Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Le bois était bleu, comme dans la fumée, silencieux et éveillé. La jeune pinède avait jauni, elle semblait sèche, elle aurait pris feu d’une allumette. Dans la pinède Irka vit un vieux bouleau à la cime brisée, couvert de vesses-de-loup. La cime, qu’un éclair avait cassée, pendait; des feuilles jaunes étaient collées aux branches.
Sur le marécage, des deux côtés du pré, il y avait un bois de bouleaux. Blanc, comme s’il était couvert de neige. Loin au-dessus, on voyait les cimes pointues et noires des pins, qui se trouvaient à Lipniki. Dans le bois il y avait de petits pins, bas; leurs cimes ressemblaient à des parasols, comme ceux du fenouil.
Plus Irka s’éloignait, moins elle voyait de bouvreuils avec leur petite poitrine rouge; ils ne voltigeaient plus d’un arbrisseau à l’autre.Mais près des pins, là, où on voyait de l’herbe sèche; parmi les oseraies, il y avait des traces de lièvre. Les lièvres avaient visité le marécage et rongé les bouts de l’herbe sèche; des graines étaient tombées sur la neige.
Sur la rivière, sur la glace qui la recouvrait , un renard était passé; il avait glissé, Irka le vit d’après la trace.
Sur la neige, il y avait des traces de sanglier. Les sangliers s’étaient approchés de la rivière,avaient foulé la neige, et étaient repartis.
Il faisait presque nuit. Irka eut envie de pleurer, de rentrer. Elle s’arrêta et commença à geler. Ses jambes fatiguées fléchissaient, elle voulut s’asseoir, dormir. Quand tout à coup, elle vit les cerfs. Irka les regardait, elle n’en croyait pas ses yeux.
— Mes cerfs... Tsia-la, tsia-la... les appela-telle.
Les cerfs sortirent du taillis qui menait de la Haute Berge à travers le rucher et se dirigèrent vers les Vieux Aunes. Ils n’étaient que trois. Deux petits suivaient leur mère. «Où est, donc, le Cornu?» pensa Irka.
Irka appela le Cornu, puis, elle se mit à poursuivre les cerfs. Ils la virent et s’enfuirent. Elle les appela de nouveau. Elle les revit dans le marécage, ils longeaient la rive. Il sembla à irka qu’ils s’étaient arrêtés et qu’ils l’attendaient; elle oublia qu’elle était tout essoufflée, qu’elle avait mal aux genoux, que le bouton du col la gênait; elle courut, elle courut de toutes ses forces. Près des arbrisseaux, où la neige était profonde, ses skis s’enfoncèrent et les bâtons de skis disparurent dans la neige, elle les prit sous le bras.
Les cerfs couraient l'un derrière l’autre, comme ils le faisaient chaque soir. Ses cerfs. Mais où était, donc, le Cornu? 11 allait sortir, d’une minute à l’autre, pour leur couper le chemin, il les ferait retourner à Biaraizavets, vers la meule. Si, au moins, il apparaissait vite, Irka n’en pouvait plus, elle perdait son souffle.
La nuit arriva d’un seul coup. Les étoiles, tremblantes et vertes, s’allumèrent dans le ciel. Les cerfs ne formaient plus qu’une tache sombre, ils s’arrêtèrent, se confondirent avec les buissons, puis, se séparèrent et coururent, l’un derrière l’autre. Ils ressemblaient alors à des femmes qui
portaient des bottes de foin sur le dos, qui s’arrêtaient, posaient leur botte par terre pour se reposer, puis les ramassaient, en s’aidant, et reprenaient leur marche. Les cerfs reprenaient leur course sur le marécage...
Irka appela les cerfs de nouveau. Elle eut peur de les perdre de vue. Ils allaient s’enfuir, ils allaient s’enfuir dans la forêt Avgoustovski. Le Cornu, ne s’y serait-il pas enfui, en abandonnant les siens? Non, il est bon, il ne se serait pas enfui. Mais qu’est-ce qu’elle allait lui donner à manger?
Il lui semblait parfois que le Cornu courait le premier, qu’il se sauvait. Alors, elle s’arrêtait, et elle appelait fort, elle criait à pleins poumons.
Ils n’étaient que trois et ils étaient tout près d’elle. Elle allait les rattraper. Irka ne voulait que les rattraper. Ensuite, elle saurait les faire revenir à Biaraizavets...
Irka était enrouée et ne pouvait plus crier. Elle sentit un goût amer dans sa bouche. Le ciel devint vert sombre... La voilà déjà aux Vieux Aunes. Mais c’est encore loin de la maison, pensa-t-elle.
Elle ne voyait devant elle rien qu’une femme qui se penchait, ramassait sa botte de foin, et s’éloignait, devenant de plus en plus petite. Puis, sa botte tomba tout à coup et se défit. Les petits cerfs coururent sur le marécage blanc. Qu’ils étaient nombreux! Ils couvrirent tout le marécage... Cornus, gris, avec des taches noires.
Irka sentit quelque chose qui lui serrait la gorge, elle étouffait. Ah! ce maudit bouton de col. Elle laissa tomber ses bâtons de skis et voulut ôter son bonnet pour délier le fichu, mais ses mains ne lui obéissaient pas. Elle sentit battre dans sa poitrine. Cela résonna très fort dans sa tête.
Les cerfs verts couraient dans le champ. Irka tomba sur la neige...
