• Газеты, часопісы і г.д.
  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Vers le soir, elle se traîne à peine, elle s’ar­rête, exténuée. La chaleur enthousiaste de son re­gard qui l’a conduite s’éteint peu à peu, comme s’éteint aussi son espoir de le rencontrer. Néan­moins, le coeur palpitant, elle scrute l’horizon à chaque tournant de la route.
    Enfin, la certitude illusoire de la femme com­mence à s’esquiver. L’idée que ses espoirs sont vains et ses soucis mal fondés lui revient de plus en plus souvent. Il neviendra pas aujourd’hui il ne viendra jamais, parce qu’il n’existe plus. Tout est tromperie, espoirs futiles et il ne lui reste plus que de trouver la tombe de son fils. Cette nouvelle préoccupation envahit la mère avec la même force extraordinaire que celle que l’es­poir de revoir son fils l’avait réveillée.
    Des nuages pourpres s’épaississent dans le ciel, ils ne passent plus, mais s’accumulent, se
    massent au-dessus des étendues, comme s’ils mé­ditent un mauvais coup. Une obscurité bleuâtre se répand à l’horizon, le lointain s’assombrit, se renfrogne, pressentant le mauvais temps. Des flo­cons de neige, chassés par le vent froid, entament une danse.
    Taiklia marche toujours, elle ne sait pas ellemême où elle va et, pourquoi. Le désespoir et la douleur l’embrassent de plus en plus; elle sait avec certitude qu’elle ne trouvera plus le bon­heur sur cette route. Mais elle ne peut rebrous­ser chemin, elle n’a plus assez de forces.
    La route la conduit dans un bois. Des sapins se tiennent serrés des deux côtés de la route, leurs cimes font du bruit, elles gémissent sous le vent. Les feuilles balayées dans les ornières bruissent, une eau trouble roussie remplit les flaques. Tai­klia marche avec peine sur la route, s’appuyant sur son bâton, ses pieds fatigués lui font mal. Mais bientôt, le bois, passé, la route descend vers un pré désert, solitaire, et la femme, s’étant res­saisie, s’arrête brusquement.
    Sur une colline, à côté de la route, à la lisière du bois, se détache en blanc, jetant de vifs et de nets éclats par cette froide soirée d’automne un obélisque en pierre, une étoile au sommet, un simple monument militaire à ceux qui n’ont pas atteint Berlin. L’âme remplie de pressenti­ments amers, chancelante, Taiklia quitte la rou­te, et, soulevant une couche intacte de feuilles bruissantes, elle s’avance vers le monument.
    Il est soigné, refait et récemment blanchi, ce triste monument de guerre. La tombe, petite, couverte d’une herbe fanée et de couronnes sim­ples desséchées, a été remise en ordre; le bois ra­boté de la clôture est peint en vert, comme cela doit être chez les militaires. Sur un côté de l’obé­lisque se détache en noir une plaque emmurée ou
    saillent des lettres pas trop bien écrites, la lis­te des combattants ensevelis. La vieille, presque suspendue sur la clôture, couve des yeux les noms gravés sur la plaque.
    Non, son fils n’est pas là. «Lieutenant Aviérianav, adjudant de la garde Kouzniatsov, soldats Bondarav, Pilipenka, Tcharnykh et autres». Mais qui sont ces «autres», pourquoi n’a-t-on pas écrit leurs noms? Est-ce que son fils serait parmi ces «autres»?
    Elle ne peut pas s’en aller, elle se cramponne à la clôture froide, et une question terrible monte du fond de son âme en flammes:
    —Mon fils, mon petit, où es-tu donc?
    Le ciel devient noir; les branches nues des arbres frémissent sous le vent; le lointain gris se glace. Le vent emporte sa question. Le coeur de la pauvre mère, blessé par la guerre, laisse échap­per une longue plainte d’invincible douleur.
    1957
    I van Ptachnikav
    ooo
    LES CERFS
    jDès qu’ils se furent installés à Biaraizavets, Irka s’aperçut que l’automne venait, tandis que dans le village qu’ils avaient quitté rien ne pré­sageait encore son approche.
    Biaraizavets se trouve à un kilomètre et demi de ce village, près de la rivière Biaraizavka qui passe par le pré et se jette dans la Vilia, derrière Lipniki. La forêt Palik commence à Biaraizavets. Ils y avaient vécu avant la guerre. Irka se sou­venait qu’après ils s’étaient établis dans le vil­lage. Son père était garde-forestier et ils vivaient dans la forêt. Il gardait également et nourrissait les cerfs et les élans de la réserve qui se trouvait non loin de Biaraizavets, au-delà de la Haute Berge.
    Irka aimait la forêt et elle était contente quand après la guerre ils s’étaient installés de nouveau à Biaraizavets. Pendant la guerre les cerfs et les élans avaient quitté Biaraizavets. Le père disait qu’ils avaient suivi le cours de la Vilia pour se cacher dans la forêt Avgoustovski, où il n’y avait pas autant de partisans, où il n’y avait pas de guerre.
    Pendant la guerre les Allemands avaient brillé la maison des parents d’irka à Biaraizavets, il n’y était resté qu’une étable qui était inachevée, Sans toit, et que le feu avait ménagée. De cette étable, le père d’irka, il en fit une maison, même à quatre fenêtres. Les fenêtres, il les avait ap­portées pendant la guerre du poste-frontière qui se trouvait sur la Haute Berge, près de la Vilia, et il les avait cachées dans l’étable. On avait dé­moli le poste-frontière: autrement, les Allemends l’auraient brûlé. Deux fenêtres cachées dans l’éta­ble étaient restées intactes; le père les avait cou­pées en deux et en avait fait quatre, pas trop pe­tites. Par une d’elles Irka voyait tout le pré près de la Biaraizavka et même les Vieux Aunes près desquels la rivière tournait vers la Vilia; là, elle était profonde, et il y avait des brochets bigarrés.
