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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Elle aurait voulu y aller en bateau, là, où se trouvait Palik. Mais non. Elle ne voulait pas aller en bateau, elle voulait marcher, jour et nuit, à travers la forêt. Elle y irait un jour, avec son père.
    jUn chemin do sable conduisait vers la Hante Berge par le rucher. Sur le chemin, on voyait les traces des camions de l’entreprise forestière: la veille, ils avaient amené du bois sur le bord de la rivière. Ce jour-là, on ne les entendait plus. Irka, quand elle se dirigeait vers la Haute Berge, avait vu sur le sable des traces de pas de loup. Un loup avait traversé le chemin. Irka avait peur des loups, peut-être, mais les loups ne restent pas en place pendant la journée.
    Sur le bord, des rondins s’entassaient. Le souf­fle de vent en faisait parvenir l’odeur de la ré­sine fraîche.
    «On a abattu tant d’arbres... Seuls ceux du ru­cher sont épargnés».
    Irka n’aimait pas les ouvriers de l’entreprise forestière avec leurs scies, ni les camions avec leurs remorques et leurs poêles où les chauffeurs mettaient des petits billots de bouleau et les tisonnaient ensuite. Sans camions, ils n’auraient pas abattu autant d’arbres.
    Irka ne voulait pas voir les rondins; il était temps de rentrer; personne ne lui avait permis d’aller si loin.
    Le chemin était couvert de poussière; de gros grains de sable et des pommes de pin lui piquai­ent les pieds nus. Le rucherétait bleu, comme dans la fumée, c’était à cause du beau temps. Elle com­mençait à avoir mal à la tête, à cause du soleil. Son talon lui faisait mal: elle l’avait blessé quel­que part, peut — être, sur un éclat de verre, près du poste-frontière.
    La première explosion, elle ne l’entendit pas: le rucher gémit d’un écho sec, la poussière s’éleva et cacha le chemin. Irka se jeta à terre, ensuite se leva et courut sans rien voir.
    Tout à coup, elle se souvint du jour, quand, en­cerclés, ils avaient couru avec son père, du village
    au rucher, pour se cacher dans des I rous où on gar­dait les pommes de terre et que les obus avaient éclaté partout. Ils l’avaient échappé belle, et la petite Viéra, la soeur d’Irka, avait été tuée dans les bras de son père.
    Elle trébuchait sur des souches, courait sur le sable, à toutes jambes, fermant les yeux parce que l’herbe la frappait au visage, la fumée faisait couler des larmes.
    Les explosions cessèrent aussi brusquement qu’elles avaient commencé. Le silence revint.
    Irka s’assit sur le sable froid et frais près d’un petit trou et s’essuya les yeux. Elle ressentait une douleur aiguë dans les yeux: l’effet de la pous­sière et de la sueur. Elle avait la bouche sèche.
    «Que je suis folle. Irka secoua le sable de sa pèlerine. On fait sauter des souches.»
    — Assez, Prokhor! On fume une cigarette, en­tendit-elle et eut peur de se montrer aux hommes, qui, à deux, ramassaient les haches et leurs mu­settes qui traînaient sur la route.
    «Au moins qu’ils ne disent rien à papa... Il me battrait.»
    L’herbe du rucher était recouverte de sable blanc. Partout on voyait de minces racines de jeunes pins, comme si quelqu’un les avait pré­parées pour faire des paniers.
    Et ce n’est que maintenant qu’Irka vit près d’elle des trous, pareils à ceux laissés par les obus, et de grandes souches rouges, fendues, qui gi­saient sur le rucher, comme de grands boeufs, fatigués par le labour.
    Irka vit encore de petits morceaux d’argile rouge et des éclats résineux de souches collés à sa jambe. A côté, sur une bruyère arrachée, elle vit une enveloppe de bonbon, brillant au soleil, et un lacet, gris, mince et long.
    Irka sauta sur ses pieds et courut par la pinède
    vers la route; si les hommes la voyaient, ils ne la reconnaîtraient pas.
    Elle courait sans se retourner, par le sillon le long du chemin,et commença à haleter. Alors,el­le s’arrêta pour reprendre le souffle et il lui sem­bla que l’on la poursuivait. Elle se remit à courir et ne se retourna que non loin du pré, où la forêt n’était pas si épaisse, et où, derrière le taillis, com­mençait le bois de bouleaux qui menait vers le marécage à Biaraizavets. Elle vit les cerfs courir après elle. Ils venaient, sans doute, du rucher, tous les quatre.
    Le premier avait une ramure en cerceaux, avec des taches noires, les trois autres le suivaient, serrés les uns contre les autres.
    Irka s’arrêta, eux, ils s’arrêtèrent aussi. Ils respiraient avec effort, leurs flancs s’agitaient.
    «Ils m’ont reconnue...» Irka voulut leur tendre la main, mais le premier, à taches noires, apeu­ré, fit un bond en arrière. Elle quitta le chemin et ils coururent par le sillon vers Biaraizavets.
    Elle ne vit plus «ses» cerfs jusqu’à l’hiver.
    L’eau du marécage à Biaraizavets avait gelé, la glace était devenue blanche, elle s’était fendue, était tombée et le vent la dispersa. L’herbe noire avait été couchée sur la bouc gelée, elle s’ét­ait desséchée et bruissait sous les pieds.
