Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Quand il rejeta le billot, il s’assit et commença à y chercher quelque chose à manger. Et je vis tout à coup un collier de fourrure blanche, avec une petite cravate blanche aussi, en pointe, et une vague de chaleur remplit mon coeur de joie: «C’est, peut être, lui?.. Non, ce n’est pas lui... Mais si, c’est lui!..»
— Bouryk! Mon petit Bouryk! appelai-je tout bas.
Marka me ferma labouche avec sa main. L’ours prêta l’oreille et se mit à agiter son museau et à regarder de tous les côtés. Mais le vent soufflait de son côté, d’autant plus, il ne pouvait pas nous apercevoir: les ours, eux, ils voient mal. Et je me taisais. Alors, il poussa un grognement lancé comme un appel. Ce grognement me parut plaintif et doux, pareil à un ronronnement. Ou, peut être, je voulus y croire?
Nous nous taisions et peu à peu il se calmait . 11 en finit avec ce qu’il avait trouvé sous le tronc, et, sans se presser, se dandinant, il partit dans le fond de la forêt. Un coup de vent fit envoler un nuage de feuilles rouges et or qui tombèrent au fond du ravin. Cela ressembla à une chute d’eau tombant en douceur. Les feuilles semblèrent s’élancer à la poursuite de l'ours, entraînées par le vent. Et puis, tout fut calme.
La guerre était terminée. Il y avait longtemps que j’avais fini mes études à l’Institut des Arts et je travaillais déjà. Et s’il m’arrivait de penser à mon ours, j’étais sûr qu’il était devenu un ours grand et puissant, qu’il était, sans doute, «grand-père» et «arrière-grand-père», patriarche d’une grande famille d’ours. Ou, peut être, dormait-il déjà quelque part d’un sommeil éternel sur une pente ensoleillée, recouverte de branches.
Rien de nouveau ne s’était passé jusqu’à ce qu’on ne m’eût invité à participer à un film intitulé «L’Histoire d’un ours». Le réalisateur croyait qu’il serait intéressant d’inclure dans cette histoire un peintre animalier (quelqu’un lui avait parlé de mon appartement au moment où les créateurs du film se creusaient la tête pour avoir quelques idées) qui aurait adopté un ourson qu’il appela Toupe. Je ne voyais pas de raison pour refuser, et pourquoi ne pas aider mon ami l’opérateur qui demandait mon aide avec insistance. Outre cela, je devais répéter dans le film ce que je faisais dans la vie: dessiner, nourrir les animaux, leur parler. Mes vingt-cinq ans de pratique me l’avaient appris.
C’est là que je fis connaissance avec le jeune Toupe, avec sa soeur et leur doublure, appelée Tapa. On effectuait les prises de vues une fois tous les deux jours. La soeur avait un caractère méchant et querelleur, et quand les prises de vues touchaient à leur fin, on l’emmena dans une réserve et on la laissa partir. Il faut dire qu’elle ne se retourna pas et se dirigea dans la forêt d’une démarche ferme.
Toupe était tout l’opposé de sa soeur et, donc, il était la coqueluche de tout le monde.
On lui permettait de lécher du miel, de s’installer par les journées chaudes dans le réfri
gérateur d’où parvenait ensuite un croustillement: Toupe croquait de la glace. Il agissait à sa guise et on le pardonnait, parce qu’il avait un caractère doux et calme.
Outre cela, il avait l’habitude de courir sur place quand on le gardait en laisse.
Les prises de vues finies, Toupe fut remis à la station de jeunes naturalistes et j’étais très content de ne pas le voir dans une ménagerie. Il y trouvera de vastes salles, un grand parc, les enfants qu’il aimait toujours et auxquels il ne faisait jamais de mal, comme un chien intelligent.
Deux mois après, je vins au studio, et, passant par un grand atelier encombré où on entendait des cris, des cliquetis de fer, des coups de marteau, où roulait une grue et tout était inondé d’une lumière morte, impitoyable, de projecteurs, je vis dans un coin, parmi des objets entassés, une cage étroite et basse, où, sur une couche épaisse de fumier, gisait Toupe, sale, serré de tous côtés.
— Qu’est-ce que c’est donc? Pourquoi est-il ici?
— Ah, me dit mon ami, l’opérateur, canailles. Toupe avait l’habitude d’être caressé et voilà que des voyous s’étaient mis à le harceler. Je le connais, il était patient. Mais ensuite, il en a saisi un. Il l’a pris, tout simplement, dans sa gueule, rien que pour lui faire peur, sans lui faire mal. Mon ami serra les poings. Mais la mère de l’enfant vint, couverte de suif et de bijoux, avec une cervelle de moineau, elle est montée sur ses ergots et n’a cessé de crier: on a fait mal à mon petit! On a été obligé de reprendre l’ours.
— Et pourquoi ne l’a-t-on pas remis dans une réserve?
— Ils ont répondu qu’ils n’avaient pas d’argent pour l’acheter. Nous leur disons: prenez-le
sans payer. Et eux: «Nous nous excusons mais on a besoin de papiers nécessaires pour la comptabilité. Car l’ours est un bien.» Et voilà cette affaire du «bien» traîne déjà depuis un mois. Et la bête en souffre.
Toupe me reconnut. Ses yeux me regardèrent avec une douleur presque humaine et j’eus tout à coup le coeur serré. 11 me semble que ce n’était pas ce petit artiste quadrupède qui souffrait ici, mais l’autre, celui qui m’avait sauvé la vie, fier et libre, même pendant cette guerre maudite, que c’était lui, enfermé maintenant dans la cage, dans le fumier, transformé en un vil esclave.
