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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Il se tut de nouveau. Nous reparlâmes de ce sujet après la guerre; devenu plus âgé, je suis passé par les dangers, j’ai connu le prix de la vie, j’ai compris beaucoup de choses. Mon père était un homme bon. 11 avait beaucoup de sagesse concernant la nature des choses.
    Mais nous en parlerons plus tard. Revenons à nos ours.
    Cet été-là, quand j’allais avec Marka dans la forêt, je prenais Bouryk avec moi le plus souvent possible. D’abord, l’ourson craignait la forêt, il se serrait contre mes jambes, mais peu à peu il s’y habitua. Parfois il pouvait même disparaître, et, quand on l’appelait, il accourait vite, en se dandinant et agitant son lourd derrière.
    Et Marka, exprès, devant l’ourson, soulevait et rejetait des pierres et de vieux troncs sous les­quels il ramassait des vers, qui essayaient de se creuser dans le sol, et des larves, et il en donnait à Bouryk. Ce dernier clappait de plaisir, mais ne pouvait deviner ce qu’il devait faire lui-même pour
    en avoir. Et grande était notre joie quand il avait essayé ponr la première fois de renverser un vieux tronc, pas trop gros. A ce temps-là, Bou­ryk était bien nourri et assez fort.
    — Nous l’avons gâté, me dit Marka. 11 faut le corriger, si nous le pouvons. Que la forêt ne lui fasse pas de mal, quand nous le laisserons partir.
    Une fois je surpris Bouryk en train de déni­cher des tétras. 11 mit un oeuf dans sa gueule com­me un jouet et l’écrasa par mégarde. On ne pou­vait pas décrire son museau à ce moment-là. On y lisait l’abord un grand étonnement: où est donc ce jouet? Et ensuite, une compréhension inat­tendue, il comprit que c’était de la nourriture, une bonne nourriture.
    — Dourov, disait mon père, en faisant allu­sion à Marka, Gaguenbek, le cirque de Cinizelli.
    Et, en réalité, Marka faisait preuve d’une gran­de patience. Une fois, par exemple, il baigna l’ours dans la Vodra, et, ensuite, il l’attira avec du sucre vers une fourmilière. Il mit le sucre au sommet du cône. Bouryk le toucha d’abord avec sa patte, et, ensuite, il y fourra son museau. Après, il battit en retraite et commença à frotter son museau avec ses pattes et à les lécher. Le sucre, mêlé à la salive, coulait sur scs pattes et son ven­tre. Il le léchait avec les fourmis. Marka avait répété l’opération plusieurs fois. Et voilà une fois que Bouryk s’était calmé tout à coup dans les fourrés. Marka m’appela tout bas.
    L’ourson, assis près d’une fourmilière, mouillait sa patte de salive et la plongeait dans la pyramide. Il y tenait sa patte et la léchait ensuite. 11 n’a­vait plus besoin de sucre.
    — Tiens, ce polisson, il a bien compris! s’étone na Marka. Ce n’est pas sans raison qu’on dit queles ours sont des hommes qui se sont enfuis dans
    la forêt pour ne pas travailler pour le bien d’aut­rui... Pour ne pas être surveillés. Et toi, Siarojka, tu ne serais pas, par hasard, plus long qu’un ours à apprendre?
    — Comment?
    Le vieux cassa deux branches de noisetier et les écorça.
    — Et voilà. Mais ne choisis pas d’arbre amer comme l’aune ou le tremble. Et maintenant, mouille-la de salive.
    Il mouilla sa branche, et, s’étant accroupi près de la fourmilière, en face de l’ours, il mit sa bran­che sur le cône.
    — Mets la tienne.
    Des fourmis couvrirent la branche. Marka at­tendit une minute et nettoya sa branche, pleine de fourmis et d’aiguilles de pin, et commença à sucer sa branche, comme s’il jouait de la flûte.
    Je fis la même chose. Un goût aigrelet et agré­able fit disparaître toute la salive. Je n’avais plus soif.
    — Alors, Siarojka? La bière de fourmis, estelle bonne?
    On n’entendait que Bouryk croustiller. Ainsi, nous étions trois près de la fourmilière, deux hom­mes et un ours, et nous nous permettions le luxe de nous régaler.
    ...Il fut inutile d’habituer l'ours à la framboi­se. Sa manière de la manger était très intéressan­te: il l’arrachait avec les feuilles, mettait le tout dans sa gueulle, mâchait, en fermant les yeux de plaisir, et, ensuite, il crachait les feuilles.
    Ainsi passa l’été. L’automne arriva. C’était la saison des glands et de l’airelle. Le toit de la maison redevint argentin, Bouryk devint apa­thique, somnolent et ne voulait plus se promener avec moi. Juste derrière notre maison un sapin
    avait été déraciné, mais nous n’avions jamais eu le temps de le scier. Par la suite, mon père interdit de toucher au sapin, parce que le trou sous les racines était plein de feuilles mortes, et, une fois il avait vu Bouryk se mettre dans le trou et piétiner les feuilles. Alors mon père me dit d’y apporter chaque jour, mes leçons finies, deux sacs de feuilles mortes et d’en remplir le trou.
    Les pluies d’automne mouillèrent les feuilles, qui, par la suite, gelèrent, elles étaient dures et sonnaient comme du verre. Bouryk disparais­sait de plus en plus souvent. D’abord, pour la journée, ensuite, il ne rentrait pas même la nuit. Mon père me dit qu’il cherchait des herbes et des racines et, peut-être même, des tue-mouches gelés, remède nécessaire pour se débarrasser de ses puces, s’il en avait, autrement, il serait dévoré pendant son sommeil. Mon père ajouta que ceci avait le nom d’instinct, la mémoire des ancêtres, parce que personne ne le lui avait appris.
