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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Il y a trois ans nous rentrions avec Andrey Danilavitcli, comme aujourd’hui du marécage, des prés de Roudnetsk où nous étions allés voir un nouvel engin, une machine à faire les meules, qu’on venait d’acheter. La fenaison battait son plein, les céréales mûrissaient, les affaires allaient bon train et le président était de bonne humeur. La route traversait la forêt. Un bon petit cheval, avec une crinière noire, secouait légèrement la tête, courait sans effort, et agitait la queue en signe de reconnaissance quand Andrey Dani­lavitch, avec une branche de bouleau, chassait de ses flancs les taons et les oestres qui le piqu­aient.
    Après avoir traversé une clairière ensoleillée où se cachait la maison du garde-forestier notre pe­tit cheval s’enfonça dans un tunnel vert et galopa sur des racines entremêlées, usées par les roues. Bientôt, une autre clairière ensoleillée s’ouvrit devant nous. Lorsque nous nous fûmes approchés d’elle nous vîmes tout à coup une scène peu agré­able: une charrette de foin renversée. Le charre­tier, un gars large d’épaule la refaisait, seul, pau­vre homme, en plein soleil où la forêt retenait tout souffle de vent. Il en avait déjà refait la moitié. A J’arriére il avait ajusté une perche à l’aide de laquelle il montait les bottes de foin et maintenant, criant sur les chevaux attaqués par des oestres il jetait toujours avec obstination du
    foin sur le chariot. On voyait d’après tout qu’il travaillait ainsi depuis longtemps.
    Il aurait certainement été content de voir quel­qu’un lui donner un coup de main! Mais la ré­action d’Andrey Danilavitch fut tout à fait inat­tendue. Avec une grimace méchante, les yeux hors des orbites, il tira les rênes et dirigea notre cheval sur un vieux tronçon de route où on n’avait pas roulé depuis longtemps...
    Je ne pouvais en croire mes yeux: que faisaitil? Il aurait fallu aider cet homme! Audrey Da­nilavitch, comprenant mon étonnement, hésita d’abord, puis fit un signe de tête: il le fallait. Ensuite il desserra les dents avec la même mé­chanceté:
    — Ça lui apprendra à vivre, à ce fainéant! Qu’il l’apprenne à ses dépens. Il croyait pouvoir ne rien faire! Il voulait se dorloter toute la journée sur le foin, les yeux braqués sur les nuages, et les chevaux, eux, ils te porteront... Non, sacré pares­seux, tu t’en souviendras, de ce foin! Tu en verras couler de la sueur et tu sauras si c’est du repos Tu te rendras à la raison, attends un peu...
    Tout en contournant le chariot, Andrey Dani­lavitch lançait ces paroles avec irritation au gar­çon, se retournant toujours et lui jetant des coups d’oeil furieux jusqu’à ce que nous ne nous fûmes trouvés sur notre route. Quel qu’il fût ce gars, si légère que fût son attitude envers la vie, j’eus quand même pitié de lui. Dissimulant mon inimitié à l’égard d’Andrey Danilavitch, je lui dis, entre autres:
    — On voit que ce gars a fait un vilain tour au président du kolkhoze. Il a dû l’embêter...
    — 11 a desséché toute mon âme, fit Andrey Da­nilavitch avec humeur. C’est mon fils. Mon fils à moi, qu’il soit...
    — Votre fils? Je saisis involontairement les rênes pour retourner.
    11 ne faut pas. Qu’il y reste... Ça lui fera du bien de suer un peu. H ne peut pas faire la charrette, les chevaux se révoltent... Je voudrais qu’il se renverse encore... Tu vois! C’est mon fils unique et cela ne va pas comme chez les autres. En voilà un malheur, pour une malchance, c’en est une... Que le diable t’emporte, têtu, fais comme tu veux!..
    Je voulus savoir au juste ce qu’il y avait, pour­quoi il disait qu’il n’avait pas eu de chance avec son fils. Mais Andrey Danilavitch agita la main avec tristesse ce qui signifiait: laisse-moi tranquille, cela ne vaut pas la peine d’en parler. Pen­dant tout le reste de la route il ne souffla mot.
    S’étant levé de table, Andrey Danilavitch, avec un contentement caché à la pensée qu’il pourrait se reposer un peu, se laissa tomber sur un petit canapé. La porte de la chambre était ouverte et je voyais en partie la pièce voisine. C’était une chambre claire et vaste. La maison était neuve, en bois résineux et sec à sonner. Les murs n’étai­ent pas encore crépis, dans les rainures de bois on voyait les fils droits de mousse calfeutrée. Aux fenêtres, de longs rideaux descendaient jusqu’au plancher; sur le trumeau on voyait des photos et des diplômes de différentes expositions agricoles.
    Je voyais des meubles: une armoire, une table ronde couverte d’une nappe à fleurs, dessus, un vieux réveil démodé; son tic-tac infernal faisait croire que vingt réveils encore au moins se ca­chaient entre ces murs sonores et je pensais, non sans crainte, au bruit qu’il devait faire en son­nant. Dans la chambre il y avait encore un objet qui, il me semble, n’était pas à sa place. C’était une moto. Une «IJ» noire, vernie, toute neuve, avec les pots brillants des tuyaux d’échappement,
    entretenue, nettoyée au point qu’on pouvait s’y regarder comme dans un miroir, placée près du mur, son avant au coin. Privée temporairement de sa fonction, elle servait maintenant d’une sorte de portemanteau: la selle était encombrée de vêtements de tous les jours, sur le guidon pen­daient une ceinture, des lunettes de protection et de grands gants de cuir jaunes.