— Donne-moi la laisse, dis-je à mon ami, en ouvrant la cage.
— Qu’est-cc que tu vas faire?
— Donne-la, diable les emporte. Ils n’ont plus besoin de lui, ils l’ont oublié. Et il était avec nous, sous la pluie, sous la neige. Ici, il crèvera pendant qu’ils... avec leur «bien».
Je le traînai dehors, et lui, réjoui, il se leva et «m’embrassa» à sa manière, en tachant de fumier mon chandail bleu. Il grognait et me léchait le visage. 11 devint grand, presque aussi haut que moi, et moi, je suis loin d’être petit. Il avait une grosse tête, avec une gueule énorme.
Je le fis sortir dans la cour, le roulai dans la neige, pour le nettoyer un peu, et la neige devint noire comme si on y avait épousseté un tapis, et je menai vers la sortie. Le gardien essaya de me retenir, mais il n’insista pas beaucoup, parce que Toupe se leva et grogna, comprenant bien qu’on menaçait de l’enfermer dans sa cage. Le gardien nous laissa passer et se contenta de me crier dans le dos quelque chose de railleur.
Je conduisis Toupe à une station de taxis. Je dus faire pour lui ce que je voulais faire. Au moins, en la mémoire de Bouryk.
— Il restera chez moi jusqu’à ce qu’on ne s’entende avec la réserve.
— Bon, fit mon ami.
Prés d’un petit magasin un des assistants de l’opérateur et un ingénieur du son nous rejoignirent. Ainsi, tous les cinq, nous nous approchâmes de la station de taxis où il n’y avait qu’une seule voiture.
— Nous sommes quatre, dis-je au chauffeur. Il n’y a pas d’infraction. La vue de Toupe lui fit sortir les yeux de la tête.
— Et ça?
— Un petit chien, répondit l’opérateur d’un air innocent. Un tout petit être inoffensif.
Le chauffeur allait déjà partir, mais la curiosité prit le dessus.
— C’est un ami de l’homme, des plus sincères, dis-je. Nul n’ose l’offenser. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il est innocent comme enfant qui naît. Figurez-vous qu’il n’y aucun danger. Je donne trois roubles pour conduire ce petit chien à la rue Mikhaïlov.
— Ah, diable l’emporte, votre argent! se mit en colère le chauffeur. Mcttez-le sur le siège arrière.
Nous posâmes Toupe en bas et en profitâmes pour y mettre nos pieds.
Le chauffeur, la tête entre les épaules, roulait à toute vitesse, en gémissant de temps en temps, content et intrigué. C’est bien que nous vînmes chez moi au crépuscule et qu’il n’y avait pas de curieux dans la cour. Après que nous eûmes traîné Toupe dehors, le chauffeur, autant repris courage, demanda vivement:
— Est-ce qu’on pourrait avoir un petit...
— Dommage, mais c’est pas possible. C’est un chien. Quand il aura trouvé une compagne, peut être...
Le chauffeur rit à gorge déployée et partit brusquement.
...J’avais occupé un appartement au quatrième étage. Nous y traînâmes l’ours, et, tout d’abord, nous lui donnâmes à manger. Je lui fis manger une miche de pain où j’avais versé au préalable une demi-boîte de lait concentré. Et puis, je lui fis boire deux paquets de lait. Pendant ce tempslà, la baignoire se remplit d’eau, et, restés en caleçon de bain, nous le mîmes à l’eau par nos efforts conjugués. Il ne s’était baigné que dans les rivières en été et c’est pourquoi il hurla d’abord comme un pécheur en enfer. Mais peu à peu ses pattes s’y habituèrent: les ours vont dans la neige, leurs plantes sont sans poil, et il se calma.
Nous le savonnâmes quatre fois jusqu’à ce que la quatrième eau ne devînt limpide et l’écume de savon ne fût blanche. Ensuite, je fis preuve de ma largesse et je remplis la baignoire pour la cinquième fois et y versa un flacon de «Badu-San», et il y était couché, heureux, dans une écume déjà verte, et cette écume sentait la forêt, et il rêvait, peut être, de lisières vertes parmi les pins séculaires.
Ensuite, nous l’essuyâmes à sec, le fîmes coucher sur le canapé et nous mîmes dessus une couverture, laissant émerger sa tête. H avait l’air amusant . 11 se mit à ronronner de plaisir comme un enfant.
...Cet autre ours avait vécu chez moi deux mois et demi, et, ma parole d’honneur, c’étaient les meilleurs mois de ma vie. Il grandit, son poil luisant était propre. Il aimait se rouler dans la neige et se baigner. Il dormait près du radiateur, mais parfois, il s’installait à mes pieds, sur le canapé, et, sous aucun prétexte, il ne voulait pas en descendre. Je savais qu’il ne me toucherait jamais, que jamais il ne deviendrait féroce, qu’il
no se servirait jamais do ses griffes d’acier légèrement crochus aux bouts: les animaux se souviennent toujours de la boulé des hommes. Mais qu’estce que je pouvais faire? En été, je quittais toujours la ville et j’allais dessiner, et qui aurait l’oeil sur lui en ville? Alors que le prendre avec moi...
La seule consolation que j’éprouvais, c’est que je lui avais assuré deux mois d’une bonne vie que rien n’avait assombri. Seulement au début, les trois premiers jours, il y eut des incidents avec mon singe surnommé Liavonka, ou plus poliment: Léanide Yuliévitch, on me l'avait apporté en juillet.