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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Pourtant, mon voisin de palier appelait Lia­vonka le plus souvent par un nom latin: cercopithecus fuliginosus.C’était un savant, mon voisin.
    — Fuliginosus que tu es! et il ajoutait: quel perfide singe!
    Pour perfide, il l’était... On se moquait de lui, et alors, le singe, en guise de réponse, tournait son pouce près du front. Si on lui faisait mal, il sautait à mon cou, quand je rentrais et il me mur­murait à l’oreille quelque chose de terrible. «Mouchard», disait mon voisin.
    Liavonka avait essayé d’embêter Toupe avec ses lâchetés, mais celui-ci perdit patience et pous­sa un grognement si fort que le singe sauta sur l’armoire et, tremblant, y passa presqu’une heure. Et le lendemain, je vis une idylle: Leanide Yuliévitch, mon singe, assis sur l’ours, cherchait dans son poil, avec un air flatteur, bien qu’il n’eût rien à y chercher.
    C’est toujours comme ça, avec ces insolents. Tu vocifères contre eux, et ils sont prêts à te lé­cher les bottes. Tout se passa de la meilleure fa­çon. Et j’étais content que la bête fut sauvée, qu’el­le se trouvait bien ici.
    Et au début de mai on avait réglé cette affaire du «bien» avec la direction de la réserve et j’em­menai Toupe dans la réserve et je l'y laissai. Pour qu’il vive en liberté.
    Un an après, un homme passa me voir. L’hom­me avait été «non loin de la réserve». Un de ces hommes, pas bons, en général, qui aiment le plus vous transmettre la rumeur et les potins qui vous concernent et qui vous sont désagréables.
    Il me dit qu’on avait tué Toupe. D’abord, il aurait rencontré un garçon de neuf ans et une fil­lette de cinq ans qui cueillaient des framboises. Le garçon se conduisit «en héros»; il s’enfuit, en laissant sa soeur avec l’ours. Et quand il revint avec les adultes, on vit l’ours et la fillette jouer ensemble. Et l’ours même voulait s’en aller, mais la fillette se cramponnait à lui et riait. Bien qu’il eût pu échapper à une dizaine d’hommes, il ne s’ impatientait pas.
    On connaissait très bien Toupe cette fois-ci.Mais bientôt, un conflit «international» avait lieu. Il rencontra une délégation étrangère et décida de se promener non avec une enfant, mais avec une femme qu’on libéra après en état d’une crise profonde.
    Je m’imaginai cette scène de «libération» de cette femme. Les ours meurent souvent comme les hommes, ils gémissent et serrent leurs pattes con­tre la blessure. Ils rongent la terre. Et ils meurent sur cette terre sans comprendre le sens de ce qui se passe. Qui le sait mieux que moi, chasseur, fils et petit-fils du chasseur? Et à cause de cela, j’aurais détruit avec plaisir toutes ces réserves de chasse, ces économies de chasse basées sur les lacs peuplés de canards, où l’animal est seul con­tre des hommes armés. Je reconnais la chasse pour telle, si elle est un combat régulier. Et que pou­
    vons nous dire do ces animaux que nous rendons esclaves, que nous apprivoisons avec de l’amour et que nous tuons après rien que parce qu’ils nous aiment et nous recherchent.
    C’était pour moi comme si j’avais conduit moimême mon ami dans la cellule des condamnés.
    Pourquoi n’avais-je pas eu la possibilité d’éle­ver celui-ci, comme l’autre, mon premier? Où aurais-je pu l’élever? Parmi les bâtiments de pier­re où on l’avait amené de force?
    A vrai dire, après, j’entendis une version tout à fait autre. C’était l'opérateur avec lequel nous avions baigné Toupe. Je lui parlai de ce que j’avais entendu et il me dit que c’était des bê­tises, que Toupe était vivant. Mais je n’osai pas y croire. L’opérateur savait très bien mes senti­ments à l’égard de l’ours, et, en homme sincère et plein de tact, il aurait menti.
    Mais parfois, je rêve un jeune ours qui va dans la forêt, qui remue des troncs. Des feuilles rouges et dorés tombent sur lui. Et un blanc patriarche sort à sa rencontre. C’est mon premier ours. Ils s’installent près d’une fourmilière et nous nous installons à côté d’eux: mon père, le vieux Marka, et moi, parfois garçon, pafois l’adulte d’aujourd’­hui. Les ours, eux, ils plongent leurs pattes dans la fourmilière, nous, nous tenons des bâtons secs. Et nous sommes tous vivants, autour de la table, et les feuilles tombent sur nous.
    Oui, j’ai eu des ours.
    Et c’est pourquoi il m’est toujours plus dif­ficile de priver les animaux de leur liberté, la seule chose pour laquelle existe tout ce qui vit sur Terre.
    1970
    M ikhass Straltsov
    ooo
    UN SOUVENIR D’AUTOMNE
    Cet automnc-là,je l’avais passé à la campa gne. On était en septembre. Les journées étaient chaudes, calmes, pleines d’une lumière transpa­rente et douce. La faiblesse et la langueur semblai­ent flotter dans l’air, elles se faisaient sentir partout: dans le scintillement à peine perceptible de la brume déjà fraîche, dans les chaumes soli­taires qui semblaient se chauffer mollement au soleil.
    Toute la journée on entendait dans la rue le grincement des charrettes: on rentrait les récol­tes d’avoine et de sarrasin. La batteuse ronflait près de la grange du kolhoze. Pendant les minutes de repos les jeunes filles du village chantaient:
    Voila que l’automne froid arrive.
    Et tombent les feuilles du bouleau.
    Cette chanson, je l’entendais presque tous les jours, lorsque je chargeais sur des camions, avec d’autres gars, la tourbe sèche de l’été, nous étions venus de la ville faire des réserves de combusti­bles pour l'hiver.
    Nous étions logés et nourris au village. La maî­tresse de la maison où j’étais logé était une
    femme, vive et agile, malgré sa cinquantaine. Cha­que matin, je me réveillais au bruit de sa voix. Allant et venant dans la maison, la vieille ré­veillait son fils, un gars un peu bizarre.
    — Mikita! Eh, Mikita! forçait-elle la voix. Paresseux! Faut-il te tirer par les pieds?
    Mikita se tournait du côté du mur, en marmon­nant quelque chose.
    — Tu fais le malade...Tu te vautres dans ton lit, ronchonnait la mère Aouguinia... Tu vas encore retrouver tes pigeons... Tu vas voir, je vais la jeter dehors, cette saleté...
    — Essaye... c’est pas toi qui les a apportés... répliquait Mikita d’une voix pâteuse.
    — Oh! Que le... se mettait en colère la vieille. Déjà vingt ans et encore gamin...
    Mikita passait tout son temps près du pigeon­nier, lorsqu’il avait la chance de rester à la mai­son. D’une caisse en guise de cage, il laissait les pigeons voler sur le toit, se couchait dans l’her­be près de la palissade et restait là, sans détacher son regard des oiseaux. Son menu visage se dé­tendait, ses lèvres souriaient légèrement, alors que ses yeux, attentifs, suivaient chaque mouve­ment de derrière de longs cils. Si à cet instant je n’étais pas trop loin, Mikita, sans tourner la tête, m’appelait:
    — Viens voir comment les pigeons s’embras­sent. T’as jamais vu?
    Je me couchais dans l'herbe à ses côtés et je regardais le jeu des oiseaux. Une colombe blanche, mélancolique, roucoulait doucement, deux mâles tournaient autour. L’un d’eux, au plumage bleu, à l’allure fière, marchait, bombant la poitrine; l’autre, un peu plus petit, lui sautait dessus et se sauvait aussitôt.
    Et chaque fois que le malingre attaquait, Mi­kita s’amusait comme un enfant.
    — Allez! Vas-y! criait-il, frappant la terre des mains. Regarde-la, la garce, elle est belle comme une fille de la ville. Dis donc, demanda-t-il tout à coup, dis-moi, pourquoi vos filles sont bel­les, hein? Les nôtres sont moches...
    — Mais non! fis-je étonné. C’est parce que les vôtres... tu en as l’habitude.
    — T’as peutêtre raison, approuva Mikita, et, après avoir réfléchi, ajouta: regarde voir Ganka... Elle est encore plus belle que les filles de la ville.
    — Ganka? Elle est d’ici?
    — Comment! Tu l’as pas vue?... Elle vient souvent chez nous... aider ma mère.
    — Vous êtes parents?
    Mikita, avant de me répondre, me jeta un coup d’oeil, et, je ne sais pourquoi, se mit à rire. Je compris qu’aucun degré de parenté ne les liait, et je ne pensai pas à en savoir davantage. Mais Mikita se mit à parler tout seul:
    — Ma mère veut me marier à Ganka. Elle ne cesse de me rabâcher que je suis bête, que j’ai peur de l’approcher. Et puis, c’est vrai, elle me fait peur, j’peux pas. H y a que quand je bois un coup et que je vais la reconduire...
    — Et alors?
    — Ah! Je ne sais pas... Il y en a tellement qui ont couru après, sans succès. «Deux-sept» s’est usé les jambes...
    — Quel «Deux-sept»?
    — Tu ne le connais pas? C’est notre chauffeur. Les filles lui ont collé ce sobriquet. Deux mois avec sa première femme, sept avec la deuxième... Et puis après, il y a eu Jenka Bokhan, celui qui fait ses études quelque part en ville pour être forestier. Celui-là, il est dégoûtant: il est comme une fille, il se colle toutes sortes de pommades, et puis, il se compte les cheveux, tous les jours, com­bien qu’il en tombe...
    Je vis Ganka le lendemain, dans la soirée, lors­que je revins du travail. Les propriétaires de la maison n’étaient pas là. Je me souvins que la veil­le encore, Mikita avait l’intention d’aller au vil­lage voisin, acheter du tabac, du gros. La vieille était partie en ville, vendre des pommes.
    Dans la maison, les mouches, épuisées par la chaleur et l’odeur suave des tomates qui jaunis­saient sur les appuis des fenêtres, bruissaient, à moitié endormies. Près du four, il y avait des pots, on avait oublié des pommes de terre dedans. Le balai traînait sur des ordures près du seuil. La mère Aouguinia avait en ce moment un travail fou et elle n’avait pas le temps de faire attention à ces menus détails, troublant l’ordre dans la maison. «Le principal, c’est d’être en bonne santé et d’avoir le ventre plein», disait-elle. A la mai­son, la mère Aouguinia portait une capote, lui­sante de crasse, marchait nus pieds, dans des chaussettes trouées aux talons.
    Ce jour-là, nous avions chargé beaucoup de ca­mions, et je me sentais un peu fatigué. Je m’assis près de la table, j’allumai une cigarette, froissée, à demi vide de tabac, et je me mis à regarder par la fenêtre. Derrière la palissade, il y avait un ver­ger, calme et songeur. Les feuilles, jaunes déjà, brillaient sous le reflet des rayons froids du soleil déjà bas. Les fruits, qui pendaient par grap­pes, baignaient dans une lumière lisse et cireuse. Le verger semblait s’éteindre dans la langueur d’une fin de journée de fête.