoulikha qui vivait seule, il lui payait son loyer, il touchait une pension, ça faisait à la vieille un peu d’argent. Mais bientôt, la vieille refusa l’argent que lui donnait son locataire.
    Quand je rencontrai Dzèmidzionak, il habitait déjà la rue des Potiers, il y était connu depuis longtemps.
    Ce dimanche-là, j’étais dans la cour occupé à regarder voler les abeilles autour des ruchers de mon oncle.
    J’entendis tout à coup des voix, l’une d’elle disait:
    — Voilà Dzèmidzionak!
    Je me retournai et je vis un petit vieux que je ne connaissais pas, qui marchait au milieu de la
    rue tenant une cage à la main. Il était petit de taille, un peu voûté, avec une petite barbiche blan­che, des cheveux aussi blancs que la barbiche s’échappaient de dessous un chapeau de paille. L’inconnu portait une chemise de satin à col boulonné sur le côté, une chemise qui avait vu le temps et perdue sa couleur, serrée à la taille par une ceinture terminée par des glands; on voyait ça et là des pièces sur son pantalon. Il marchait à petits pas rapides, comme s’il avait peur d’être en retard. Il trottinait sans presque plier les ge­noux, cela l’obligeait à pencher en avant son corps grêle.
    Les cris se firent entendre de nouveau:
    — Dzèmidzionak!.. Dzèmidzionak!..
    Des enfants sortirent dans la rue en courant. Ils se tenaient à une distance respectable du petit vieux, se pressaient derrière. Le petit vieux sui­vait la rue sans faire attention aux gosses. Cela me rappela que moi aussi, comme eux, nus pieds, avec les gamins de mon âge, plus d’une fois nous avions emboîté le pas du simplet du village qu’on appelait Tsimka. Tsimka demeurait tout au bout de la rue du village, une rue très longue, cela ne nous empêchait pas de le suivre. Quelque chose de semblable se passait aujourd’hui.
    «Cruelle enfance», me dis-je.
    Je questionnais ma mère le soir, lorsqu’elle rentrait la vache à l’étable.
    — Ma, Dzèmidzionak, c’est qui?
    — Comment ça, qui?.. Dzèmidzionak... hé bien... c’est Dzèmidzionak? 11 habite chez la mère Dakoulikha.
    Je compris qu’elle n’était pas disposée à me répondre, malgré cela, elle me demanda:
    — Quoi? Il y avait des gosses qui couraient après?
    Je fis signe de la tête que oui.
    — Los vauriens! Ils méritent une bonne cor­rection, ces voyous!
    Elle soupira et s’affaira à ses tresses. Puis elle ajouta:
    — Dzèmidzionak ne ressemble pas à tout le monde. C’est vrai, il est, peut-être, un peu bi­zarre, mais il n’est pas méchant .
    Ma mère n’avait pas 1' intention de parler, je sentis qu’elle se préoccupait beaucoup plus à ce que son fils pensât juste de l’homme, mais elle continua:
    — Il est arrivé un de ces printemps et depuis il vit chez la mère Dakoulikha. Qui il est et d’où il vient, ça ne regarde personne et personne ne le sait. Après la guerre, il y en a beaucoup qui sont restés sans logis. Beaucoup en ont souffert, de la guerre. Chacun a son chagrin. Lui aussi, peutêtre, a eu son abri de détruit. Alors il est venu ha­biter ici, finir le reste de ses jours. Ça va encore qu’il ait une pension. Je crois d’ailleurs que ça avait d’abord attiré la Dakoulikha...
    Ma mère se tut. Elle avait quelque chose à faire dans l’entrée c’est pourquoi elle sortit...
    — Et le vieux c’est montré habile... Je parle du vieux Dzèmidzionak, me dit-elle lorsqu’elle re­vint. Je disais donc, que la vieille Dakoulikha le prit d’abord comme locataire. Il y a des jours, il tournait autour de la maison à cogner par ci, à clouer par là, ou bien il jardinait sur le petit bout de terre. La cour était toujours propre et devant la maison la rue aussi. Des fois, j’allais voir la vieille, Dzèmidzionak était toujours aimable. C’est vrai, il parlait pas beaucoup. Il avait l’air renfrogné et se taisait tout le temps. Comme s’il avait la bouche cachetée. Et comme ça du jour au lendemain... Bon, ça, c’est rien... Des gens comme ça qui parlent pas, il y en a beaucoup dans le monde, peut-être plus que des bavards... Je disais
    donc qu’un jour, il a besoin, je ne sais pourquoi, d’aller au marché, le dimanche. Il y avait jamais été et voilà que ce dimanche il y va. Il avait, peut-être, besoin d’acheter quelque chose pour lui ou pour la Dakoulikha. A partir de ce jour, il a changé, comme si ou avait mis un autre homme à sa place. Et tout ça à cause des oiseaux. Je sais pas qui que c’est qu’a eu l’idée de vendre des oiseaux, sur ce marché, j’en avais jamais vu avant. Oui, il y a du lait, des oeufs, mais des oiseaux?! Vendre des oiseaux!.. On avait jamais vu ça. C’est qu’il les achète, les oiseaux. Après, il y allait souvent, au marché. S’il voit un oiseau, il l’achète tout de suite. Alors aux autres, c’est comme il ne manquait plus que ça. Et les voilà partis à attraper et à vendre des oiseaux. Quelle honte! Lui les achetait et leur donnait la liberté quelque part, personne ne sait où. Pendant ce temps là, tu penses que les gens faisaient marcher leur langue: