Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Il y a des serpents. Ils sont très venimeux, nous faisait savoir Kiryl et se taisait pour de bon.
Kiryl n’avait pas l’intention de partir pour le Sahara. Il ne courait pas le monde avec nous. C’était clair.
— Va à ta place, c’est très mal, lui disait le professeur de géographie, mécontent. C’est ta cinquième mauvaise note pendant ce trimestre. On dirait que tu es normal: une tête, deux bras, deux jambes comme chez tout le monde, mais des connaissances, pas du tout! Pourquoi ton père te nourrit-il? Qu’est-ce que tu deviendras?
Le peu d’amour qu’éprouvait Kiryl pour la science était un rien par rapport à la joie et à l’émerveillement que nous apportait chaque leçon. Le monde était grand, immense, varié. Il avait été créé pour nous. Des sources curatives jaillissaient des profondeurs. Elles pourraient remettre sur pied celui qui serait tombé malade en route. La terre avait gardé pour nous du pétrole, du fer, du charbon, de l’or: il ne restait qu’à les découvrir. La terre honorait celui qui cher
chait, qui la servait. Le Sahara desséché se chargeait de nourrir toute l’humanité, il suffisait de lui amener de l’eau. Un vent inlassable était prêt à faire tourner tous les moulins et tous les moteurs; il restait à les construire! Des rivières obstinées pouvaient changer de cours; il fallait ériger des barrages. Tout est en ton pouvoir, Homme!..
VI
Les leçons de géographie étaient jours de fête pour nous. Mais celui qui nous apportait le plus de joie, pouvait aussi nous causer le plus de douleur. J’aimais Anton Antonavitch, c’était pour moi un homme extraordinaire. Je l’estimais beaucoup plus que tous les autres professeurs et j’apprenais mes leçons de géographie avec beaucoup de conscience. Jamais je ne butais en récitant ma leçon et si on m’avait réveillé la nuit j’aurais été capable de nommer toutes les rivières, les montagnes et les dépressions de n’importe quel continent. Mais malgré cela ce ne fut pas moi qui arriva premier en géographie. Ce ne fut pas moi qu’avait remarqué Anton Antonavitch et qu’il louait devant toute la classe.
Cet heureux, ce fut Audrey Kaminski, Rey ou Komin, tout court, comme nous l’appelions. Je ne trouvais rien de particulier dans sa personne, ni dans ses réponses, ni même dans ses connaissances. Au premier coup d’oeil Rey avait l’air d’un rieur insouciant que la chance poursuivait, c’est tout. H lui arrivait de se tromper en récitant sa leçon, il pouvait confondre le nom d’un fleuve on d’une montagne. 11 lui était même arrivé de ne pas apprendre sa leçon. Mais Anton Antonavitch le citait en exemple et le port ait aux nues. Pourquoi?
Aujourd’hui, évidemment, il m’est difficile de me rappeler tous les détails. Probablement, le professeur de géographie aimait notre camarade de classe pour sa curiosité, impétueuse et insatiable. Komin ne pouvait passer une journée sans se passionner pour quelque chose. Il était difficile de prévoir ce qui l’intéresserait le lendemain. Il pouvait se laisser entraîner par un rien et nous importuner alors, nous et nos professeurs, pendant toute une semaine.
Le père de Komin était charpentier. 11 travaillait à la construction de nouvelles maisons, tantôt dans notre bourg, tantôt au sovkhoze voisin, tantôt à la tourbière. Voilà pourquoi Rey n’avait pas de domicile fixe. Une année ou plus il habitait là où travaillait son père, mais il ne changeait pas d’école. Une fois même, quand Rey habitait le sovkhoze, en hiver, il faisait six kilomètres à pied pour aller à l’école.
C’était peut être parce que Komin avait parcouru plus que nous les alentours, les champs et les forêts qu’il connaissait des tas de choses intéressantes. Une fois il demanda même au professeur de géographie combien de temps il faudrait pour qu’une couche de tourbe d’un mètre d’épaisseur se fut formée dans les profondeurs. Anton Antonavitch ne put répondre. Ça lui arrivait pour la première fois. Il fut confus et promit de parler de la tourbe à la leçon prochaine, dans deux jours.
Anton Antonavitch tint sa promesse. Alors Roy se leva et déclara que le marécage nommé Baguinski Mokh1 comptait trente mille ans. Tout le monde utilisait la tourbe du Baguinski Mokh pour le chauffage, mais personne ne se doutait qu’elle pouvait être si ancienne.
1 La mousse de Baguinsk. (N. d. T.)
Un jour Roy apporta on classe la lige d’une plante, une tige noire, dure comme de la pierre. Il l’avait tirée des marécages d’une profondeur de quatre mètres, et il se vantait que sa trouvaille comptait vingt mille ans.
Il y a dans ma vie nue page liée à Rey et que je voudrais oublier. Malgré les éloges qu’Anton Antonavitch lui adressait plus souvent qu’aux autres élèves, les garçons de ma classe ne l’aimaient pas beaucoup. Ce n’était peut être que de la jalousie, sentiment connu par beaucoup de personnes; il se peut aussi qu’il y ait eu une autre raison. En tout cas Rey n’avait offensé personne. 11 aimait à rire, il pouvait jouer un tour à quelqu’un, mais c’étaient là des péchés que chacun reconnaissait avoir.