La nuit, quand le premier croissant de lune apparut, son père la trouva dans la neige. Il était venu aux Vieux Aunes, en suivant les traces de ses skis. Irka vivait encore. 11 l’apporta à la maison et la frotta pendant longtemps avec de la neige.
Toute la nuit Irka s’agita, elle délira, appela ses cerfs.
Le matin, à l’aube, Andrey courut au village pour faire venir le docteur. Le docteur constata qu’Irka avait une pneumonie.
1962
Vietchaslav Adamtchyk
ooo
DEBUT D’AUTOMNE
Ils marchaient tous les doux, longeant un sentier, tracé par les larges pneus élastiques des bicyclettes, près des palissades infirmes et desséchées qui s’inclinaient vers la rue. L’été tirait à sa fin. L’automne était proche. Les pommes étaient déjà mûres. C’était la fête du Sauveur: les cloches d’une église blanchie à la chaux, située sur une colline au milieu du bourg, et que Ton voyait d’ici, de son extrémité, déversaient leur joyeux carillon. Derrière l’église, au bout d’une allée sombre, se cachait le magasin du district, blanchi, lui aussi. Les deux hommes se dirigeaient vers le magasin: il y avait du monde par là.
Devant l’église, sur la place, passaient, en sautant sur le pavé, avec un petit bruit sourd, des Java rouges à sidecar; le soleil se reflétait dans le pare-brise au rythme de la machine.
Devant eux, il y avait une rue déserte et calme. Des dahlias rouges fleurissaient sous des fenêtres aveugles.
Ils marchaient tous les deux: le père, un homme de haute taille, portant un complet brun au
pantalon large, on n’en porte plus de pareils, et le fils, un adolescent aux épaules pointues, maigre comme un insecte. Il portait une casquette décolorée, à visière cassée, et des souliers grands, beaucoup plus grands que ses pieds, des souliers à bouts usés, par le football, peut-être.
Des femmes avec des fichus blancs, leur couvrant bas le front, les mains croisées sur le ventre, à la démarche ferme et lourde, sortirent d’une cour et les suivirent des yeux. Elles savaient tout, ces femmes. Depuis hier soir encore, quand cet adolescent était allé à la maison la plus lointaine, chez Ivan Khodas. Derrière la maison, on voyait un cimetière juif, sans mur autour, aux tombes croulantes, c’était l’extrémité du bourg.
...Il y avait de la brume, une lumière jaune pâle filtrait à travers les fenêtres inconnues, derrière de calmes lilas.
On soupait dans la maison. Un chou fraîchement haché, arrosé d’huile, sentait amer et blessait la vue. Une vapeur humide montait en colonne et disparaissait ensuite au-dessus d’un plat de pommes de terre jaunes. Une petite fillette de deux ans, brune, au cou blanc, mince, agitait un morceau de lard, en essayant de disperser la vapeur. Le lard faisait luire son petit visage rond.
Khodas était assis très bas sur un escabeau, son large dos tourné du côté de la porte, il ne le regarda même pas entrer. La maîtresse de la maison, ronde de partout, avec une robe longue au bas inégal, pieds nus, ferma la porte derrière le garçon, cessa de mâcher et lui demanda:
— Tu cherches quelqu’un?
Ses cheveux roux réunis en un chignon serré quelque part sur la nuque brillaient d’un or jaune et chaud, et le garçon avait éprouvé de la pitié
pour sa mère qui était moins belle que cette femme, qui avait un visage ridé, maigre, une bouche fine et qui avait été belle, elle aussi, sur la photo, avec un soldat aux cheveux plats et lisses, comme s’ils venaient d’être mouillés.
Le large dos se retourna et le garçon vit un visage, qui n’était pas d’ailleurs basané, comme sur la photo, mais plutôt bleuâtre, grand et vif, avec une fossette au-dessus de la racine du nez, comme si quelqu’un y avait posé un objet aigu.
Et maman avait dit: Il est bon, ton père...
— A qui es-tu? demanda l’homme, qui était son père, maintenant en civil: chemise grise, avec, sur la poitrine, une tache de mazout, que l’on ne pouvait évidemment plus enlever.
— A Aksiénia... le garçon se découvrit, se souvenant des .recommandations que lui avait données sa mère, hier soir, en lui chauffant de l’eau près du foyer du four, dans le reflet rouge du feu.
La toile cirée brillait sur la table. Khodas s’essuya les mains avec le bout de la toile cirée et les posa sur les genoux.
— Tu ferais mieux de prendre une serviette, lui dit sa femme, elle s’approcha maladroitement des seaux, au-dessus desquels pendait une serviette fraîche, qui venait d’être repassée. Elle leva le bras pour prendre la serviette, un bras rond et blanc par endroits, qui resta tendue en l’air. Son mari baissait la tête sans rien voir.
— Quelle Aksiénia?
— Mais Piétrouchkova, bien sûr, le garçon tourna lentement la tête, comme cherchant un appui des yeux.
La main de Khodas glissa lentement le long de sa jambe. Il fouilla dans sa poche. Il fuma, fronça les sourcils, avala une bouffée de tabac:
— Elle est de Moladava, c’est ça?
— Ouai.
Tout à coup la petite, fille laissa échapper sa fourchette qui fil du bruit en tombant sous la table.
— Mais c’est là que tu as servi dans l’armée, se réjouit on ne sait de quoi sa femme, en s’installant sur le banc près de la table et en prenant son enfant sur ses genoux.
Khodas se leva en titubant, sa tête touchait presque le plafond.
— Mais qui es-tu venu voir?