    Irka aimait l’automne. Peut être, à cause du calme qui régnait alors à Biaraizavets. Le calme venait de là, de Palik, de la forêt; il passait par la rivière, calme, elle aussi, comme Biaraizavets. La rivière ne débordait jamais, seulement au printemps, pendant les crues, son eau sombre était plus haute.
    En automne la rivière baissait et les bouleaux jaunissaient tôt, parce qu’ils poussaient dans le marécage. Ils jaunissaient toujours par le bas, peu à peu, pas comme les aunes qui attendent les premières gelées pour noircir et perdre leurs feuilles en une seule nuit.
    Le calme régnait partout: près de la maison, près du rucher, dans le marécage; du village, pas un seul bruit ne parvenait jusqu’ci. Mais il y avait un écho, pendant la nuit et le jour, en hiver comme en été, et, surtout, en automne.
    — Ohé! criait toujours le père d’irka quand il s’éloignait de la maison. Ohé! criait Irka. Bia-
    raizavets l'imitait, ensuite l’écho allait à Palik, dans le village, et le soir, il revenait, imitait Irka, et s’en allait plus loin, toujours plus faible: d’où pouvait-il prendre des forces? Irka, elle était encore petite, elle était dans sa douzième an­née, bien qu’elle fût haute, elle avait grandi pendant la guerre, elle était mince. Evidemment, elle ne pouvait pas crier fort, elle criaait d’une voix aiguë, et alors le souffle lui manquait et cela lui écorchait la gorge. Si le père avait crié, l’écho serait revenu à Biaraizavets plus d’une fois, mais le père ne criait jamais près de la maison, et il ne permettait pas à Irka de crier pour ne pas fai­re peur aux cerfs, parce que ceux qui étaient res­tés vivants après la querre, ils étaient devenus peu­reux, ils avaient peur de l’homme.
    En automne, des pies se réunissaient à Biarai­zavets. Irka n’aimait pas les pies: elles étaient voleuses et elles jacassaient sans répit: elles pé­nétraient dans la cour, vers l’auge du porcelet, elles «annonçaient des hôtes», comme disait sa mè­re. Quelqu’un l’avait inventé: il y avait tant de pies, il aurait mieux valu prendre un bâton et les chasser. Car personne n’était venu les voir de­puis qu’ils s’étaient installés à Biaraizavets.
    En automne, quand il faisait beau, la mousse et l’herbe murmuraient sous les pas, des boutons de bruyère bleuissaient sur le rucher; la bruyère était haute. De grandes fourmis, avec des ailes, y grouillaient, des abeilles y voltigeaient. Une abeil­le s’assit sur une branche de bruyère, se pencha avec elle presque jusqu’à la terre, ensuite elle la saisit par ses pattes, et, ses ailes écartées, elle poussa sa tête dans la petite fleur. Elle se figea, ne bougea plus comme si elle était morte, elle buvait.
    De grandes libellules vertes venaient de la ri­vière, elles battaient de leurs longues ailes bril­lantes, mais les abeilles n’en avaient pas peur.
    Irka aimait les abeilles, elles butinaient. Le miel tardif est une médecine.
    L’herbe et la mousse étaient encore vertes sur le rucher, mais les girolles étaient déjà ratatinées, elles blanchissaient, commençaient à sécher. Mais à Biaraizavets il y avait de jeunes bolets, bruns, durs et ronds, comme si quelqu’un les avait semés pendant la nuit. La forêt avait brûlé ici pendant la guerre, et ils aiment le brûlé. De jeunes armillaires jaunâtres couvraient les souches, elles n’étaient pas nombreuses, leur temps n’était pas encore venu. Plus loin, dans le bois de bouleaux, on voyait des bolets raboteux rouges. Ils étaient jeunes, au gros pied et avec un petit chapeau, com­me un dé sur un doigt. Des limaces les couvraient. Ces limace, Irka l’avait lu, semaient les champi­gnons. Seuls, les tue-mouches ne portaient pas de limaces. Et à quoi bon les semer, ces empoison­neurs? Ils sont même déjà dans la cour, ils creu­saient le sable près du perron et près du puits. Mais là, où il y avait des tue-mouches, il y avait aussi des bolets jaunes. On ne pouvait pas les compter sur cette petite colline de sable derrière la maison. On n’en cueillait pas beaucoup. On ne cueillait pas non plus de russules.
    Sur le marécage, dans la pinède derrière la col­line, l’airelle des marais devenait trop mûre; on y voyait des gouttes d’eau: c’était la rosée. L’ai­relle était aigre, elle ne provoquait pas la soif, comme le faisait la myrtille; mais elle provoquait un mal de tête. Mais non, ce n’était pas elle, mais le ledon qui poussait près d’elle. Et le ledon à Biaraizavets était haut, il couvrait Irka à moitié. Il commençait à rougir par le bas et il s’effeuillait. Et il répandait une forte odeur. Mais pourquoi donnait-il le mal de tête, comme la fumée dans la maison, quand la mère fermait le four trop tôt? Irka avait peur de la fumée.