Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Poule! Poule! Poule!
Nous avions beaucoup de poules. Voilà qu’un jour elles commencèrent à disparaître. D’abord, nous crûmes que c’était un renard. Mais après la puanteur nous conduisit à un véritable cimetière de poules, derrière la niche du chien. Ensuite, nous réussîmes à voir ce polisson de Bouryk qui s’amusait à ramasser et à jeter du sable. La poule est une des créatures des plus stupides. Les poules s’approchaient , et, en ce moment,l’ours, qui savait très bien la portée de sa chaîne, s’attaquait à l’une d’elles et lui tordait le cou. Ensuite, il l’enterrait derrière la niche. Il n’était pas habitué à la viande. D’ailleurs, les ours préfèrent la viande pourrie et n’en mangent crue et fraîche que dans le cas où ils ont faim.
Il le faisait, lui, qui était nourri comme pas un seul animal dans cette haute futaie de Zaféevski.
— 11 devient féroce, dit mon père, bon gré, mal gré il est temps de nous en débarrasser. Un malheur peut arriver.
...Nous décidâmes de l’emmener vendredi, et ce qui arriva jeudi, les vieux en auraient dit que c’était la main de Dieu, et mon père dit, tout pâle: «On a eu de la chance».
J’étais allé à l’école, et, vingt minutes après, Bouryk réussit à enlever son collier. On ne savait pas si le collier était mal serré, ou si autre chose était arrivée, mais Bouryk tourna longtemps la tête et se libéra. Une fois libre, i l se mit à me poursuivre. Il comprenait, peut être, que c’était sa dernière promenade. Ou pressentait-il quelque chose.
L’extrémité du bois, éclairée par le soleil, était déjà devant moi, quand, tout à coup, je me retournai et je vis le collier blanc à pointe du cou de Bouryk, sortant en avant, et son derrière poilu qui s’agitait, et scs pattes qu’il tendait vers moi d’un mouvement maladroit.
Il accourut vers moi, respira profondément, renifla, grogna. Je décidai que je lui permettrais de m’accompagner pour la dernière fois jusqu’à la pente. Je mis la main sur son cou, et, appuyé légèrement contre lui, je continuai mon chemin. Ainsi, nous étions déjà assez loin de la forêt, quand je vis...
...Je ne savais pas que ce jour-là Bouryk n’était pas seul qui avait retrouvé sa liberté, que Grome, le taureau du sovkhoze, avait perdu l’anneau qu’on lui avait enfilé dans les naseaux. Une vis était tout simplement sortie, et Grome frotta son museau contre l’herbe jusqu’à ce qu’il ne se fût libéré de l’anneau par lequel on retient un taureau. Et le tenant par cet anneau, un enfant de sept ans peut l’emmener n’importe où.
Alik, mon cousin au troisième degré, fils du directeur de l’école, et deux grands garçons poursuivirent la bête affolée. Juste avant Grome avait réussi à jeter au-delà d’une haute haie le vacher qui eut ses cinq côtes cassées. Le vacher ne resta en vie que grâce à ce que le taureau l’avait perdu de vue derrière la haie... Et voilà nos trois jeunes gens à cheval, fouettant leurs chevaux, avai
ent couru après le taureau pendant deux heures jusqu’à ce que le taureau fatigué ne fût entré dans une grange vide. Ils réussirent à fermer toutes les portes. Et mon cousin, grimpé sur une poutre, y attacha une grosse corde et commença à descendre l’autre bout de la corde avec un noeud coulant là, où reniflait, mugissait et fendait l’air avec ses cornes effroyables le taureau, écumant de rage.
Mon cousin avait réussi à attraper le taureau par les cornes et à serrer le noeud coulant, mais la bête, sentant la captivité, s’élança, et la grosse corde se tendit et craqua comme une simple corde de violon. Alik, qui tenait toujours l’autre bout de la corde, se laissa entraîner et tomba de la poutre directement sous les sabots du monstre. Heureusement, le taureau ne comprit pas la situai ion, et, sans faire attention à mon cousin, se précipita et enfonça la vieille porte avec ses cornes, et s’enfuit. Pendant qu’on soulevait Alik, et qu’il reprenait son souffle, pendant, qu’on rattrapait les chevaux, le taureau disparut sans laisser de traces.
— Il faut le tuer! cria le directeur. Car il a le goût du sang!
— Non, répondit mon cousin. Il coûte trop, il est de race pure.
— Et s’il tue quoiqu’un? C’est toi qui en sera responsable? Essaye de lui remettre l’anneau.
— Nous allons l’attraper.
On apporta de nouvelles cordes, et tous les trois continuèrent la chasse...
...quand je vis un monstre rouge de race suisse, grand comme un aurochs, se précipiter sur moi. Il soulevait la poussière, secouait la tête pour se débarrasser du noeud et bondissait en courbant la queue.
Je ne pouvais me cacher nulle part: je m’éloi
gnai de la forêt, et il n’y avait pas un seul buisson ou un trou...
Je n’eus pas peur. Tout se pétrifia en moi. Le taureau s’arrêta: il m’avait remarqué. Scs yeux injectés me regardaient, l’écume suintait sur son museau. Il battait la terre avec ses sabots et se tendait. Ses cornes, pointues et brillantes, comme si elles étaient polies, s’abaissaient vers le sol.
Il s’élança avec un rugissement effroyable.