    Ensuite, l’ourson s’était caché pour un jour dans sa tanière, mais il en sortit, parce qu’il avait fait plus chaud. Un peu plus tard, il s’y cacha pour trois jours de suite. Un jour, quand j’étais rentré de l’école, et qu’il avait neigé pour la première fois, je ne vis pas l’ours, et mon père me dit que pendant la nuit Bouryk s’était ca­ché définitivement et qu’il ne fallait le déranger sous aucun prétexte.
    Il neigea. La maison, l’écurie, les sapins de la forêt, les meules, les genièvres, tout était couvert de neige. Nous nous levions et nous nous couchions à la lumière des lampes à pétrole. Le soir, le bois dans nos poêles à carreaux crépitait. Le reflet des flammes courait sur les pages de mes livres. Et je regrettais que dehors, non loin, de chez moi, ma bête dormait dans la neige. Je
    savais que l’ours, bien nourri, supporterait l’hi­ver.
    De temps en temps, je prenais les jumelles de mon père et je regardais le monticule blanc du sapin déraciné, un petit trou gris, et un petit cou­rant d’une vapeur légère, presque invisible, sor­tant du trou quand le grand froid piquait dur. Ce courant tenait d’un mirage et mon père me dit que ce mirage avait coûté la vie à beaucoup de chasseurs, parce que quand l’ours sort de sa ta­nière il paraît dans cette vapeur plus haut, et le chasseur doit viser un peu plus bas, autrement, il finira mal.
    — Enfin, ce n’est pas la peine d’y penser.
    Je partageais ses idées.
    . ..Bouryk se réveilla quand il restait peu de neige. Il semblait pelé, ses flancs étaient creusés et son museau aigu ressemblait à celui d’un porc sans race. Je ne le vis pas sortir de sa tanière. Il n’y avait qu’un trou béant qui s’ouvrait à l’Est, comme toujours chez les ours. Mon père me ras­sura que l’ours ne s’enfuirait pas et qu’il était allé tout simplement pour ronger de l’écorce de nerprun ou autre chose qui pourrait chasser le bouchon, parce que ce n’est pas seulement de manger que les ours se privent en hiver.
    Et, en effet, il apparut deux jours après, un peu plus sauvage que'd’habitude, mais pas trop méchant. Nous lui donnâmes du pain, en y met­tant des morceaux de sucre, et il croustilla comme auparavant.
    Maintenant, il disparaissait parfois pour un jour ou pour deux, mais il revenait toujours et mendiait, parce qu’il y avait peu de nourriture dans la forêt. Mais le soleil chauffait de plus en plus fort, l’oseille s’agitait sous les arbres, les fourmis apparurent. La nourriture devint plus abondante, i l mangeait chez nous et dans la forêt.
    Parmi tous les habitués de la maison il m’ai­mait le plus, comme auparavant. Il prit l’ha­bitude même de m’accompagner à l’école. Jus­qu’au bout de la forêt. Il grandit énormément. S’il se levait sur ses pattes de derrière, il était plus haut que moi, et on m’interdit de lutter avec lui, parce qu’il pouvait mal mesurer ses forces au plus fort de la lutte. Mais il m’était toujours agréable de marcher avec lui, en le menant par l’oreille, ou de le renverser et de m’asseoir dessus. Dès ce temps-là, quand je regarde les images du «Livre de la jungle», où Maougly, un petit garçon, parle à Balou, un ours, je revois Bouryk.
    Et, peut être, plus d’une personne, pour se ren­dre compte qu’ils ne dormaient pas, s’étaient pin­cées la main à la vue d’un garçon et d’un ours se baignant dans la Vodra, ou apparaissant ensem­ble sur une pente, l’ours mené par l’oreille.
    Une fois il fit peur aux femmes qui cueillaient des morilles tardives et quelques herbes. Et alors, pour qu’il ne me suivît plus, il fut décidé de l’enchaîner, juste le temps qu’il me fallait pour gagner l’école.
    Et je compris qu’est-ce que cela signifiait que d’être enchaîné. Une fois, quand je partais, je me retournai et je vis ses yeux. 11 se leva, pié­tina sur place, me tendant ses pattes de devant, je vis son gros ventre brun clair. Que Dieu vous garde d’assister à une scène pareille, si vous aimez les animaux et les hommes. C’est moi, qui vous le dis, un homme d’âge, qui avait assez vu la mort des uns et des autres.
    Ce qui allait arriver avait précipité notre sépa­ration. Vingt ans après, j’en parlai à un naturalis­te que je connaissais. Ce dernier me répondit qu’il avait lu quelque chose de pareil quelque part. Peut être, chez Brehm, ou chez M. Khan, vulga­risateur, auteur des «Récits de la vie des singes».
    Brehm ne l’avait pas décrit. Après cette conver­sation je lis Khan et je ne trouvai rien de semblable. Et s’il y avait quelque chose d’analogique, cela ne veut pas dire que les animaux d’une même race font des actes semblables dans une si­tuation semblable.
    Maintenant, quand je partais, Bouryk était couché, la tête sur ses pattes, sans aucune es­pérance. Je me retournais, je le voyais, je voyais notre cour sablée, la poutre qui soutenait le mur d’une grange, à moitié détruite, je voyais ma mère, qui, se tenant sur le perron, versait des grains et appelait scs poules.