    — Pourquoi n’est-elle pas à l’oeuvre, indi­quai-je la moto. En panne? Ou il n’y a personne pour l’enfourcher?
    Andrey Danilavitch, ses jambes allongées, re­muait ses orteils dans les chaussettes. D’abord il fit semblant de ne pas m’entendre. Tout en pre­nant un peu de repos, il me parlait, mollement, des affaires économiques: de la rémunération supplémentaire dans le travail des champs, en­suite de l’énergie électrique; il me disait que la machine à vapeur utilisée par deux brigades était faible et que son énergie suffisait à peine aux fermes. Ce n’est qu’une vingtaine minutes après, penché au-dessus du traversin qu’il jeta un coup d’oeil dans la chambre voisine.
    — La moto?.. C’est la joie de notre fils... Notre diplôme, on pourrait dire. Andrey Dani­lavitch, envahi de pensées connues à lui seul, bâilla fortement et frotta de ses paumes ses joues qui n’étaient pas rasées, des étincelles humides brillèrent dans ses yeux. Notre diplôme, conti­nua-t-il. Chaque jour je le regarde. J’ai répété plus d’une fois à ma femme: mettons-le au pou­lailler. Tout juste sous le perchoir... Elle s’est vexée, près de cinq jours elle ne m’a pas parlé, elle tourne autour de cet animal, elle l’époussète, elle le caresse comme un être vivant. Elle craint qu’un grain de poussière ne vienne s’y poser... «Mets-toi en quatre, me dis-je, donne-toi de la peine, mais quand même nous n’avons pas de
    fils... le fils que nous avons attendu! C’est notre fils, mais nous n’avons pas de fils...»
    Se dressant sur le traversin, Andrey Danilavitch resta pensif pendant quelques minutes; inconsciemment, il caressait son crâne dévasté, ensuite, il se leva du canapé où les ressorts grin­cèrent et se dirigea dans l’ombre fraîche de la salle d’entrée. Flanquant le gobelet dans le seau, il me demanda tout à coup:
    — Tes enfants, dis-moi, sont-ils grands?
    — Ils vont à l’école.
    — Bon... A l’école... Ils ont toute la vie de­vant eux. Mais voilà ce que te je dirai: si tu veux t’attendre à quelque chose de bon, tiens, dès aujourd’hui, la main haute. Et montre de la persévérance. Sois comme le fer...
    Il se retourna, essuya ses lèvres avec le revers de sa main d’un air concentré et se laissa tomber de nouveau sur le canapé.
    —Ce qui me reste aujourd’hui, c’est de donner des conseils aux autres, dit-il sombrement et couva des yeux les bouts de ses chaussettes blan­ches. Parce que j’étais une moule, continua-t-il, et une moule, ça fait toujours des bévues. On a beau se donner de la peine, on a beau être pru­dent, il y a toujours quelque chose qui ne va pas... Eh, que de joies, que d’espérances inouïes avonsnous eues!.. Il était seul à élever. Sans bonnes, ni grands-mères, je m’étonne d’ou il avait autant de curiosité et d’esprit propres à un homme adulte? Pas plus haut qu’une pomme, il ne pouvait même pas grimper sur un banc pour s’asseoir sans aide, mais, quelque chose lui tournait déjà dans la tête: «Papa, pourquoi une bicyclette roule et ne tombe pas? Papa, si nous attelons un«KTZ»àun «DT»1 qui prendra le dessus” Et
    1 Tracteurs. (N. d. T.)
    sa mémoire. On transmet une chanson à la radio, quant à moi, elle m’entre par une oreille et sort par l’autre. Et lui, il la chante déjà, il vrombit comme un hanneton. Les choses les plus com­pliquées, il les chante avec sa petite voix, il les saisit d ’unseul coup. Et les vers et les contes qu’il savait! De tous scs «Qui-lave -tout»1 et d’autres on ne sait parfois où donner de la tête. Mais seraistu fâché contre lui? Tu le regardes et tu veux le prendre dans tes bras: «Mon petit phono, ma peti­te musette vivante, bourrée d’intelligence!..»
    Il aimait à me suivre partout. 11 m’arrivait souvent de faire un détour dans les champs et les fermes. Tu te sers le ventre qui grouille, mais tu prends patience. Il ne dit pas un mot. Il regarde tout, attrape tout de ses petits yeux et tu dois tout lui raconter, tout lui expliquer ce qu’il ne saisit pas encore par sa petite tête... Parfois, je le pre­nais avec moi au district. Tout simplement, pour amuser les chefs. Parce que le kolkhoze que je dirige, c’est un kolkhoze! Ce n’est pas une pro­priété pauvre. C’est une entreprise! Il est partout parmi les premiers cinq, et une ou deux fois par an il est en tête. Pourquoi donc le président de ce kolhkoze ne peut-il, par exemple, se mon­trer avec son fils au comité de district? Artsiom Dzianissavitch, secrétaire du comité, était d’un grand esprit. Il parle affaires et jette déjà des coups d’oeil sur lui, mon petit. «Eh bien, Sviétazar! Offre-nous le meilleur exemple de poésie... Récite-nous «Borodino»2... Sviétazar commence sans préambule. Il ne se fait pas prier. Tout de suite il prend la pose: les pieds écartés à la lar­geur de ses épaules, les mains aux poings ser­rés et... hop! Un vrai artiste! Il arrive jusqu’aux
    1 Un poème pour enfants de K. Tchoukovsky. (N. d. T.)