J’eus le temps de faire un bond de côté. Et puis encore un bond. Et encore. Ce jeu ne pouvait durer longtemps. Mes jambes s’engourdissaient peu à peu. Et quand Grome s’élança pour la quatrième fois, une ombre brune, maladroite, se précipita sur le taureau.
Bouryk assena un coup de patte sur le garrot du monstre et le déchira. Mais ce n’était pas la blessure qui avait fait Grome revenir à soi. Il remarqua, enfin, l’ours, il comprit avec qui il avait affaire, après avoir senti l’odeur animale, haïe, terrible et féroce.
...Quand les cavaliers arrivèrent, Grome battait en retraite, tremblait de haine et de terreur, il reculait, en battant la terre, mais il n’osait plus s’élancer. 11 rugissait et reculait devant l’animal, qui, levé sur ses pattes de derrière, marchait sur lui. On jeta le premier noeud coulant sur les cornes du taureau, avec le second, on le saisit par une patte de derrière, et on l’emmena. Bouryk fermait la marche, comme un convoyeur, et accompagna toute la troupe jusqu’à la forge où un nouvel anneau fut passé dans les naseaux du taureau.
...Ma mère nous permit de nous séparer de Bouryk le dimanche suivant. Pendant les trois jours qui restaient, elle le nourrit comme un porc, et, quand nous le conduisîmes vers le camion du sovkhoze, (c’est le directeur reconnaissant pour
le taureau avait mis à notre disposition un vieux petit camion du sovkhoze), ma mère embrassait le museau de Bouryk en pleurant.
On fit monter l’ours à l’aide des planches. Mon père et moi, nous nous assîmes à côté, Marka s’installa dans la cabine, près du chauffeur. L’ours s’inquiéta, en entendant le bruit du moteur, mais puis, il se calma assez vite. Il regardait de ses petits yeux la forêt qui courait à notre rencontre. L’extrémité brillante de ses naseaux frémissait légèrement: il flairait les odeurs de la forêt. J’avais le coeur gros de me séparer de mon compagnon, mais je comprenais, qu’un jour Bouryk me quitterait pour trouver un compagnon de jeux, digne de lui, je comprenais, que mon ours voulait être parmi ses semblables et qu’il y serait mieux que parmi nous. Il était né pour être libre.
Nous l’amenâmes à cinquante kilomètres, dans un coin perdu, où nous avoins souvent rencontré des ours; nous le fîmes descendre du camion, le caressâmes et nous nous dirigeâmes vers la machine. Il essaya de nous suivre, mais les odeurs de la forêt vierge étaient plus fortes et il préféra s’éloigner. Mon père et Marka le virent nous suivre des yeux. Ils tirèrent quelques coups de fusil en l’air. Alors, l’ours se mit à trotter et bientôt il disparut parmi les arbres.
Le camion s’éloignait. Je pensais à ce que la fraise, la myrtille et la framboise, l’escargot et le gland allaient apparaître. Et que Bouryk saurait s’installer pour l’hiver. Et qu’il se marierait et qu’il aurait des enfants. L’avenir est devant lui, et surtout — la liberté.
...Quelques semaines après les Allemands bombardèrent notre ville. Leurs premières bombes atteignirent la poste, les grands magasins, le théâtre. Les gardes forestiers disaient que tous les animaux se cachaient loin du bruit et des routes
au fond de la forêt. Et la seule faible consolatation que j’éprouvais au milieu de cette douleur humaine c’était de savoir que la bête que j’aimais et qui m’avais sauvé la vie, qu’elle n’irait pas pour sûr vers les routes où explosent les bombes et où on entend le bruit des chars.
La semaine suivante, nous partîmes tous dans la forêt.
Je ne vous parlerai pas de la formation de l’un des premiers détachements de partisans. Je ne vous dirai pas comment je fus agent de liaison. Pour moi, garçon de douze ans, je courais moins le risque que les agents de liaison adultes accomplissant leurs missions. Si, évidemment, on n’est pas pris pendant la mission. Que dire? On en a tant écrit et parlé. Je n’ajouterai que quelques mots.
...En automne quarante-deux, le vieux Marka et moi, nous nous faufilions à travers les forêts. Nous étions vêtus tous les deux de longues grosses chemises, nous avions tous les deux des musettes. Marka qui avait laissé pousser sa barbe ressemblait en réalité à un vieillard et moi, j’étais son guide. Notre «légende», n’était point mauvaise: mes parents avaient péri pendant un bombardement, et Marka, il eut pitié de moi et me prit avec lui.
Toute la forêt était inondée de feuilles qui bruissaient sous les pas, sèches, couleur cerise, de rouille ou rouges. Ces feuilles frémissaient au souffle du vent: elles montaient en l’air et voltigeaient parmi les branches des arbres.
Un jour que nous approchions du ravin en amont de la Vodra (une petite source jaillissait du ravin et se jetait dans la rivière) Marka mit la main sur mon épaule et m’arrêta.
Le ravin était rempli de feuilles. On fait un pas et on s’y noie. Et les arbres y ajoutaient
toujours de l’or et de la rougeur. Et ce bruissement de feuilles nous permit de nous approcher silencieusement tout près...
De l’autre côté du ravin un grand ours brun rejetait un gros vieux tronc, vert de mousse. Je voyais son gros derrière, de grosses pattes d’avant un peu courbées, beaucoup plus grosses que celles d’arrière. Et de là où je me trouvais, je voyais le jeu des muscles sur son grand garrot double.