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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    — Ah! ne vous en faites pas, dit le garde fo­restier de Roumel. Je connais un truc pour le faire rentrer dans la forêt. Mais si vous le gar­dez, il faut qu’il y reste une année au moins avant qu’il ne devienne plus fort. 11 lui faudra un précepteur. Pas le Précepteur1 qui est fripier en ville, mais précepteur animal qui aide la mè­re à garder une nouvelle portée. De cette année. Autrement, on pourrait lui faire du mal. 11 est en­core si petit.
    — D’accord, consentit mon père. Et dis à Pilipovitch que s’il fait cela avec une ourse encore une fois, je lui...
    J’entendis ces dernières paroles, en rentrant. J’étais parti pendant trois heures dans la forêt. .J’arrivais justement en ski du haut d’une colline vers le perron de notre maison, où s’entretenai­ent mon père et les gardes forestiers.
    — Salut, Siargucï Antonavitch, dit Marka avec son air ironique de toujours.
    — Viens ici, Siaroja, m’invita mon père.
    Il tenait un bonnet usé de lièvre et me montrait quelque chose de vivant qui s’y trouvait.
    — Un petit chien! m’étonnai-je.
    Ce petit chien n’était pas plus grand qu’un moufle, tout petit, clair. Ses yeux étaient par­fois bleus, ou parfois bleus troubles, comme cela
    1 Ici: un nom de famille. ^N. d. T.)
    arrive chez les petits chiens. Et qu’ils étaient bêtes, ces yeux.
    — Quelle est cette race?
    — La race d’ours, me répliqua mon père. C’est un ourson.
    — Si petit? Tu veux rire!
    J’ai vu des ours beaucoup de fois et je ne le croyais pas.
    — Eh, Siargueïka, avec ton esprit... me dit Marka. Et tu habites quand même la forêt. Tu dois savoir que les ours ne mangent pas en hiver. Et c’est le moment où naissent les petits. Pour le lait, ils en ont besoin un dé, et ils ne poussent presque pas en hiver. Autrement, ils auraient tout sucé. Et leur mère serait morte de faim. Mais au prin­temps, quand ils trouvent leur nourriture dans la forêt, ils grandissent bien vite. Ce ne sont pas les hommes qui l’ont inventé, mais la nature qui est d’une sagesse...
    En ce temps-là, je n’avais pas encore entendu parler de la sagesse prétendue extraordinaire des habitants du village de Markavitchi d’un coin perdu delà Biélorussie.Mais cette première leçon de la sagesse de la nature, je l’appris fermement et pour toujours.
    On porta l’ourson dans la maison, et ma mère le prit dans ses mains, et, ayant trempé son doigt dans du lait chaud, elle le lui donna à lécher. Sa petite langue était grise, on y voyait quelques taches rouges.
    Un peu plus tard, Marka rapporta d’une course en ville une poire en caoutchouc orange, et l’affaire alla bon train.
    Peut être, parce que la nourrit ure était en abon­dance, mais l’ourson n’attendit pas le printemps pour commencer à grandir. Il poussa comme un champignon. Bientôt, nous commençâmes à lui donner des oeufsémiet tés, du miel coupé d’eau.
    Dans ce cas-là, il léchait très soigneusement sa soucoupc.
    Il dormait dans un coin de la mezzanine, sur une vieille pelisse, près du poêle à carreaux, mais parfois, dans la nuit, il commençait à gémir, en exprimant sa tristesse, et je le prenais dans mon lit, sous la couverture, bien que mes parents m’aient interdit de le faire. Une fois sur place, il se calmait et commençait à elapper avec plus de douceur. Bientôt le sommeil le prenait, et on n’entendait plus qu’un ronflement régulier. J’avais peur de l’étouffer par hasard en m’endor­mant: il était si petit.
    Le matin, mon père, pour ne pas monter l’esca­lier, frappait au plafond avec une queue de bil­lard; je mettais vite l’ourson à sa place... Le plus souvent il ne se réveillait pas.
    Et moi, après toutes les ablutions du matin, que je n’aimais guère, et le thé de groseille, que j’avalais avec horreur, je prenais mes skis et je faisais cinq kilomètres jusqu’à l’école où j’étais en troisième1. L’ourson restait seul à la maison. Cela me faisait de la peine. Mais je n’osais pas l’emmener avec moi à l’école, en com­prenant d’instinct, que l’ourson n’attirerait pas la sympathie des inst ituteurs.
    Bouryk grandit et alors les rideaux des fe­nêtres disparurent parce qu’il avait l’habitude d’y grimper et de s’y balancer. La nappe sur la table disparut, elle aussi, parce qu’il avait ré­ussi à l’arracher deux fois avec mon encrier et mes cahiers qui s’y trouvaient. Assis sur le plan­cher, comme une personne, i l déchirait soigneu­sement mes cahiers. Il en prenait les couver­tures entre ses dents et il achevait l’opération
    1 Voir note du traducteur page 250 .(N. d. T.)
    avec ses pattes. Je devais alors cacher tous mes cahiers, mon encrier, mes livres, mes souliers. Durant toute une année il m’apprit ainsi à ne point laisser traîner mes objets, et voilà pourquoi, jusqu’aujourd’hui, les femmes de mes amis me citent en exemple, en parlant à leurs maris de ma qualité de tout ranger. Et il me semble que les malédictions de mes amis devaient plutôt être adressées au malheureux ourson qui m’avait don­né cette bonne habitude.
