Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Il faisait assez clair dans l’enclos, même lorsque la porte était fermée, la lumière pénétrait par de nombreuses fentes.
Je posai mon boisseau avec les oeufs, je m’approchai de la cloison qui séparait l’enclos et j’y grimpai. J’eus à peine le temps de passer ma main dans l’auge du cheval que l’animal leva la tête, faisant saillir ses dents, il me saisit par l’épaule, et, d’une secousse rapide, me jeta sous ses sabots. J’entendis craquer ma jaquette de bure, une douleur atroce me traversa l’épaule. Ma jaquette fut recousue par ma mère, à l’épaule je portai longtemps le bleu énorme laissé par les dents de cheval.
La troisième fois je fus le martyre non plus du cheval lui-même, mais à cause de lui. Ma mère, ma petite soeur et moi, nous revenions de
chez notre grand-mère. L’été je restais chez elle pour garder la vache, après cela il fallait rentrer pour retourner à l’école.
Nous nous arrêtâmes près du marché à Liakhavitchi, un petit village. Ma mère jeta une housse sur le dos du cheval, car il faisait chaud et puis, l’animal avait peur des mouches et des taons pas moins que des voitures, aussi il lui arrivait parfois de se coucher dans les brancards. Donc, nous nous arrêtâmes sur le bord de la rue, derrière une charrette. Ma mère me remit les rênes et me dit:
— Attendez-moi un peu. Le temps de passer au magasin pour acheter un hareng et des brioches pour vous. Et surtout, fais attention à Nina, fit ma mère d’un ton de reproche.
Dès que ma mère se fut éloignée, j’attachai les rênes à un des brancards, je sautai de la charrette et je fis descendre ma petite soeur. Nous n’allâmes nulle part, nous restâmes là, sur le pavé, à regarder les gens qui passaient, préoccupés par les nombreux soucis de la vie quotidienne. Le temps passait et nous étions ennuyés d’attendre. Je voulus remonter sur la charrette et ce fut là que tout à coup le malheur arriva. Deux garçons juifs poussaient sur le pavé une voiture à bras chargée de bouteilles vides. La voiture sautait sur les pavés, les bouteilles faisaient un bruit du diable, un bruit si fort que notre Grisou prit peur. Il tira d’abord sur les brancards, puis recula subitement, la charrette était prête à se retourner. On entendit un bruit de roues et en une seconde le cheval disparut au milieu de la foule et des charrettes.
Que faire? Ma petite soeur, effrayée, se mit à pleurer, voyant ses larmes, j’étais prêt à pleurer aussi. Je la pris par la main et nous partîmes du côté où avait disparu l’animal. C’était justement un jour de foire, et la place, au centre du bourg,
était encombrée. Nous voilà donc partis, allant d’une charrette à l’autre à la recherche de notre Grisou, interrogeant les gens. Personne n’avait rien vu. Nous fîmes ainsi trois fois le tour du marché, puis, tout à coup, nous aperçûmes notre cheval qui mâchait tranquillement du foin à côté d’un autre animal. Et ce fut alors que je compris pourquoi je ne l’avais pas aperçu; il était couvert de la housse! De joie nous ne savions que faire, nous oubliâmes même notre mère.
Un bonhomme à moustache nous demanda avec méfiance:
— C’est bien votre cheval? Et où est le propriétaire?
— Il est à nous, lui répondis-je, il s’est enfui. Nous sommes avec notre mère. Elle est entrée dans le magasin. Il y a des garçons qui passaient avec une voiture et des bouteilles, le cheval a eu peur...
— Et où est-ce que vous vous êtes arrêtés?
— Làbas, lui montrai-je du doigt, près de l’église.
Le bonhomme nous fit remonter sur la charrette, puis s’en alla. Nous voilà donc assis à attendre. Nous attendions notre mère, comme si elle savait où nous étions.
Ma petite soeur se remit à pleurer:
— Où est maman?.. Maman, où elle est?..
— Elle va venir, ne pleure pas. Je n’eus même pas l’idée qu’elle pouvait ne pas nous trouver. J’étais sûr qu’elle savait où nous étions.
Et c’est vrai, la voilà qui arrive avec le bonhomme à la moustache. Nous nous élançons à sa rencontre. Les larmes aux yeux, elle nous embrasse à tour de rôle et puis, son visage, se fait sévère, elle se met à crier:
— Et c’est comme ça que tu as gardé le cheval, hein?
Et elle m’envoie une gifle en pleurant. Nous pleurons tous les deux.
— Mais faut pas, fit doucement le bonhomme à la moustache qui avait amené ma mère. C’est pas de sa faute. Qu’est-ce que ti veux, le gamin est encore petit. Et puis ça va, i! a retrouvé le cheval. Laisse-le tranquille.
Je regarde le bonhomme avec reconnaissance sans prononcer une parole. J’essuie mes larmes.
Ma mère se calme, et, souriante, l’air un peu confus, elle dit:
— Oui, je vois bien maintenant qu’il n’y est pour rien. J’ai tellement eu peur. J’en ai mal au coeur. J’arrive à la place où nous étions, personne! Où les chercher? Qui aurait pu croire que le cheval se serait enfui? Je vous remercie de m’avoir aidée...
Ma mère brida le cheval et nous partîmes à la maison.
II
Nous avions changé de village, nous vivions chez ma grand-mère. Mais nous revenions encore assez souvent au vieux nid.