    La rivière avait pris. L’eau sous la glace mince était limpide et on voyait un jaune fond vaseux. Le bois était engivré, désert et froid comme une étable vide. Il avait blanchi, s’était renfrogné, il craquait: les grands froids l’éreintaient. Le jour les corbeaux croassaient au-dessus de la rivière et les pics frappaient les arbres: ils se rechauf­faient. Le froid s’y était pris pour tout de bon et ne cédait pas: l’hiver avait commencé tôt. Le
    jour il faisait beau, un bas soleil rouge brillait et un givre bleu tombait on ne sait d’où; les nuits de clair de lune étaient froides, les étoiles trem­blaient et scintillaient, elles tombaient dru sur le bois, comme les él incelles qui s’échappent d’une cheminée et tombent sur le toit quand la suie brûle. La nuit, on entendait des loups hurler, mais c’était loin, â Palik; on entendait aussi le grin­cement des portes dans le village et le bruit des roues de charrettes sur la boue gelée. Des avions vrombissaient dans le ciel; cela rappelait les feux des partisans la nuit servant de points de repère auxparachutistes.
    Les animaux de Biaraizavets disparurent; ils s’étaient cachés dans la forêt où il faisait moins froid.
    Une fois le vent s’était déchaîné la nuit. Irka entendait ses gémissements dans la cheminée, elle s’était couchée sur le four; le vent frappait aux fenêtres, il faisait du bruit sur les carreaux, il semblait que quelqu’un essuyait les carreaux avec de la paille. Le bois bruissait, les pins cra­quaient comme si on courait sur la pente. Irka ne dormait pas.
    Le matin on n’avait pas voulu la laisser aller à l’école: le vent balayait la neige. La cour, la route, le bois, tout était couvert d’une neige blan­che qui éblouissait les yeux. Irka sortit du grenier les skis que le père lui avait fait faire au village; elle courait plus vite que les autres. L’école se trouvait dans le village, ce n’était pas loin; estce qu’Irka avait peur de la tempête de neige? Elle mit le châle noir de sa mère, un châle chaud, une vieille vareuse que la mère avait reprisée au village, chez Tanika, qui avait gardé pendant la guerre sa machine à coudre, elle chaussa des bottes laites d’étoffe et des caoutchoucs par-des­sus, très glissants. Pour les livres, elle avait une
    musette noire, on pouvait la porter en bandouliè­re quand on faisait du ski.
    Le matin, il fallait quitter la maison quand il faisait encore nuit, mais après les cours Irka re­venait quand il faisait encore jour. Elle faisait vite ses devoirs: elle allait en troisième et elle aurait pu être en quatrième1, mais il n’y avait pas de quatrième classe à l’école du village et il fallait aller à Kamien, cela faisait cinqverstes. Irka aurait bien pu y aller en ski, mais sa mère ne la laissait pas partir seule, et, à partir de l’année prochaine, d’autres enfants du village y iraient.
    Après les cours, Irka donnait à manger au por­celet, mais on l’avait vendu la semaine passée, on ne lui avait même pas fait manger toutes les bet­teraves; il y en avait encore trois paniers sous le lit; maintenant, la famille en mangeait. «Ils di­sent qu’ils n’ont rien à donner au porcelet, mais il y a tant de pommes de terre en plus de la bet­terave.» Le porcelet vendu, le père avait acheté du seigle, il disait qu’ils en auraient assez jus­qu’au printemps, et, ensuite, on passerait aux orties. On avait séché le seigle, on le porterait au village pour le moudre. Et pour le souper, on n’aurait que des pommes de terre. Le père di­sait qu’il n’avait pas eu de chance. Il avait pro­jeté d’acheter une vache pour l’hiver, il avait même fait une petite meule de foin. Mais en autom­ne, et maintenant, en hiver, une vache était audessus de ses moyens. Papa croyait aussi qu’il réussirait à tuer un loup, on payait bien pour sa peau, et, encore, on donnait une prime. Mais com­me par un fait exprès, les loups avaient quitté Biaraizavets. Pendant l’automne, papa n’avait réussi qu’à tuer deux lièvres. On mettait un peu
    1 Les classes de troisième et de quatrième en U. R. S. S. correspondent au cours moyen de l’ecole primaire en France. (N. d. T.)
    (le viande dans le bouillon du dîner. Quel chas seur faisait-il, donc, papa? Il n’avait même pas de chien. Il ne voulait pas nourrir une bête quel­conque, mais où pouvait-il trouver un vrai chien de chasse? Une fois, il avait voulu en apporter un, du district, mais il aurait fallu donner en échange toute la meule de foin. Au diable, un chien à un tel prix! A savoir encore son utilité, à moins qu’il ne fît se taire les loups, mais il fau­drait le nourrir. La meule, on l’avait: on la ven­drait au printemps. C’était du tout gagné.
    Maintenant, après les cours, Irka allait voir si la meule était intacte, parce qu’une fois son père s’était aperçu que l’on l’avait mangée par le bas, peut être, c’étaient des cerfs. Alors, il l’avait entourée d’une clôture. Mais les cerfs atteignaient quand même le foin, Irka voyait leurs traces.
    Aujourd’hui Irka ne courut pas tout de suite au marécage, mais alla au rucher. Là, elle avait disposé des collets pour les lièvres. Elle en avait mis tant, mais en vain. Pas un seul lièvre.
    — Stupide animal... Irka était furieuse contre les lièvres et n’en avait pas pitié. Elle les attra­perait. Elle abaisserait un peu les collets et les ferait plus grands. Qu’il est sot quand même, ce lièvre: je lui ai mis du foin près du collet, mais il ne l’a pas touché. Stupide animal! Irka souffla sur ses doigts que le froid piquait même à travers les gants. Oh! qu’il gèle! Je vais perdre mon nez. Elle commença à frotter son petit nez, rouge de froid. Dans la maison on n’arrivait guère à se ré­chauffer non plus. Sa mère fermait le four trop tôt. Il y avait alors de la fumée dans la maison et Irka avait mal à la tête. Mais sa mère était inflexible.