Moi non plus, je n’aimais pas Rey. Beaucoup de professeurs me citaient en exemple, alors qu’Anton Antonavitch que je considérais le plus, et aux éloges duquel j’étais paticulièrement sensible, les distribuaient à un autre que moi. Parfois je devenais furieux contre le professeur de géographie. Comment se faisait-il qu’il ne voyait pas Rey changer d’opinion comme de chemise, qu’il ne comprenait pas que Rey était un étourdi, qu’ il oublierait la géographie le lendemain même, attiré par quelque chose de plus intéressant.
De tous les professeurs c’était Anton Antonavitch que j’aimais le plus, et c’était lui qui me faisait souffrir plus que n’importe qui...
Rey ne faisait pas partie de notre groupe où nous échangions entre nous des livres rares, et, évidemment, il n’avait pas avalé autant de volumes de Jules Verne que nous. Voilà qu’un jour nous apprîmes que Rey possédait un roman de Jules Verne «Du canon à la Lune». Nous savions que ce livre existait, mais personne encore de notre groupe de lecteurs ne l’avait vu. Le désir
de s’emparer de ce livre enflamma nos têtes. Ce livre nous parut le plus intéressant de tous ceux que nous avions lus jusqu’ici. Du canon à la Lune! Ce roman, pouvait-il parler de choses simples?
Rey refusa net de nous prêter le livre. 11 ne fit aucune concession, il ne voulait aucun échange, il ne crut à aucun de nos serments les plus ardents. Komin savait à qui il avait affaire. II ne se trompait pas. Quand il était question de livres, le groupe ne reconnaissait aucune règle de conscience pour soles procurer. Obtenir le livre à tout prix et...apres nous le déluge! Nous possédions des livres extrêmement intéressants et nous ne les lâchions pas...
Les élèves de septième1 avaient des privilèges dans le groupe. Alors que ceux qui n’allaient qu’en sixième ne jouissaient que des droits de parents pauvres. Ils n’avaient droit qu’à une nuit pour lire une oeuvre, il arrivait même, ils étaient tout simplement oubliés, Aussi nous mettions-nous en quatre pour gagner les faveurs des grands élèves.
On me chargea de voler le Jules Verne de Rey...
Un premier plan avait échoué. Nous n’avions pas réussi à nous emparer du livre chez quelqu’un de ceux à qui Rey le donnait à lire. Komin sentait qu’une chasse avait été organisée et que son livre en était la proie. Il le garda jalousement chez lui.
Alors nous fûmes obligés de recourir à l’aide de Kiryl. Ce dernier se fichait bien du Jules Verne, mais il consentit à se lier d’amitié avec Rey pour obtenir le livre. Là, non plus, nous
1 Classe de quatrième au Collège d’enseignement secondaire en France (N. d. T.)
n’eûmes pas de chance. Kiryl était allé à la tourbière où habitait Komin, avait essayé de lui plaire, il avait même participé à une fouille. Mais Rey resta inflexible.
Malgé l’échec, Kiryl nous avait quand même rendu un bon service. Il avait appris qu’Ivan, le frère cadet de Roy, s’intéressait beaucoup aux armes à feu. Ivan était élève d’une autre classe et, à l’epoque, il jouissait d’un répit provisoire dans ses études. Il avait trouvé une cartouche de dynamite qui servait à déraciner les vieux troncs d’arbres et il avait essayé de faiie sauter un chêne. Le chêne était resté intact, alors que lui, il avait perdu à jamais son oeil droit parce qu’il ne savait pas se servir de la dynamite. Voilà pourquoi Ivan n’allait pas à l’école, sa blessure n'était pas encore guérie.
Il était évident que nous pourrions nous entendre avec Ivan, tout bon garçon qu’il était. Malgré l’échec avec la dynamite, Ivan avait gardé son caractère belliqueux et aimait toujours à jouer avec tout ce qui était arme à feu. Pour avoir de la poudre il pouvait accepter n’importe quoi.
Un dimanche de mai. de bon matin, Kiryl et moi, nous nous approchâmes de la cour de Rey. Komin n’était pas là, nous en étions sûrs. Nous trouvâmes Ivan le Borgne, occupé à se balancer les jambes, perché sur la traverse, audessus de la porte de la palissade. C’était assez bizarre, car il n’avait aucune raison pour être assis sur la traverse de la porte de si bon matin; mais on ne peut pas prétendre que tout ce qu’on fait est toujours sensé.
Nous avions apporté un demi-quart de poudre, et, han, en la voyant, tressaillit d’émotion. Sans hésiter il nous sortit le livre de Jules Verne.
Un coup avait été porté droit au coeur de Rey...
VII
Et c’est justement le Jules Verne volé qui me rapprocha de Rey...
Le lendemain je vins en classe en triomphateur. Je voulais voir la conduite de Rey. Supplieraitil? pleurerait-il? allait-il se venger? Je mourais d’impatience, je voulais rencontrer mon adversaire, et, évidemment, le voir humilié, écrasé.
Mais notre joie fut courte. Rey ne dit rien à personne à propos de la disparition du livre. 11 connaissait la vérité, son visage, renfrogné, en était la preuve. Nous le piquâmes au vif, nous lui jouâmes de petits tours. 11 se taisait, comme s’il n’y avait pas eu de livre, de chasse, de marchandage avec son frère Ivan. Ce dédain de la part de Rey nous désarmait.