Je me souviens que ce jour-là mon père ne se sentait pas trop bien, il avait mal au ventre. Son ventre lui faisait souvent mal, il avait «fait un effort», comme disaient les guérisseuses du pays. Mais il n’y avait rien à faire, il fallait y aller, à Vadzitsina. Nous partîmes de bonne heure, parce qu’il était difficile d’aller et revenir le même jour: cinquante verstes pour un cheval, avec une charrette chargée, c’était un bon bout de route. Le plus souvent nous revenions avec du bois, parce que près du village où nous habitions il n’y avait pas de forêts et le bois de chauffage coûtait assez cher.
Quelque part, près de Patapavitchi, pas loin de Liakhavitchi, un camion arrivait à notre rencontre. Mon père tira sur les rênes, le cheval se cabra, commença à s’agiter. Au volant du camion il y avait un mauvais plaisantin, car, arrivé à la hauteur de notre charrette, il donna un coup de klaxon. L’animal effrayé se cabra de nouveau, prit son élan et tira sur son licou, encore un peu et nous étions renversés. De peur le pauvre ne sentait plus le mors qui lui déchirait la bouche. Puis, se tenant sur ses pattes de derrière, l’animal passa sa croupe sous le brancard, et je ne me souvins pas comment je me re trouvai par terre. Mon père était couché à côté de moi. Le cheval s’était retourné, l’arc de la limonière le serrait à la gorge, il s’ébrouait, de la bave lui coulait de sa bouche ouverte.
Mon père sauta à terre et se mit à le rouer de coups de pied au ventre. Ensuite, il le détela, et, avec l’arc de la limonière, commença à lui asséner des coups sur les côtés, le dos, partout. Je le regardai faire, les larmes aux yeux, le pauvre animal était prêt à sortir de sa peau. J’en avais pitié, mais je savais qu’il n’y avait rien à faire, mon père devait faire passer sa colère. Furieux, il était effrayant et alors il valait mieux le laisser faire.
C’est ainsi que mon père essayait défaire passer la peur à son cheval. Mais il ne pouvait rien y faire: l’animal était fidèle à sa nature et il était rare qu’une rencontre avec une voiture finisse bien.
A vrai dire, on ne pouvait pas accuser la bête d’être sotte, non, au contraire, il me semblait que le cheval comprenait tout, comme les hommes, sauf qu’il ne pouvait parler. Dans la forêt, avec une charrette, il valait son pesant d’or. Jamais il ne s’était accroché à un arbre ou à un tronc, il n’avait pas de pareils pour passer les endroits
marécageux, il ne fallait pas le presser, il tirait la charrette d’un seul trait jusqu’à ce que la terre soit sèche. Et plus la charrette était chargée, plus il tirait fort sur le licou, plus il pressait le pas. Il lui arrivait d’être fatigué, alors il s’arrêtait un moment, puis reprenait sa course, comme s’il savait que personne d’autre ne ferait son travail. L’hiver, attelé au traîneau, jamais il ne fallait le presser, il marchait au galop tout le temps. Tout en sueur, il se couvrait de givre, devenait blanc.
Qu’il était rusé! Comme un renard! S’il quittait la maison, il ne fallait pas bâiller aux corneilles, il avait vite fait de tourner sur un chemin, comme s’il savait que plus le chemin était petit, plus il finirait vite. Mais alors, s’il rentrait à la maison, venant même de très loin, par une route inconnue, on pouvait dormir tranquille dans la charrette, il ne se trompait jamais, contournait tous les obstacles, marchait avec une telle ardeur que c’était un plaisir de le voir.
Il y avait une chose qu’il n’aimait pas, c’était de marcher derrière d’autres charrettes. Il les dépassait toujours et marchait le premier.
11 n’aimait pas également être monté, surtout par les gosses, il tournait la tête et essayait de saisir le cavalier par le pied pour le tirer de dessus son dos. C’est pourquoi, il fallait bien tenir les rênes en mains.
Une fois, c’était au début du printemps, l’eau n’avait pas encore quitté les prés, mon père m’avait envoyé chez des amis chercher un peigne à laine. Il fallait faire trois verstes en contournant les prés, alors qu’à cheval, en coupant au court, il n’y avait que dix minutes de marche.
Mon père fit sortir le cheval, m aida à grimper sur son dos, parce que je n’étais pas encore de taille à pouvoir monter tout seul. L’eau couvrait les prés, elle coulait joyeusement de partout,
rappelant que le printemps était proche. Le cheval entra dans l’eau, renifla, but longtemps, comme s’il la savourait, ensuite il claqua des dents en laissant tomber de fines gouttelettes d’argent. Puis, sans raison, il se mit à battre l’eau avec son sabot de devant éclaboussant son ventre, mes pieds. Je ne savais que faire, je n’osai pas le pousser et le laissai s’amuser un peu. La seule chose dont j’avais peur, c’est que l’idée lui vienne de se coucher dans l’eau. Avec lui on pouvait s’attendre à tout. Mais non, le jeu commençait à l’ennuyer, il soupira profondément et se mit en marche.
En revenant je m’attendais à ce que le cheval recommençât ses caprices, mais la bête traversa les prés, comme s’il n’y avait pas eu d’eau.
Une autre fois nous rentrions du bois de Staryna, c’est ainsi que s’appelait la forêt à sept ou huit kilomètres de chez nous. C’était l’hiver, du temps de l’occupation. On en avait fait un bon traîneau parce qu’à la maison il n’y avait pas un morceau de bois. Avant d’arriver à Yajavitchy il fallait gravir une pente raide, ensuite il y avait une descente rapide, et juste devant les maisons le chemin tournait brusquement et passait derrière les granges du village. Là, il suivait un vieux lit de rivière, ce qui le rendait cahoteux. Pour monter le chemin le cheval tirait de toutes ses forces, mon père et moi, nous suivions le traîneau. Par endroits, le traîneau s’enfonçait dans la neige que le vent avait apportée des champs et accumulée en monticules jaunâtres.