    L’ourson menait un grand train de vie dans la maison. Une fois il pénétra dans le garde-manger, y renversa un pot de miel et fit tomber un sac de farine. Quand on le surprit, le pauvre animal lé­chait cet abominable mélange de farine et de miel, blanc orange, en grognant avec un air affairé. Pour terminer, il se lécha les épaules, son petit ventre nu et rond, un ventre d’enfant. Ensuite, il se coucha sur le dos et essaya de lécher l’hor­rible mélange qui couvrait la plante de ses lar­ges pattes.
    Ma mère poussa un cri, le prit par l’oreille, et le tira dans la cuisine pour le laver dans un baquet. Quoique je sache que mon père ne m’avait jamais battu, j’avais peur qu’il ne prenne son fouet. Il n’a jamais frappé ni son chien, ni son cheval, il n’a jamais touché personne. Il agitait tout sim­plement sa cravache et son cheval lui obéissait et partait au trot.
    — Ne le bats pas, lui dis-je.
    — Et pourquoi le battre? me demanda tran­quillement mon père et m’expliqua: L’ours. Nous l’avons adopté, nous devons le supporter. Le miel, c’est plus fort que lui, plus fort que d’être discipliné. Il a pris l'habit iule de sortir dehors pour ses besoins, mais on ne lui interdira jamais de toucher au miel. C’est la même chose pour tes livrets scolaires. Pas vrai?
    Je rougis parce qu’un jour, je l’avoue, j’avais laissé traîner exprès mon livret sur la table. 11 y avait mon premier «satisfaisant», la note qui cor­respond au «trois» d’aujourd’hui1. Je n’en avais eu aucun profit. Cette petite crapule de Bouryk, comme par un fait exprès, déchira toutes les pages du livret, sauf celle où il y avait cette miséra­ble note.
    J’étais un garçon très sincère, parce qu’on ne m’avait jamais puni outre mesure et on avait toujours exigé que je dise la vérité. Mon père sa­vait bien que je m’en repentais, c’est pourquoi, il changea de sujet pour oublier l’incident avec le livret.
    — Il n’est pas «ours» pour rien2. Le miel est un délice pour lui. 11 sait où le trouver.
    — Et son véritable nom?
    Le père me regarda, un peu étonné.
    — Tiens, tu commences à saisir. Tu cherches à expliquer. C’est bien. Il n’y a que les sots qui ne cherchent pas à comprendre... Leur vie est, peut être, plus facile.Mais cela ne leur apporte pasbeaucoup d’honneur.
    Mon père se t ut.
    — As-tu entendu parler la vieille de Marka? Elle ne dira jamais «ondin», mais elle dira toujours «le vert» ou «le bas mouillé», parce que même s’il a l’air d’un homme, de l’eau s’en suinte toujours. Elle ne dira pas «le diable», mais «le cornu»; «le loup», elle l’appellera «le monsieur gris». Et si les chiens se mettent à aboyer en hiver, elle dira: «les messieurs qui dorment sur la paille se fouillent avec les dents.»
    1 Système de notes scolaires en U. R. S. S.: 1très mal; 2mal; 3satisfaisant; 4bien; 5très bien (N. d. T.)
    2 Miadzviedz (ours) en biélorusse signifie mangeur de miel. (N. d. T.)
    — Pourquoi est-ce qu’elle parle comme ça?
    Elle est superstitieuse. Elle croit que quand on parle du loup, on en voit la queue. Et il y avait un temps quand tout le monde le croyait. C’est pourquoi ils avaient donné à l’ours le nom de mangeur de mieL
    — Et son véritable nom, ils l’ont oublié?
    — Oui, ils l’ont oublié. Et c’est pourquoi son sobriquet est resté. La vieille de Marka au lieu de dire «ours» dit «l’oncle» ou «la grosse patte». Et comment s’appelle la retraite de l’ours?
    — Tanière1.
    — Ou «Bar — Loch», le trou de Bar. Peul être, on l’avait appelé «Bar», comme les Allemands? C’était un nom commun. D’autant plus, que le mot «Bar — Loch» sonne comme dans notre lan­gue. Bârenloch, le trou de l’ours.
    — Je ne veux pas ce mot allemand. Ils sont fascistes.
    Mon père me regarda de nouveau et me dit avec un air sérieux:
    — Eh, Siaroja, Siaroja! Les Allemands ne sont pas tous des fascistes.
    — Et pourquoi donc... m’indignai-je.
    — Je suis en train de penser. Admettons que tu sois né en Allemagne.
    — Et encore! Comment cela aurait pu arri­ver? Je suis né ici!
    — C’est vrai, tu es Biélorusse. Et crois-moi, c’est une patrie à envier. Mais, supposons... qu’un garçon, pas mauvais du tout, y soit né. Et on lui rabat les oreilles, on lui dit que Himmler est un brave homme, et que Hitler est un Dieu. Et tout cela sans répit. On lui dit qu’il
    1 Biarloga signifie en biélorusse tanière de l’ours. D’après certaines sources a pour origine les mots allemands Bar (ours) et Loch (trou). (N. d. T.)
    est unique en son genre, qu’il faut tuer tous les autres garçons parce qu’ils ne connaissent pas les vérités du Führer. Et cela dure des années. Tu as une grande tête, des yeux clairs et des cheveux blonds. Tu seras haut et svelte. Alors, tu dédaigneras, tu haïras le petit-fils de Marka, tout simplement, parce qu’il est un misérable garçon d’une forêt de Palessié, de même que Khonia, fils de Pinia, et Hassan, fils de Mamed, qui habite l'extrémité tatare. Les hommes, comme les ours, ont besoin d’être estimés.
    Mon père se tut un instant et continua:
    — On peut mettre beaucoup de choses dans la tête d’un homme. On peut parfois tout mettre dans la tête d’un homme. Et puis, ce n’est pas le moment d’en discuter. Quand tu seras grand, nous en reparlerons.